A. Kolly: «Avec 'Communio et progressio', l’Église change de registre»

Signée le 23 mai 1971, l’instruction pastorale Communio et progressio est une pierre milliaire dans la réflexion de l’Église catholique sur le monde des médias. Cinquante ans plus tard, ce texte garde toute sa pertinence, estime André Kolly, ancien directeur du Centre catholique de radio et télévision de Suisse romande (CCRT).

En vue du dimanche des médias, célébré en Suisse le 16 mai prochain, cath.ch a rencontré André Kolly qui a commencé sa carrière de journaliste au moment où paraît l’instruction pastorale Communio et progressio. Cinquante ans après sa rédaction, ce texte fondateur apporte encore des réponses aux défis de la presse contemporaine.

En 1971, ce document n’arrive pas par hasard. Il est attendu.
André Kolly: Communio et progressio est le fruit d’une longue élaboration et de nombreux échanges durant huit ans entre les responsables des organisations catholiques des médias, l’UCIP  (Union catholique internationale de la presse)  Unda (radio) et OCIC (Office catholique international du cinéma), qui s’étaient constituées en 1928 déjà, et l’Office pontifical des communications sociales créée à la suite du Concile Vatican II.
Le document du Concile Inter Mirifica avait été jugé plutôt décevant, issu d’un projet peu convainquant et d’un débat escamoté. Il avait d’ailleurs été une des déclarations qui avaient reçu le moins d’approbation des pères conciliaires, perdant des voix lors de chacun des votes successifs. Il avait cependant le mérite de demander la rédaction d’une instruction pastorale. Ce qui fut fait.  

«Communio et progressio a été le fruit d’un travail participatif»

Les professionnels des médias se mirent donc au travail.
Des représentants des médias de nombreux pays participèrent aux échanges: Italie, France, Suisse, Allemagne, Pays Bas etc. La rédaction finale est due à l’abbé Joseph Folliet, fondateur de La vie catholique, mais le texte a fait l’objet de centaines d’amendements. Contrairement aux autres documents pontificaux, habituellement rédigés par quelques personnes tenues au secret, Communio et progressio a été le fruit d’un travail que l’on qualifierait aujourd’hui de participatif. Ce qui était un gage de qualité.

A sa sortie, Communio et progressio a un impact certain, y compris hors de l’Église.
Le document a bénéficié d’un large plan de communication. On ne s’est pas contenté d’une présentation à Rome, mais il a été envoyé dans les offices catholiques du monde entier avec l’instruction explicite de le diffuser et de le faire connaître dans les milieux professionnels. Pour la Suisse, Mgr Jacques Haas, fondateur du Centre catholique de Radio et télévision (CCRT), qui était très fier d’avoir participé à son élaboration, l’a ainsi distribué à tous les responsables de médias du pays. La plupart ont été heureux de constater que l’Église s’intéressait si sérieusement à leur métier. J’ai l’impression que rarement un corps professionnel s’est aussi bien reconnu dans un document du Vatican.

Pour André Kolly, réduire les médias à un commerce est très inquiétant. | © Bernard Hallet

Qu’est-ce qui explique cet intérêt et ce bon accueil?
Le texte commence par une petite théologie des médias que l’on ne trouvait pas dans le document conciliaire. Le travail des médias est relié aux trois mystères de la création, de l’incarnation et de la résurrection. Dès le paragraphe 2, le document relève que «l’Église considère ces moyens de communication comme des ‘dons de Dieu'». On est donc sorti du langage moralisateur et utilitariste que l’on connaissait auparavant. Qui voulait que les médias sont bénits lorsqu’ils nous sont utiles et qu’ils n’ont pas de finalité pour eux-mêmes. Le rôle des médias n’est plus d’être simplement des haut-parleurs de la voix de l’Église et du pape, comme le disait Pie XI en 1931 au moment de la création de Radio Vatican.

«Ce n’est jamais une honte d’admettre que je ne sais pas tout à fait.»


Communio et progressio attribue un triple rôle aux médias. Ils aident l’Église à se révéler au monde; ils favorisent le dialogue à l’intérieur de l’Église et ils apprennent à l’Église les mentalités et les attitudes de l’homme contemporain. Ce qui correspond à la ‘lecture des signes des temps’ selon les intuitions du Concile. La capacité du document à ne pas être fermé sur lui-même est remarquable. Sa conclusion, au paragraphe 181, préfigure en quelque sorte l’arrivée et le développement des réseaux sociaux. Il y a vraiment une dynamique visionnaire.

