«La figure de Jean Paul Ier ne peut pas être balayée si vite»

Pape éphémère, Jean Paul 1er toucha les esprits par son humilité et son style proche des gens. Le journaliste français Christophe Henning publie un Petite vie de Jean Paul Ier, première biographie en langue française d’Albino Luciani. Il retrace la trame existentielle et magistérielle du ‘pape au sourire’.

Cité du Vatican, 26 août 1978: les cardinaux électeurs se réunissent pour élire le successeur de Paul VI, décédé 20 jours plus tôt. Au quatrième tour du scrutin est élu le cardinal italien Albino Luciani. La surprise est grande. Car le patriarche de Venise était loin de faire partie des favoris. Surnommé «le sourire de Dieu», Jean Paul Ier restera en fonction 33 jours, avant de décéder d’un infarctus. Malgré son bref pontificat, il a inauguré une nouvelle ère pour la papauté, en lui conférant une dimension plus humaine.

Christophe Henning | DR

Pourquoi publier maintenant une biographie de Jean Paul Ier?
Christophe Henning: En 2018, lors du 40e anniversaire de son élection et sa disparition, beaucoup d’activités avaient été organisées, sous l’impulsion notamment du cardinal Pietro Parolin, lui aussi originaire de Vénétie. À cette occasion, j’ai constaté qu’à part des ouvrages sur les conditions de son décès, il n’existait pas de biographie de Jean Paul Ier. C’est ainsi que l’idée est née.

À chaque fois que j’en parlais, elle suscitait des sourires: «Une biographie sur un pape de 33 jours? Tu n’auras rien à dire!». J’ai toutefois voulu voir de plus près. Car on ne peut parler d’un pape uniquement à partir de son pontificat…

Vous vous êtes intéressé à sa vie pour mieux comprendre son bref pontificat?
Oui, mon objectif était de montrer qu’il n’était pas devenu pape par hasard, même s’il y a eu certes un concours de circonstances. Il y a une dimension humaine, une profondeur spirituelle et une sensibilité ecclésiale chez lui qui ont dû prévaloir à ce choix et qu’on ne peut pas balayer si vite.

Il était un homme de grande simplicité, qui n’aspirait pas à des hautes charges et qui avait une grande conscience du service. Raconter cela m’intéressait. Car les livres qui ont été publiés s’arrêtent juste sur les 48 heures qui ont suivi sa mort. L’important était de montrer que le message de Jean Paul Ier réside dans son existence-même, et non pas simplement dans les quelques décisions qu’il a pu prendre en 33 jours de pontificat.

«L’important était de montrer que le message de Jean Paul Ier réside dans son existence-même.»


Comment avez-vous procédé pour réaliser cette biographie?

J’ai collecté un peu partout des articles de presse de l’époque, mais aussi des documents plus récents liés au processus de béatification. J’ai cependant eu du mal à retrouver ses propres écrits, notamment des petites chroniques qu’il avait publiées aussi en français. Même s’il n’y avait pas de documents inédits, pour moi il était important de faire une synthèse de tout ce matériel.

Quel était le contexte ecclésial lors de son élection?
D’une part, on se trouvait à la sortie du Concile Vatican II. D’autre part, la vie ecclésiale faisait face à une sorte de sécularisation. De nombreux prêtres remettaient en cause leur sacerdoce et se mariaient. De plus, il y avait une grande incertitude en termes de liturgie, avec des innovations sur quels les évêques reviendront petit à petit.

Il y avait aussi une prise en compte de la dimension universelle de l’Eglise, qui avait commencé au Concile: l’Eglise catholique se décentrait de plus en plus. Et le fait qu’à ce jour, il est le dernier pape italien, ce n’est pas un anodin. À ce moment de bascule, Jean Paul Ier est l’homme-charnière qui assure la jonction entre l’Eglise du XXème et celle du XXIème siècle, vers une nouvelle forme de «faire Eglise».

L’Eglise de l’époque était en effet tiraillée entre le souhait de garder son «prestige» et la volonté d’accéder à une forme de simplicité – ce que Paul VI avait déjà inauguré, avec une attention particulière adressée au monde politique. Car c’étaient aussi les années de la confrontation avec le bloc communiste, grande inquiétude pour l’Eglise de l’époque.

«Jean Paul Ier est l’homme-charnière qui assure la jonction entre l’Eglise du XXème et celle du XXIème siècle, vers une nouvelle forme de «faire Eglise».»

