Charles Delhez: «La foi chrétienne est une histoire!»

Dans son dernier livre, «Si je vous contais la foi», le Père Charles Delhez invite à un chemin initiatique. A partir de contes et de récits puisés dans différents espaces religieux – Inde, judaïsme, islam –, il mène le lecteur au seuil de la rencontre avec ce «Dieu caché» qui se raconte.

Propos recueillis par Christophe HERINCKX, hebdomadaire Dimanche

Pourquoi raconter la foi plutôt que l’expliquer?
Père Charles Delhez: L’explication, aujourd’hui, ne «passe» plus auprès de nos contemporains. Un exemple significatif: on ne peut pas dire que le Catéchisme de l’Eglise catholique passionne encore beaucoup de monde. Par contre, nos sociétés vivent de récits. Notre vie a commencé par des récits, comme celui du petit chaperon rouge, et dans les milieux chrétiens, on baigne dans les récits bibliques. Les amoureux se font des récits à eux-mêmes: «Avec elle/lui, je me verrais bien…». Et à la fin de sa vie, on se repasse les grands récits de son existence, parfois avec bonheur, parfois avec un peu de nostalgie, parfois aussi avec des regrets.

«Le christianisme «a un goût de vieux café»… On l’a trop entendu. Il s’est trop imposé.»

Peut-on dire que la foi chrétienne est une histoire?
Oui, et c’est essentiel. Il s’agit même d›une triple histoire. C’est l’histoire d’un peuple, l’histoire de sa mise par écrit dans la Bible, et puis l’histoire de la lecture de ce livre. Je ne lis plus aujourd’hui l’histoire de la création de la même façon qu’avant la théorie de l’évolution de Darwin.
Tous les peuples procèdent par histoires. Dans mon livre, je vais chercher des histoires, des contes dans les différentes cultures. Pour parler comme le pape François dans son encyclique Fratelli tutti, toutes les cultures sont à la recherche d’une fraternité. A l’intérieur de la tribu, à l’intérieur de la nation, et à l’heure de la mondialisation, on rêve de plus en plus d’une fraternité universelle.  […]

«Il est nécessaire de passer par le stade critique, sinon je deviens un adulte naïf, et donc fondamentaliste.»

Dans votre livre, vous parlez aussi de ce grand récit qu’est la Bible. La critique moderne l’a remise en question. Comment lire la Bible de manière «juste» aujourd’hui?
Il y a beaucoup d’approches possibles de la Bible: historique, symbolique, poétique, narrative, théologique, éthique – les fameuses valeurs judéo-chrétiennes – spirituelle, religieuse, et même dogmatique. Dieu sait si, dans l’Église catholique on s’est servi de la Bible comme d’un réservoir de citations dogmatiques… Une personne qui aborde la Bible peut au moins la considérer comme un monument littéraire d’une exceptionnelle richesse.
Quand je suis enfant, j’écoute les récits bibliques de manière naïve. Vient ensuite l’adolescence et surtout l’âge critique, dans le sens positif du terme, et j’apprends notamment à distinguer, dans la Bible, ce qui est historique de ce qui ne l’est pas. Mais après avoir opéré ce «nettoyage» critique, qui m’a permis de quitter une certaine naïveté, je peux retrouver une naïveté seconde. Peu importe que Daniel ait vraiment été dans la fosse aux lions. Le message que je perçois dans ce récit, c’est qu’il est toujours possible, même dans les situations les plus dramatiques, de louer Dieu, parce que, comme le dit le psaume 117, «éternelle est la fidélité du Seigneur». Dans la vie spirituelle, il est nécessaire de passer par le stade critique, sinon je deviens un adulte naïf, et donc fondamentaliste. […]

Comment expliquer que la foi chrétienne n’arrive plus à faire entendre son récit aujourd’hui, y compris des personnes en quête de sens?
Parce que le christianisme «a un goût de vieux café»… On l’a trop entendu. Il s’est trop imposé. C’est une histoire trop ressassée, alors que nous vivons dans une société où l’on n’est pas en recherche de tradition, mais de nouveauté. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une période de transition où tout est questionné, ainsi l’économie ou notre rapport à la nature. Et puis, le message biblique va à contre-courant de nos évidences sociétales actuelles, qu’on pourrait résumer par «matérialisme» et «individualisme», en caricaturant un peu.

«Il y a une articulation entre l’humain et le divin qui est propre au christianisme.»

