La mosquée controversée de Strasbourg sans soutien de la municipalité

Bernard Litzler pour cath.ch

La nouvelle mosquée Eyyub Sultan de Strasbourg ne bénéficiera pas du soutien financier de la municipalité. Le 15 avril 2021, les promoteurs du projet ont retiré leur demande de subvention, pourtant acceptée par la mairie. L’affaire fait ressurgir la controverse sur le statut du régime concordataire, un régime dérogatoire par rapport à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Le bras de fer entre la ville de Strasbourg et l’Etat français a tourné court. Le 22 mars dernier, la municipalité de la capitale alsacienne votait une subvention de 2,5 millions d’euros pour la nouvelle mosquée Eyyub Sultan, en cours de construction. Ce subside était destiné à l’association Millî Görüs (CIMG), porteuse du projet.

Aussitôt, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin réagissait : «La mairie verte finance une mosquée soutenue par une fédération «d’origine turque» qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam de France et qui défend un islam politique». L’accusation est grave: l’ingérence de la Turquie était pointée du doigt.

Allégeance à Ankara?

Coup de théâtre le 15 avril: les «porteurs du projet» retirent leur demande de subvention, annonce Jeanne Barseghian, la maire de Strasbourg. La municipalité a-t-elle cédé aux pressions politiques? Ou a-t-elle perçu comme dangereux le soutien d’une organisation musulmane d’origine turque?

La maire rappelle avoir «conditionné le versement d’une subvention à la confirmation par l’association de son inscription dans les principes républicains et à la présentation d’un plan de financement transparent». Pour sa part, Eyüp Sahin, président de la CIMG Est et du futur lieu de culte, s’indigne: «Ce n’est pas tolérable dans un grand pays comme la France». Et il récuse les accusations d’allégeance à Ankara ou de «séparatisme».

Lettre aux Strasbourgeoises

Millî Gorüs clame son «adhésion aux principes de la République» et son «rejet de l’influence des Etats étrangers». Pourtant, le CIMG, membre du Conseil français du culte musulman (CFCM) avait refusé, avec d’autres fédérations du Conseil, de signer en janvier 2021 la «Charte des principes pour l’islam de France», promu par le président Macron dans sa lutte contre le séparatisme.

Le 16 avril, la maire Jeanne Barseghian adresse dans la presse locale une «Lettre aux Strasbourgeois». Elle précise que le projet de la mosquée turque date de 2017. Et elle accuse l’Etat de ne l’avoir jamais alertée «quant au risque d’atteinte aux principes républicains et à la sécurité nationale par l’association porteuse du projet». L’élue fait également allusion à son combat «contre les discriminations faites aux musulmans comme elle combat l’antisémitisme sous toutes ses formes».

Des vagues

L’affaire fait des vagues jusqu’à Paris, lors de la discussion de la loi sur le séparatisme. Le 8 avril, au Sénat, un amendement a été adopté, prévoyant une obligation pour les collectivités locales d’informer l’Etat trois mois au préalable avant toute subvention publique pour la construction d’un lieu de culte.

Pour le ministère de l’Intérieur, cet amendement permet «d’éviter les ingérences étrangères et le financement des associations séparatistes». Selon l’entourage du ministère, cette mesure a été rédigée à la suite du vote de subventionnement de la mosquée strasbourgeoise.

Intérêt général

Localement, l’affaire fait ressurgir la controverse sur le statut du régime concordataire (voir encadré). Selon un sondage du 7 avril, 52% des Alsaciens-Mosellans seraient favorables à son abrogation. Mais les polémiques sur la laïcité à la française et sur la place de l’islam dans la République perturbent la discussion.

Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg | © Grégory Roth

Jean-Marie Woehrling, le président de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, indique que «les collectivités publiques d’Alsace et de Moselle ont de tout temps attribué des aides financières à des cultes divers». Car, dit-il, «faciliter les pratiques cultuelles peut présenter un caractère d’intérêt général» dans le sens de «contribuer à l’ordre public, la paix sociale, la bonne intégration des populations concernées».

De son côté, Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, défend également le droit local: «Le Concordat n’est pas un manquement à la laïcité, mais une autre forme de laïcité, du reste beaucoup plus facile à comprendre ailleurs en Europe». Et d’en présenter les avantages: «Depuis plusieurs années, nous allons dans le sens d’une organisation du culte musulman, ce qui me semble positif».

Alors que le projet de Grande Mosquée de Strasbourg avait obtenu en 2002 un subside de la municipalité et le soutien de Mgr Joseph Doré, prédécesseur de Mgr Ravel, le projet de mosquée Eyyub Sultan a été recalé. (cath.ch/bl)

Le régime concordataire en Alsace-Moselle
L’Alsace (Bas-Rhin et Haut-Rhin) ainsi que la Moselle sont sous le régime concordataire français qui date de 1801. Ce régime est dérogatoire par rapport à la loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat, dite loi de 1905. Les provinces de l’Est de la France y avaient échappé car faisant partie du Reich allemand entre 1871 et 1918. Le Concordat, signé entre Napoléon et le pape Pie VII, date de 1801. Il n’a pas été aboli après le retour de l’Alsace-Moselle en 1918.
Ce régime particulier reconnaît et organise les cultes catholique, réformé et luthérien ainsi que le culte israélite. Souvent contestée par la «France de l’intérieur», il a encore été validée en 2013 par le Conseil constitutionnel français. La reconnaissance des cultes garantit les cours de religion à l’école publique (primaire et collège) et la rémunération par l’Etat des ministres des quatre cultes reconnus. En outre, l’archevêque de Strasbourg et l’évêque de Metz sont nommés par le président de la République, après accord avec le Vatican.
Le statut particulier de l’Alsace-Moselle permet la construction libre de lieux de culte pour les religions «non concordataires» (islam, bouddhisme, judaïsme libéral, etc.). Et les associations cultuelles peuvent bénéficier de soutiens financiers directs, comme ce fut le cas en 2002 pour la Grande Mosquée de Strasbourg. BH

Rédaction

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