Maurice Denis, l'abbé Jacquet et saint Paul

Je viens de visiter le nouveau Musée Cantonal des Beaux Arts de Lausanne, cube de béton disgracieux à deux pas des quais de la gare. En fait, mon attention fut attirée par les trois salles où sont accrochées quelques toiles de Maurice Denis (1870-1943). Ce peintre parisien fut chargé avec d’autres artistes du décor pictural de l’église St-Paul de Cologny desservie depuis plus de soixante ans par les Dominicains.

Ce sont essentiellement les œuvres de jeunesse de Maurice Denis qui sont exposées sur les murs blancs du Musée. L’artiste cherchait encore sa voie, loin de l’académisme qui avait guidé ses premiers pas, avant qu’il ne flirte avec l’impressionnisme, s’enthousiasme pour le quattrocento toscan et ne fréquente Gauguin. Finalement, le voilà prophète du symbolisme. Chrétien, dans son cas. Nabi (prophète en hébreu) était le nom d’un groupe d’artistes auquel Maurice adhéra, rebelles au réalisme et à ses trompe-l’œil, adeptes fervents du coloris plutôt que de la grisaille.

Ce peintre éclectique ne rechignait pas non plus à décorer les hôtels parisiens, moscovites ou italiens. Une source de revenus qui lui permit d’acquérir un ancien hôpital à Saint-Germain-en-Laye, son prieuré avec sa chapelle, son atelier, là où il vécut et mourut en 1943 victime d’un accident de la route. Ce lieu est devenu un pèlerinage pour les amateurs de ses œuvres, bien représentées aussi dans l’espace public et religieux genevois, notamment en l’église St-Paul.

«Le vitrail réalisé ‘in memoriam’ de l’abbé Jacquet représente une scène du Livre des Actes«

L’abbé Francis Jacquet (1882-1919) fut le réalisateur de ce lieu de culte. C’est l’architecte Adolphe Guyonnet qui lui présenta Maurice Denis, dont la notoriété devenait universelle. L’artiste, conquis par le style basilical de l’église, fut chargé de réaliser la grande fresque qui figure dans l’abside, représentant la conversion, la prédication et le martyre de saint Paul. S’ajoutèrent plus tard la mosaïque baptismale et le fameux vitrail où figure l’abbé Jacquet en personne. Une œuvre offerte par la famille de ce prêtre, mort en 1919 de la grippe espagnole. L’église fut inaugurée officiellement le 28 novembre 1915, deux ans après le début des travaux de construction et un an avant que la fresque marouflée peinte à Paris ne rejoigne l’abside qui l’attendait. Mais il fallut attendre les années 1990 pour que l’édifice fût enfin liturgiquement «consacré».

Le vitrail réalisé «in memoriam» de l’abbé Jacquet représente une scène narrée au chapitre 14 du Livre des Actes. Paul reconnu comme Hermès, et Barnabée comme Zeus, refuse horrifié le sacrifice d’un taureau que le bon peuple de Lystre s’apprête à immoler en son honneur. Par contre, les bras de l’Apôtre se tendent vers l’abbé Jacquet présentant sur un plateau la maquette de l’église dont Paul allait devenir le patron. Je présume que le portrait du curé doit être très semblable à celui que Maurice Denis avait déjà peint en 1916. En 1920, à l’heure de l’inauguration du vitrail, les paroissiens de St-Paul portaient encore le deuil de ce prêtre dont la générosité et celle de sa famille avaient permis d’édifier leur église. Un hommage bienvenu puisque, selon le pinceau de l’artiste, l’Apôtre avait agréé ce cadeau.

Guy Musy

21 avril 2021

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