Joël Pralong: «Au séminaire, j'ai été un pasteur, passeur de témoins»

L’abbé Joël Pralong quittera le séminaire cet été, après sept ans passés dans la maison de Givisiez (FR). Celui qui se définit comme un pasteur évoque pour cath.ch quelques souvenirs et la manière dont il a accompagné les jeunes tout au long de ces années.

Responsable du séminaire pour le diocèse de Sion et pour l’année de discernement, l’abbé Joël Pralong témoigne de son engagement auprès des jeunes. Il parle d’un travail concret de praticien qui lui a permis d’observer l’évolution des générations qui se sont succédé au séminaire.

Quel regard portez-vous sur ces sept ans passés au séminaire?
Abbé Joël Pralong: J’ai vécu cette période comme un ministère cadeau. Vivre avec ces jeunes et les former a été passionnant. J’ai toujours aimé les jeunes et c’est un monde que je connais bien. Malgré mon âge, j’ai toujours gardé un côté impulsif, toujours en recherche de la nouveauté. J’aime bien innover. Je me suis pleinement retrouvé.

Comment avez-vous réagi lorsqu’on vous a proposé le poste?
J’ai beaucoup entendu de titres à propos de l’institution: «directeur du séminaire», «répondant du séminaire», «supérieur du séminaire». Autant d’appellations qu’on aime bien en Eglise et qui m’ont toujours fait sourire. Quand Mgr Lovey (évêque de Sion, ndlr) m’a proposé d’y aller, j’ai eu un peu peur, mais il m’a dit: «J’ai besoin d’un pasteur pour le séminaire». ›Pasteur’, c’est le mot qui a provoqué le déclic pour accepter.

Cela me définit bien. J’ai vécu comme un pasteur, mais aussi comme un passeur de témoins. Ce n’est pas toujours facile de transmettre le feu qui nous habite dans les paroisses. Tandis que j’ai pu transmettre à ces jeunes, plus réceptifs, tout le feu qui m’habitait, cette passion pour l’évangélisation et du Christ.

«Dieu fait de la beauté avec ce qui est petit et de la richesse avec ce qui est pauvre.»

Comment avez-vous pris votre place?
Au début je me demandais ce que je faisais là, en regrettant de ne pas être resté en paroisse. Quelqu’un m’a dit: «Le Seigneur est venu t’appeler parce que tu es le plus petit du diocèse.» Effectivement avec mon mètre soixante-deux, je suis le plus petit du diocèse (rires).

C’est ce que j’essaye de transmettre à ces jeunes. Dieu fait de la beauté avec ce qui est petit et de la richesse avec ce qui est pauvre. Moi qui était hyperactif, cela m’a demandé une véritable conversion, au début, pour être stable. J’ai vu par la suite que c’était important pour vivre dans un esprit de communion et pour apprendre à se connaître.

Être prêtre, c’est d’abord apprendre à être moi-même, à vivre avec mes paysages intérieurs tordus, avec un tempérament que je n’aime pas, un caractère que je n’accepte pas toujours pour en faire un pays qu’il faut laisser visiter par Dieu. Ensuite on trouve une unité en soi-même.

Trop longtemps, le prêtre a été mis sur un piédestal, maintenant c’est le contraire: derrière chaque curé, on voit un pédophile potentiel. On est passé d’un extrême à l’autre. Je suis donc d’autant plus admiratif de voir arriver ces jeunes au séminaire avec tout ce qu’on vit en Eglise.

«Être prêtre, c’est d’abord apprendre à être moi-même.»

Vous accompagnez des jeunes vers la prêtrise, qu’est-ce qui vous a tenu le plus à cœur dans cette formation?
Les aider à être eux-mêmes. Je leur ai rabâché durant sept ans que Dieu est venu les chercher justement parce qu’ils étaient pauvres. «Soyez-vous-mêmes, soyez des humains avec vos blessures, avec ce que vous n’aimez pas en vous, avec des échecs et faites de tout cela des alliés.»

Jeune séminariste, j’avais de la peine à m’accepter. Dans ces années-là, l’image du prêtre était celle de l’homme intelligent, omniscient, qui possédait la doctrine, et qui devait être aussi polyvalent qu’une salle de Gymnastique: être un animateur, savoir parler aux enfants, aux jeunes et aux adultes. Et être aussi capable d›organiser et d’administrer une paroisse. Cela me paniquait et je me disais: «je suis condamné à réussir». Jusqu’au jour où mon père spirituel m’a dit: «Tu n’es pas condamné à réussir, tu es condamné à aimer.» Ce qui signifie: apprends à être toi-même sous le regard d’un Dieu qui t’aime. Avant d’être saint, sois un humain.

Dans quel état d’esprit avez-vous vécu pendant ces années?

J’aime beaucoup la théologie, mais je pense que je suis plutôt un praticien. J’ai été passionné de philosophie, de théologie, de psychologie surtout, mais quand on parle d’un sujet, d’un concept, j’en vois tout de suite l’application concrète. Dans ce sens, j’ai été un pasteur. Au séminaire, je suis dans une paroisse avec 100% de pratique… et des pratiquants qui ne s’endorment presque jamais! J’ai aussi vécu comme témoins en leur racontant mon expérience de prêtre.