Quel serait, pour vous, la spécificité de la voie chrétienne si on la compare aux autres courants spirituels, disponibles aujourd’hui en Occident?
[…] Il faut être prudent lorsqu’on parle de spécificité de la voie chrétienne, parce qu’on ne connaît pas assez les autres traditions. Il faut se méfier de la comparaison. Il vaut mieux creuser sa propre tradition en continuant à dialoguer avec les autres.
Si je devais néanmoins dire les caractéristiques originales du christianisme, je dirais: «Dieu s’est fait homme». Donc, l’Incarnation. Il y a une articulation entre l’humain et le divin qui est propre au christianisme. Le Christ est central. Dans mon livre, il occupe 7 chapitres sur 13. Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens auraient tendance à en faire, de fait, l’économie.
La deuxième caractéristique, c’est la Trinité. Dieu vu non pas en termes de puissance, mais de relation d’amour. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’amour ou de relation dans les autres religions, mais l’accent est mis là-dessus dans le christianisme. Ce que les philosophes mettent sous le mot «Dieu» ou «Absolu», nous y mettons déjà une relation. Le fonds de l’être est relationnel. Ce n’est pas très original de dire cela, la science le dit aussi à sa façon. Une relecture de Darwin met l’accent sur la solidarité dans l’évolution, plutôt que sur le» struggle for life» (la lutte pour la survie).
La troisième chose, c’est un accent très fort placé sur la miséricorde de Dieu. Enfin, j’aime résumer les valeurs chrétiennes par la formule «Un peu plus qu’il n’en faut». On te demande de marcher cent mètres, fais-en deux cents, dit l’. On te demande ton manteau, donne aussi ta tunique. On te demande de pardonner sept fois, va jusqu’à septante fois sept fois…

Quelle place la foi chrétienne peut-elle occuper aujourd’hui dans notre société?
Notre société traverse un processus de déchristianisation rapide et radical. Dans ce contexte, ce qu’on cherche dans la société d’aujourd’hui, ce sont des gens qui s’engagent pour la société de demain. Pour le croyant, la foi chrétienne est source de son engagement: les valeurs, le sens, les motivations, je les trouve dans l’Evangile. Mais pour ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne, mon souhait c’est que le christianisme demeure une ressource. Le christianisme a nourri l’Occident pendant des siècles, certes pas toujours pour le meilleur, mais il y a des ressources dans le christianisme, et ce serait dommage de les ignorer.

«Il y a aujourd’hui un rejet, un ostracisme, une détestation du christianisme.»

Selon vous, les chrétiens font-ils suffisamment entendre leur voix dans les débats de société?
C’est là que se situe toute la difficulté. Il y a aujourd’hui un rejet, un ostracisme, une détestation du christianisme, Quand une personne se dit chrétienne, elle fait face à une «ironie goguenarde», comme le dit l’écrivain Jean-Claude Guillebaud. Faire entendre sa voix dans ce contexte-là, c’est très difficile. Je dois cultiver ma réflexion – philosophique, théologique, anthropologique – pour arriver à avoir un langage qui tienne compte de cette humanité qui, à mes yeux, est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Mais je ne peux pas parler de cette manière.[…] Aujourd’hui, je plaide pour que les chrétiens soient «en sortie». Il est important que nous rejoignions les 98% des gens qui ne sont pas catholiques pratiquants et que nous nous battions avec eux, pour l’idéal qui est le nôtre et le leur. Je crois que c’est là qu’on nous attend. Et quand il y a une parole à dire qui peut être entendue, il faut oser la dire. Cela ne veut pas dire que je suis pour une discrétion craintive. Je suis pour une discrétion intelligente.

Sur quelles thématiques attendez-vous en particulier les chrétiens?
J’en vois au moins deux. Premièrement, la société en transition. Quel est le monde nouveau que nous voulons bâtir ensemble pour nos enfants? Deuxièmement, la fraternité, un thème tellement évident qu’il n’est pas nécessaire d’insister. Il y a aussi la délicate question bioéthique, qui est un dossier très difficile, d’emblée clivant. Dans ce domaine, il faut que nous soyons compétents et prêts au dialogue.(cath.ch/dimanche/mp)

Charles Delhez
Charles Delhez est un prêtre, jésuite, belge, sociologue de formation. Il est Directeur des équipes Saint-Michel et conseiller spirituel national auprès des Equipes  Notre-Dame, qui réunissent les couples. Il a été maître de conférence et aumônier des étudiants à l’Université de Namur, et est actuellement curé de la paroisse de Blocry, à Louvain-la-Neuve. Le Père Charles Delhez est également connu comme chroniqueur et écrivain. CH

La Bible est une hisoitre

La Bible Source et ressource
Dans Si je vous contais la foi, son dernier livre, Charles Delhez propose un chemin initiatique à l’aide d’histoires. Prenant le lecteur par la main, il part de la question de la recherche de la paix intérieure et du sens du monde, et l’amène, au bout de l’histoire, jusqu’à la prière. Il clôt son livre avec cette phrase de Pascal: «Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé».
Ce chemin s’adresse avant tout à celles et ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne, mais qui cherchent un sens, une source, et qui ont envie de visiter la foi chrétienne. Charles Delhez entre en dialogue avec eux, comme avec les personnes qui sont prêtes à considérer le christianisme comme une ressource. Et bien sûr, ce livre s’adresse également à celles et ceux qui, tout en étant déjà chrétiens, veulent revisiter leur propre démarche de foi. CH

*Charles DELHEZ, Si je vous contais la foi, Editions Fidélité, 118 p

Rédaction

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