Homélie du 18 avril 2021 (Lc 24, 35-48)

Frère Etienne Harant, O.P., Maison Saint-Dominique, Pensier, FR

La double manifestation du Ressuscité

« J’ai revu mon vieil ami Matthieu hier dans la rue, je l’ai à peine reconnu ! » Nous avons sûrement déjà fait cette curieuse expérience, alors que nous avons très bien connu quelqu’un, de ne pas être en mesure de le reconnaître (au sens littéral même de le « connaître à nouveau »), tellement ce dernier semblait avoir changé. Jésus après sa résurrection cherche manifestement à éviter cette situation avec ses disciples. Il se rend présent et identifiable aux apôtres par de multiples moyens, afin qu’ils croient qu’Il a bel et bien vaincu la mort et qu’Il est réellement ce qu’Il prétendait être : le Fils éternel du Père céleste.

Une expérience sensible du Christ


Mais alors, comment s’y prend-il ? L’évangéliste saint Luc nous raconte une double manifestation, en deux temps distincts, mobilisant toutes les capacités d’identification disponibles à l’être humain.
La première étape est une étape sensorielle, ou sensitive. Le Ressuscité se manifeste aux sens. Il parle aux apôtres (« la paix soit avec vous »), Il invite à regarder (« voyez mes mains et mes pieds ») et même à toucher (« touchez-moi, regardez », le verbe employé ici signifie d’ailleurs littéralement « palper », « découvrir en touchant », « faire une investigation par le sens du toucher »). Ainsi les apôtres font une expérience véritablement sensible du Christ réellement, physiquement présent à eux. Je vous invite d’ailleurs à remarquer l’ordre des sens monopolisés : l’ouïe, la vue, et le toucher. Nous allons du plus éloigné au plus proche, du moins assuré au plus certain. Christ se manifeste de manière crescendo, Il s’approche véritablement de ses disciples, même dans la manière de se faire reconnaître, jusqu’à devenir palpable. Il est audible, visible, et palpable. Il ne manquerait plus que les apôtres puissent le sentir et le goûter. Et surprise ! Parce que les disciples n’en reviennent toujours pas, et bien c’est Christ lui-même qui mange ! Ainsi, dans cette première manifestation, les cinq sens sont mobilisés, (partons du principe que si l’on peut toucher quelqu’un, il est aussi possible de le sentir…) plus de doute sensible possible : cet homme vivant n’est pas un esprit, il a un corps, et ce corps permet d’identifier celui qui est mort sur la croix.

Christ se manifeste à l’intelligence des disciples


Mais ce n’était que la première étape. Christ identifié sensiblement, va à présent se manifester à l’intelligence des disciples. Remarquez que cette découverte suit notre mode naturelle de connaissance. Tout ce que notre intelligence connaît, elle le connaît par les sens ! Eh bien Christ se met à dévoiler à l’intelligence de ses apôtres tout ce qui le concernait dans l’Ecriture. Comme pour les disciples d’Emmaüs, il retrace son histoire, l’histoire de son annonce dans l’Histoire Sainte. Christ remédie lui-même à l’ignorance dont Pierre accuse le peuple dans notre première lecture. Vous avez sûrement noté d’ailleurs que ces mêmes disciples d’Emmaüs sont également présents ! Ils auront donc bénéficié deux fois de cette leçon d’exégèse biblique de la part du Verbe, une telle science leur vaut bien le titre de doctor honoris causa de l’Université de Fribourg ! Toujours est-il, on ne connaît rien de cette leçon que donne Jésus aux disciples.
Sens et intelligence sont saisis pour reconnaître que Jésus est bien vivant et qu’Il est le Sauveur annoncé. Ce sont donc toutes les « capacités d’identification » des apôtres qui sont mises à contribution.

Beaucoup «d’indices eucharistiques»


J’attire à présent votre attention sur une troisième révélation du Ressuscité, qui cette fois ne concerne pas tant les apôtres que nous-mêmes. En effet, remarquez que Jésus apparaît au milieu des disciples, dans une pièce close, après que l’on a parlé de lui (qu’il a été « invoqué »), une fois présent il mange, le tout suscité par le récit d’une apparition au cours de laquelle le Christ s’est fait reconnaître à la fraction du pain. Frères et sœurs, cela fait tout de même beaucoup « d’indices eucharistiques », dans un contexte de reconnaissance du Vivant. Et ce nouveau mode de présence du Christ fait à la fois appel aux sens et à la Parole Divine, il est à la jonction des deux. Les sens ne suffisent pas, ils sont débordés par l’Eucharistie, ils sont dépassés par la Parole de Vie qui rend réellement présent le corps et l’âme du Ressuscité. Nous sommes en ce moment même, en célébrant cette eucharistie, unis à tous ceux qui nous écoutent à la radio, dans la même situation que les apôtres : face au Ressuscité, qui se révèle aux sens, soutenus par l’Ecriture. Seulement, pour nous un voile de plus a été déposé sur cette présence vivifiante : celui de la foi.
Alors demandons à celui qui va venir, d’irradier toute notre personne de sa sainte présence afin que toute notre vie en soit transformée, pour que nous puissions vivre un jour enfin, totalement, pleinement, et éternellement en sa présence.

3e DIMANCHE DE PÂQUES
Lectures bibliques : Actes 3, 13-15.17-19; Psaume 4, 2, 4.7, 9; 1 Jean 2, 1-5a; Luc 24, 35-48

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