Trinh Xuan Thuan: «Nous sommes des poussières d'étoiles»

Avec son nouveau cursus «A ciel ouvert», la Faculté de théologie de l’Université de Genève choisit de façon inédite de faire dialoguer spiritualité et astrophysique. A l’occasion du coup d’envoi du projet, le 20 avril 2021, les astrophysiciens vietnamo-américain Trinh Xuan Thuan et genevois Didier Queloz expliquent pourquoi l’échange entre les deux domaines peut être extrêmement fructueux.

«La NASA a réussi à faire voler l’hélicoptère sur Mars!» Didier Queloz jubile en apprenant la nouvelle au cours de l’interview avec cath.ch. Un nouveau pas vers une possible découverte de traces de vie sur la planète rouge qui ne peut que l’enthousiasmer. Le chercheur genevois a en effet été nobélisé de physique en 2019 pour sa découverte de la première exoplanète, avec son collègue vaudois Michel Mayor. Le vol d’aéronef fait également sourire Trinh Xuan Thuan, l’autre invité d’honneur de l’UNIGE à l’occasion de l’inauguration «d’A Ciel ouvert». L’astrophysicien et auteur bouddhiste rêve aussi depuis tout petit de découvrir ce qui se cache au-delà des étoiles et des apparences. Interview croisée.

Le dialogue entre astrophysique et spiritualité, y croyez-vous réellement?
Trinh Xuan Thuan: Pour moi c’est une évidence, je fais ce lien depuis la rédaction de mon premier ouvrage. On m’avait demandé de faire un livre sur le Big Bang, et à mesure que je rédigeais, des questions métaphysiques surgissaient inévitablement. Où va l’univers? D’où venons-nous? Ce sont certes des questions qui préoccupent plutôt les théologiens. Mais peut-être que la science a aujourd’hui assez de moyens pour donner des réponses.

«Dans le bouddhisme, il existe une cohérence intellectuelle avec certains principes de physique»

Trinh Xuan Thuan

Didier Queloz: Ce dialogue est-il possible? Apportera-t-il quelque chose? Cette expérience «d’A Ciel ouvert» permettra de le savoir, c’est déjà son mérite. Si on ne se jette pas à l’eau on ne peut pas apprendre à nager.

De toute façon, il ne faut pas cloisonner les domaines de la vie, je suis convaincu qu’un dialogue, quel qu’il soit, apporte quelque chose. L’université fonctionne actuellement de manière plus ou moins clanique. Cette initiative va dans le bon sens, dans le futur de l’université. Avec des modèles jointifs.

Quels sont les écueils auxquels prendre garde?
TXT: Il faut être honnête et ne pas laisser croire que l’existence de Dieu peut être démontrée par des équations mathématiques. On ne peut pas voir Dieu au bout de sa lorgnette. Le scientifique doit dire clairement: ici s’arrête la science, ici commence la métaphysique ou l’opinion personnelle. Mais il est malgré tout très important de poser des questions.

Il faut en général éviter de faire des amalgames. La science a ses méthodes propres et elle fonctionne très bien sans spiritualité. Je dirais que c’est une autre fenêtre sur le réel, comme le sont la spiritualité ou l’art. Il faut éviter de cloisonner, de prendre à la lettre ce que certains textes sacrés disent.

Ce qui ne veut pas dire que des relations ne sont pas possibles. Dans le bouddhisme, que je connais bien, il existe une cohérence intellectuelle avec certains principes découverts en physique. Notamment l’impermanence, puisque l’univers ne cesse d’évoluer. L’interdépendance, aussi, puisque tout dans l’univers est constitué des mêmes éléments, nous sommes tous des poussières d’étoiles.

«Je n’ai absolument aucun doute que la vie existe ailleurs»

Didier Queloz

Remarquez-vous une évolution dans ce dialogue entre spiritualité et science? On a l’impression qu’il se crée de plus en plus de passerelles…
DQ: Il est remarquable que l’on cherche à aller dans une vision davantage humaniste du monde. A Cambridge, où je travaille, ce concept est évident, on assiste à des séminaires qui vont du latin à l’étude psychanalytique de Shakespeare.

Quelle est votre conviction concernant l’existence de la vie/de la vie intelligente au-delà de la Terre?
DQ: Je n’ai absolument aucun doute que la vie existe ailleurs, parce que la physique nous a montré que ce qui se passait sur terre se passait partout dans l’univers. Mais ce que l’expérience ‘vie’ y a produit, c’est une autre question. L’intelligence est-il un objectif toujours atteint? Faut-il un événement particulier? Il n’y a pas de réponses à ce jour, mais il est certain qu’on en aura.