Pour quelles raisons le collège cardinalice a donc choisi de confier la conduite de l’Eglise universelle au Cardinal Luciani?
D’une part, il connaît très bien l’Eglise et notamment l’Eglise italienne. En dépit de sa simplicité, c’est un homme qui a participé au Concile, a été nommé par Paul VI comme patriarche de Venise, est devenu vice-président de la Conférence épiscopale italienne…  Un homme à la fois discret, mais vivant une dimension de service telle, qu’il a été sollicité à assumer de nombreuses responsabilités. D’autre part, le cardinal Luciani apparaît comme un homme d’un véritable équilibre entre les deux courants au sein du collègue cardinalice. C’est un élément fondamental pour comprendre l’élection de Jean Paul Ier.

C’est-à-dire?
Lorsque le conclave se réunit en 1978, il y avait ceux qui voulaient mettre en œuvre Vatican II et ceux qui voulaient revenir en arrière, en effaçant cette ‘malheureuse parenthèse’ que fut le Concile. De plus, il fallait quelqu’un de jeune et d’efficace, alors que l’église sortait de années très difficiles et de la mort de Paul VI.
Chez Mgr Luciani, on percevait une maturité par rapport au Concile. Il avait cette capacité de chercher des nouvelles façons de vivre sa foi, mais il était également très respectueux de l’ordre établi. Dans la ligne du Vatican II et tout à fait prêt à suivre Paul VI, il était une personnalité rassurante.

Jean Paul Ier | © Vatican News

Un pontificat bref, mais qui a laissé des traces…
Oui, car Jean Paul Ier était un homme très libre. Il a pris à cœur les dossiers, tout en ayant le sentiment d’être écrasé par la charge. Il n’a pas pris de décisions marquantes. Il y a surtout une grande disponibilité au service. La simplicité et le service ont été le fil rouge de son pontificat. Quand il commence ces catéchèses du mercredi, par exemple, il fait venir un enfant de cœur et explique le don de la foi à partir de l’histoire de vie de cet enfant – une attitude que l’on retrouvera avec le pape François.
Il humanise la figure du pape, en refusant la seda gestatoria (chaise à porteurs), même s’il fut obligé de la reprendre, car autrement on ne le voyait pas – il n’y pas encore de papamobile à l’époque!

«Jean Paul Ier était un homme très libre. Il a pris à cœur les dossiers, tout en ayant le sentiment d’être écrasé par la charge.»

Tout de suite, il change le style. Il semblerait même qu’il soit sorti de nuit (comme plus tard le pape François) pour se promener à Rome. Ce qui a mis en alerte les responsables de la sécurité du Saint Siège.

Le processus de béatification est en cours depuis 2003. Où en est-il?
On est un peu dans l’attente d’un miracle. Un premier miracle avait été reconnu dans un premier temps, puis a été rejeté. C’est touchant; dans la dimension de simplicité inhérente à sa personne, le fait que sa béatification résiste un peu ne peut pas m’empêcher d’y voir un petit clin d’œil de l’histoire. Il aurait souri à l’idée d’être béatifié ou canonisé, car cela correspondait très peu à son style.
Sa béatification, et sa canonisation, rappelleront qu’un homme simple peut innover une manière d’être différente, par son style et son sens du service, en faisant entrer l’Eglise dans une autre dimension. (cath.ch/dp)

> Christophe Henning: Petite vie de Jean Paul Ier, Editions Artège, 2021, 144p.

Jean Paul Ier, le «sourire de Dieu»
Albino Luciani est né le 17 octobre 1912 à Canale d’Agordo, au nord de l’Italie. Issu d’une famille très modeste, il est ordonné prêtre en 1935. Brillant étudiant, il obtient un doctorat en théologie à l’Université pontificale grégorienne de Rome. Il est consacré évêque de Vittorio Veneto par le pape Jean XXIII en 1958. Entre 1962 et 1965, il participe au Concile Vatican II.
Le 15 décembre 1969, il devient patriarche de Venise et, trois ans plus tard, il prend la vice-présidence de la Conférence épiscopale italienne. Il est élevé à la pourpre cardinalice en mars 1973 par Paul VI.
Le 26 août 1978, il devient le 263e pape de l’Église catholique, en succédant à Paul VI. Il prend le nom de Jean Paul Ier, en hommage à ses deux prédécesseurs (Jean XXIII et Paul VI), mais aussi par allusion à la Basilique des Saints-Jean-et-Paul (San Zanipolo), où reposent un grand nombre de doges de Venise et où travaillait sa mère. Le choix étonne: jamais, dans l’histoire de l’Eglise catholique un pape n’avait choisi un nom composé.

La première biographie en français de Jean Paul Ier
Après avoir travaillé à Pèlerin Magazine, Christophe Henning est aujourd’hui journaliste au quotidien La Croix et animateur sur Radio chrétienne francophone (RCF). Il est l’auteur de nombreuses biographies de grandes figures religieuses, comme Petite vie des moines de Tibhirine (2006), une Petite vie de Jean Paul II (2005) et une Petite vie de Paul VI (2014).

 

Davide Pesenti

Portail catholique suisse

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