Je paraphrase volontiers la parabole du bon Samaritain: «Il faut avoir été ramassé soi-même sur le bord du chemin pour en ramasser d’autres».

«Quand on parle d’un sujet, d’un concept, j’en vois tout de suite l’application concrète. Dans ce sens, j’ai été un pasteur.»

Quel est le profil des jeunes qui entrent au séminaire?
Ils viennent de tous les horizons et pour le Christ, appelés par le Christ, «au service de» l’Eglise. Ces jeunes sont aussi en recherche de profondeur et de vérité. Cette dimension est vraiment marquée. Et à partir du Christ, on peut bâtir l’humain.

Ils n’arrivent pas en se prétendant omniscients avec l’intention de changer l’Eglise. Ils sont humbles, assoiffés de connaissance et de Dieu. Ce sont des pages blanches, à la différence des générations précédentes qui s’engageaient pour «rendre service à» l’Eglise qui passaient la porte du séminaire en disant: «Je sais ce qui est juste et comment je vais changer l’Eglise».

Qu’est-ce qui les caractérise en particulier?
Les jeunes arrivent dans la maison avec moins de points de repère humains et moraux que je n’avais à leur âge, certains n’ont même pas reçu ces repères. Ce qui les fragilise. Certains ont des parents divorcés, d’autres des parents non croyants. Paradoxalement, c’est plus compliqué aujourd’hui. Ils viennent d’un monde de la surconsommation, individualiste, où les gens ne prennent plus le temps de se rencontrer.

Quelles ont été les conséquences de la crise des abus en Eglise sur la formation des séminaristes?
On a renforcé la formation sur l’aspect affectivité-sexualité. J’ai inauguré un cours de psycho-spiritualité qui fait le lien entre l’humain et le spirituel. Nous avons des psychologues qui donnent des cours. Par exemple, cette année, nous avons fait venir un sexologue de la France qui a été remarquable.

«Les jeunes arrivent dans la maison avec moins de points de repère humains et moraux que je n’avais à leur âge.»

On a aussi consolidé la cohésion de la communauté en renforçant un esprit de famille. L’abbé Nicolas Glasson (codirecteur du séminaire, ndlr) et moi travaillons avec une équipe, c’est central dans notre manière de faire.

Tout seul, j’aurais été perdu. Nous sommes aussi soutenus par le conseil, composé du vicaire général de Sion, Richard Lehner, des Pères spirituels du séminaire et d’un couple qui vit avec nous depuis quatre ans. Cela nous a permis d’avoir des perceptions très diverses du séminaire, ce qui nous aide beaucoup.

Qu’avez-vous observé chez ces jeunes?
Il me semble qu’on assiste à un retour à des fondamentaux, comme la vie mystique, la vie spirituelle, la connaissance. Les jeunes sont très attirés par la beauté de la liturgie. Certains aiment le chant grégorien, d’autres sont sensibles aux rites liturgiques, ou encore s’intéressent au rite extraordinaire de la liturgie. Ils ont un intérêt marqué pour le sacré que nous, les anciens, avons peut-être un peu négligé.

Cela fait peur aux aînés qui estiment qu’il y a un retour en arrière. Je ne le pense pas. J’y vois, en filigrane, une recherche de points de repère et une quête du sacré qu’ils n’ont plus.

Vous évoquiez de très jeunes séminaristes, des hommes en devenir, notamment par rapport au plan affectif. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait prendre des hommes mûrs ayant une plus grande expérience de la vie?
Dieu est libre d’appeler quand et qui il veut. Ensuite, à nous de voir si le candidat a les aptitudes humaines et s’il est capable d’accueillir un tel appel. C’est une question de discernement sur plusieurs années. Sainte Thérèse de l’enfant-Jésus était sainte à 24 ans et on vient de béatifier le jeune Carlo Acutis, mort en 2006, à l’âge 15 ans. Il n’a y a pas de limite au regard de Dieu.

«L’Eglise a toujours été un petit reste de gens convaincus, de ces «petits pauvres de Jahvé» tels qu’on les voit dans l’Ancien Testament.»

Êtes-vous optimiste pour la suite?
Plus qu’optimiste, je reste avant tout dans l’espérance en l’œuvre de Dieu. Il y a deux mille ans que l’Eglise existe, elle va continuer, mais sous une autre forme. Les épreuves que l’on traverse vont la diminuer inexorablement. Je cite volontiers le cardinal Journet: «Les frontières de l’Eglise passent par le cœur des gens», donc on ne sait jamais vraiment où est l’Eglise. L’Eglise a toujours été un petit reste de gens convaincus, de ces «petits pauvres de Jahvé» tels qu’on les voit dans l’Ancien Testament qui ont porté en fait la promesse de Dieu. Je rêve que les prêtres deviennent de vrais pasteurs moins accaparés par la gestion et plus proches des fidèles.

Garderez-vous un souvenir en particulier?
Je garderai l’image de la beauté intérieure d’un jeune qui s’ouvre à Dieu. Je suis touché de la confiance qu’un jeune peut accorder quand il se sent accueilli. Je m’émerveille de le voir devenir une œuvre de miséricorde dans les mains de Dieu. (cath.ch/bh)

Bernard Hallet

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