Evangile de dimanche: Jésus, bon berger

Dans son Quart-Livre, François Rabelais raconte la savoureuse histoire de Panurge, un des compagnons de Pantagruel. Au moment où il tente d’acquérir un mouton, son vendeur fait monter l’enchère outre mesure, prétextant que sa bête fait partie de la race de la Toison d’Or. Panurge, vexé d’avoir été grugé se venge en jetant son achat à la mer. L’esprit grégaire opère sans surprise et provoque les ravages attendus: le troupeau tout entier suit le premier mouton et se noie, entraînant du surcroît avec lui le marchand qui tente de les retenir!

Va donc pour l’image de Jésus, bon berger. Par contre, son corollaire de peuple-troupeau reste en travers de la gorge. D’autant que l’histoire de l’Eglise – ou plus largement celle de l’humanité – excède de mauvais exemples. Quiconque a eu l’occasion de voir le film au ton autobiographique de Sarah Suco, Les Eblouis, sorti en 2019, pourrait bien voir des petites lumières rouges s’allumer dans sa tête au moment de la proclamation de cette phrase d’Evangile «Je suis le bon Berger!»

D’autres avant et après Jésus se la sont appropriée au point de la dévoyer en exploitant la crédulité de brebis égarées, et en se révélant après coup, beaucoup plus proches du loup que du pasteur!

«L’image du bon berger reste profondément belle. Parce que dans la bouche de Jésus elle est lavée de tout soupçon d’inauthentique.»

Le hasard des racines hébraïques – ou leur capacité exemplaire à susciter la réflexion – confond d’ailleurs les verbes «mener un troupeau» et «faire du mal». Ces deux homophones présentent même dans certains cas une orthographe strictement identique. Comme si la langue de ce peuple éminemment pastoral suggérait depuis toujours que l’écart entre un bon berger et le gourou de la pire espèce pouvait être des plus ténus.

Pourtant l’image du bon berger reste profondément belle. D’abord parce que dans la bouche de Jésus elle est lavée de tout soupçon d’inauthentique. Les récits de la Passion contemplent dans une profondeur inégalable ce que l’expression «donner sa vie» signifie lorsqu’elle est incarnée par le Christ.

Les époux se le disent au moment où ils échangent leurs vœux, beaucoup le désirent ardemment à l’heure où ils s’engagent, mais combien se rétractent avec Pierre au moment où la mort menace, ou plus quotidiennement lorsque s’invitent les premiers signes d’agacement ou d’inconfort?

Il n’y a guère que la croix pour mener à sa plénitude, dans son excessive liberté, l’exigence de cette toute petite phrase. Sur le Golgotha le silence de l’Agneau-Berger en dit plus long que n’importe quelle promesse.

«A tous ceux qui continuent de clamer ‘hors de l’Eglise pas de salut’, Jésus berger redit qu’il a des brebis ailleurs.»

L’image du bon berger reste profondément belle encore, parce que Jésus l’associe à des traits inédits. L’extrait d’aujourd’hui en nomme deux en particulier. Le premier évoque une connaissance conjointe: «Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent comme le Père me connaît et que je connais le Père.» Réciprocité désirée à l’échelle de la communion entre le Père et le Fils. Nulle tour d’ivoire ni chasse gardée, encore moins de voile ténébreux autour d’un maître obscur. Jésus s’intéresse à nos vies et se donne simultanément à connaître pour que chacun puisse avoir accès à la sienne.

Le second fait rempart à toute idée de clan: «J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos.» Cette affirmation a dû chiffonner les oreilles de bon nombre d’auditeurs tant elle professe l’inattendu. A tous ceux qui continuent de clamer «hors de l’Eglise pas de salut», Jésus berger redit qu’il a des brebis ailleurs.

Sa mission n’est pas dévolue à un petit club qui le lui rendrait bien, ni même à une nation élue ou une assemblée sainte. Mais à tous. Les hors frontières, les inclassables, les errants hors pâturages, les marginaux, les ignorants, ou pour reprendre ses mots à lui, les prostituées et les publicains. Tous ceux et celles qui, en quête de liberté, aspirant à la vie en plénitude, redoutent peut-être de suivre un guide, mais s’apprêtent à entendre une voix tout intérieure qui les appelle.

Didier Berret | Vendredi 23 avril 2021


Jn 10, 11-18

En ce temps-là,
Jésus déclara :
« Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger,
qui donne sa vie pour ses brebis.
Le berger mercenaire n’est pas le pasteur,
les brebis ne sont pas à lui :
s’il voit venir le loup,
il abandonne les brebis et s’enfuit ;
le loup s’en empare et les disperse.
Ce berger n’est qu’un mercenaire,
et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ;
je connais mes brebis,
et mes brebis me connaissent,
comme le Père me connaît,
et que je connais le Père ;
et je donne ma vie pour mes brebis.
J’ai encore d’autres brebis,
qui ne sont pas de cet enclos :
celles-là aussi, il faut que je les conduise.
Elles écouteront ma voix :
il y aura un seul troupeau
et un seul pasteur.
Voici pourquoi le Père m’aime :
parce que je donne ma vie,
pour la recevoir de nouveau.
Nul ne peut me l’enlever :
je la donne de moi-même.
J’ai le pouvoir de la donner,
j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau :
voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

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