La conception des médias comme lieu de dialogue ecclésial et social est donc au cœur de la réflexion.
Il me revient en mémoire la phrase prononcée par le Conseiller fédéral Joseph Deiss: «Les médias doivent être libres de tout dire pour que certains ne soient pas libres de tout faire». La formule est bien trouvée. Une autre sentence dit: «montrez-moi vos règlements de communication interne et je vous dirai s’il faut vous croire». Le problème de la crédibilité reste une question importante. Quant on écoute des hommes politiques, et souvent des gens d’Église, on se dit: ‘voilà un discours formaté’. C’est dommage, ce n’est pas fructueux pour le dialogue. Je ne dis pas qu’il faut être incompétent et ne pas connaître les processus de la communication, loin de là. Mais la transparence me semble une nécessité. Ce n’est jamais une honte d’admettre que ‘je ne sais pas tout à fait’. Ce que l’Église a beaucoup de peine à dire. Pourquoi n’avons-nous pas plus d’évêques «en chemin»?
Dans ce sens, la crise des abus sexuels a été salutaire. En révélant quelque chose de ses failles, l’Église aide aussi la société à découvrir les siennes et à libérer la parole.

Pour un dialogue fructueux, il faut une opinion publique y compris dans l’Église.
L’idée qu’une opinion publique peut et doit exister dans l’Église remonte au pape Pie XII. Il est important de pouvoir sentir et écouter les divers courants, sans devoir les condamner ou établir de hiérarchies. Cela va même plus loin, le décret sur les laïcs de Vatican II note que «les laïcs ont le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Église». On parle de sentiment, donc de ressenti, en vue d’une finalité qui est le bien de l’Église. Ce n’est pas seulement une possibilité, mais un devoir.

La hiérarchie peine encore parfois à intégrer cette idée. Même si elle s’en défend.
S’il y a des critiques, c’est qu’une problématique existe. Ne pas l’admettre, c’est nier le problème qui resurgira à un moment ou à un autre. Pour certains, c’est alors ‘la faute aux journalistes’. J’aime bien répondre que les journalistes sont tellement paresseux qu’ils n’inventent jamais rien. Un journaliste ou un organe de presse peuvent évidement être instrumentalisés, mais c’est une formule extrêmement facile et lâche. Alors que bien souvent, on distille intentionnellement une ‘petite phrase’, histoire de pouvoir la commenter ou la corriger ensuite.

«On ‘like’ ou on partage volontiers un ‘truc marrant’ sur Facebook sans se poser du tout la question de sa véracité»

Cette opinion publique est toujours plus confrontée aux «Fake news».
Communio et progressio livre un certain nombre de critères généraux sur la qualité de l’information, la vérification, la responsabilité du journalisme, l’intérêt pour le bien commun. Mais cela ne répond pas à la fabrication ‘industrielle’ de fake news, de nouvelles de contrefaçon, que l’on connaît aujourd’hui. Le monde a déjà vécu cela de manière tragique avec la propagande nazie orchestrée par Goebbels. Le pire est qu’on finisse par ne plus se rendre compte dans quelle mesure nous sommes complices. On ‘likera’ ou on partagera volontiers un ‘truc marrant’ sur Facebook sans se poser du tout la question de sa véracité. Ma belle-mère disait: «Les journaux c’est comme les ânes, on peut tout leur mettre dessus.»

André Kolly: «le journaliste doit faire preuve de discernement» | © Bernard Hallet

Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux ont une crédibilité incroyable, alors que les comptages de clics peuvent fait l’objet de marchandages, que les audiences peuvent être achetées, que les algorithmes vous livrent exclusivement ce qui vous plaît. Réduire les médias à ce type de commerce devient très inquiétant.

L’information est devenue une marchandise banale, un bien de consommation que l’on prend puis que l’on jette.
Oui, mais j’aimerais revaloriser l’idée de marchandise, dans le sens que l’information coûte quelque chose, qu’elle demande des professionnels, une organisation, qu’elle a été voulue et réfléchie. Qu’elle ne naît pas spontanément. Même si la valeur morale doit primer, elle a une valeur marchande. Des gens ont toujours tout vu sur des sites gratuits. Cela m’agace. Il faudrait faire une fois le calcul du prix d’une nouvelle en prenant en compte tous les acteurs impliqués.

«Le journaliste n’est pas un justicier, il est un témoin, un passeur, un médiateur»

Dans son message pour le dimanche des médias 2021, le pape François dénonce également le «journalisme photocopie».
Il faut une part d’expérience personnelle. Quand nous pourrons refaire du vrai journalisme de terrain, où l’on se déplace, où on ‘use ses semelles’, comme dit le pape, cela redonnera une toute autre dimension à notre travail. L’idée que l’on puisse faire des journaux sans journalistes grâce l’intelligence artificielle est inquiétante. A mes yeux, le terrain sera toujours irremplaçable pour essayer de saisir la réalité au plus près.

D’un autre côté, certains journalistes succombent parfois aussi à la tentation d’être des donneurs de leçon.
C’est détestable, le journaliste n’est pas un justicier, il est un témoin, un passeur, un médiateur. Son travail consiste à tisser des liens. Il évitera les jugements définitifs, même s’il doit faire preuve de discernement et ne pas donner à croire que tout se vaut. C’est en ce sens qu’il y a une relation avec le monde spirituel. Être témoin en disant: «venez et voyez» et non pas en assénant ses vérités. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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