Didier Queloz est persuadé que la vie existe ailleurs que sur terre | © Bernard Hallet

Qu’est-ce que provoquerait selon vous, au plan spirituel, une telle découverte? Certains courants de pensée sont-ils mieux «armés» pour l’intégrer?
TXT: il est clair que les implications seraient immenses sur le plan métaphysique. Je pense en effet que cela serait moins problématique pour une spiritualité comme le bouddhisme que pour d’autres, comme le christianisme. Si seul celui qui a accès au Christ peut être sauvé, alors les extraterrestres sont voués à la damnation éternelle, ou alors il faut démultiplier le Christ pour chaque civilisation extraterrestre. Le christianisme met en effet l’homme au centre, lui donne un rôle particulier parmi toutes les espèces. Pour le bouddhisme, toute forme de vie, donc aussi un extraterrestre, peut être un «support matériel».

Selon vous, l’univers, la vie, sont-ils issus d’un principe créateur ou du hasard?
TXT: Je souscris au principe anthropique fort (principe épistémologique selon lequel les observations de l’univers doivent être compatibles avec la présence d’un observateur doué de conscience). Pour moi, l’univers tend vers la vie et la conscience. Tous les scientifiques sont d’accord que les choses ont été réglées de manière extrêmement fines pour l’apparition de la vie. L’univers doit posséder une propriété qui fait que nous sommes bel et bien là.

«La science moderne est l’enfant des constructions théologiques du passé»

Didier Queloz

DQ: Pour répondre à cette question il faudrait d’abord définir ce que l’on entend par ‘hasard’. S’agit-il d’une vision spirituelle ou formelle? Il y a certes un ordre visible dans l’univers. On ne peut pas dire que le monde est ‘hasard’. Mais y a-t-il un plan? C’est une autre question. Des hommes ayant vécu 100’000 ans avant nous auraient pensé, en voyant la fusée amenant des hommes sur la lune, qu’il y a là un plan spirituel. Alors que c’est juste l’accumulation des connaissances qui l’a rendu possible. Il y a tellement de possibilités dans l’univers… à force de jouer à la loterie, vous allez finir par gagner.

Au-delà, la question du sens est beaucoup plus personnelle. Elle touche à la perception spirituelle de notre propre être, à la conscience. Mais c’est un domaine dans lequel je me déclare incompétent, bien qu’il me fascine. Et j’espère que ce projet d’astrophysique et spiritualité va également intégrer cet aspect.

A vous entendre, les divers domaines de la culture humaine sont comme une immense boîte à outils…
DQ: Tout à fait. Il y a un triptyque fondamental à prendre en compte: la spiritualité, la force brute, puis la science, qui nous permet d’aborder la connaissance du monde extérieur, et enfin la connaissance intérieure: la psychologie ou la neuropsychologie.

Thrin Xuan-Thuan voit des convergences entre le bouddhisme et des découvertes de la physique | © Bernard Hallet

J’admire la spiritualité, mais je ne prête pas beaucoup d’attention à la religiosité, qui est néanmoins fascinante pour l’histoire de l’homme. Si on peut voir l’antagonisme, on peut aussi voir le fantastique moteur qu’elle a été. Quand on prend certains textes très anciens qui parlent de dieux de religions de mythes, on constate des attitudes tout à fait rationnelles. La science moderne est l’enfant des constructions théologiques du passé. Mais il faut toujours remettre les choses dans leur contexte.

TXT: La spiritualité est une marque de l’humanité. L’humain en a besoin pour se développer. La science n’aide pas dans les décisions morales et éthiques, mais la spiritualité oui.

J’ai commencé mes études avec des professeurs qui étaient des sommités scientifiques, de grands esprits créatifs. Mais j’ai vite découvert que sur le plan moral et éthique, ils étaient comme la moyenne des personnes. Donc le génie scientifique ne suffit pas pour assurer l’avenir de l’humanité. A cet égard, la spiritualité est un facteur essentiel. (cath.ch/rz)

L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan ainsi que l’astronome Didier Queloz sont les invités de la table ronde organisée le 20 avril 2021 par la Faculté de théologie de l’Université de Genève (UNIGE) en collaboration avec des membres du Département d’astronomie de la Faculté des sciences de l’UNIGE. Cette soirée lance le programme «A Ciel Ouvert – Science et Spiritualité».

A voir ou revoir sur Léman Bleu le 20 avril à 21h30

Le programme «A Ciel Ouvert- Science et Spiritualité» est né d’une volonté commune de rassembler des membres de la Faculté de théologie et du Département d’astronomie de la Faculté des sciences pour stimuler le dialogue interdisciplinaire sur l’énigme des origines, la place et le sens de l’être humain dans l’Univers. BH

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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