Inde: l'Eglise face au désastre pandémique

Alors que la pandémie de coronavirus fait des ravages en Inde, l’Eglise locale fait ce qu’elle peut pour aider les populations. Les leaders catholiques tentent notamment de faire pression sur le gouvernement pour qu’il intensifie son action.

Les images de rangées de bûchers improvisés sur des parkings ou des terrains vagues choquent le monde entier. Ils sont le signe bien visible d’une Inde meurtrie et dépassée par la pandémie de Covid-19. Le pays a passé début mai 2021 le cap des 20 millions de cas et des 200’000 morts. Les hôpitaux manquent d’oxygène pour soigner les malades, malgré la mobilisation récente de la communauté internationale.

La peur d’un nouveau confinement

Dans ce contexte apocalyptique, l’Eglise catholique en Inde se retrouve au front, en particulier parce qu’elle gère de nombreuses institutions de santé et d’aide aux plus démunis dans tout le pays.

Une personne sur deux à Calcutta, la grande ville de l’est de l’Inde, est positive, et dans le reste de l’État du Bengale c’est une personne sur quatre, affirme fin avril 2021 à Vatican News le Père Laurent Bissara, qui dirige sur place l’ONG Howrah South Point. Il y a un an, le virus se propageait surtout dans les villes, mais maintenant il fait des ravages aussi dans les régions rurales, note le prêtre des Missions Etrangères de Paris (MEP).

La structure qu’il dirige supervise notamment des écoles et des établissements spécialisés pour des enfants malades et handicapés. Elle contribue aussi à la prise en charge médicale d’environ 60’000 personnes par an, avec des dispensaires mobiles déployés au Bengale occidental.

Le Père Bissara s’inquiète également du probable confinement qui va arriver. «Il y a des familles qui n’ont pas de revenu, ou un très faible revenu, et pas de nourriture saine et régulière».

L’Eglise touchée

«La situation est très pénible et très incertaine pour la population», confirme Mgr Anil Couto, archevêque de Delhi, à l’organisation Aide à l’Eglise en détresse (AED). L’archidiocèse gère l’hôpital de la Sainte-Famille, dans la capitale indienne, qui bénéficie d’une très bonne réputation de soins. «La situation est stressante en raison du nombre écrasant de cas et du manque constant d’oxygène et même de personnel», déplore le prélat. «Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Seule notre foi nous permet d’avancer», assure l’archevêque, alors que sa région est l’une des plus touchées du pays.

«La situation est stressante en raison du nombre écrasant de cas et du manque constant d’oxygène et même de personnel»

Mgr Anil Couto

Dans son diocèse, trois religieuses sont décédées, dont une n’avait qu’une cinquantaine d’années. Bien qu’aucun prêtre ne soit mort, de nombreux laïcs ont également été victimes du virus. Dans le reste de l’Inde, 14 prêtres sont morts du virus, rien qu’entre le 20 et le 23 avril. Si des chiffres globaux ne sont pas encore disponibles, le bilan est sans aucun doute très lourd pour l’institution catholique.

Atteindre les plus vulnérables

L’Eglise indienne est pleinement mobilisée pour venir en aide aux habitants. Le Père Vincent Kundukulangara, un autre prêtre des MEP, dans l’État du Kerala, au sud-ouest du pays, assure au quotidien La Croix que l’Eglise catholique joue un rôle important dans la lutte contre le virus. «Dès le début, l’Église a ouvert ses institutions éducatives, caritatives, d’abord pour accueillir les ressortissants en quarantaine à leur retour en Inde, puis, sous le contrôle du gouvernement, pour accueillir les malades.»

Pour le prêtre, l’institution «a montré sa solidarité avec la population entière, en suivant strictement les directives données par les différents gouvernements locaux. Cela a été un fort témoignage pour suivre les règles».

«L’Eglise fait tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre les familles vulnérables, confirme le Père Paul Moonjely, directeur de Caritas India, dans une lettre du 5 mai 2021. Notre personnel de santé et nos bénévoles travaillent sans discontinuer pour suivre le rythme des mesures de santé.» Il relève que l’Eglise en Inde «a perdu tant de fidèles laïcs et de consacrés dans les efforts pour aider la population en détresse».

«L’Eglise fait tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre les familles vulnérables.»

Père Paul Moonjely

Dans de nombreux diocèses, des initiatives fleurissent pour assister les personnes touchées. L’archidiocèse de Ranchi, à l’est de l’Inde, a par exemple lancé un service de repas gratuit pour les proches des patients hospitalisés atteints du Covid, relate Vatican News.

La pastorale plus que jamais nécessaire

Au-delà du matériel, le soutien spirituel n’est pas négligé. «On ne saurait trop insister sur l’importance du travail pastoral en ces temps de crise: plus nous en faisons, plus les besoins sont importants», assure ainsi Mgr Couto. Depuis le début de la pandémie, dans l’archidiocèse de Delhi, les pasteurs ont essayé d’atteindre leurs fidèles en visitant les familles, en accordant des bénédictions à domicile, en apportant leur soutien en cas de maladie et de décès et en organisant des célébrations en ligne.

En Inde, la vie quotidienne est gravement perturbée par la pandémie | © Gwydion M. Williams/Flickr/CC BY 2.0

Malgré cela, «nous ne sommes pas en mesure de donner l’Onction des malades, regrette Mgr Couto. Il est impossible pour celui qui est atteint du Covid de recevoir ce sacrement. Et malheureusement, si la personne meurt, il n’est pas question que le prêtre s’approche du corps.» Aucun membre de la famille ne peut, non plus, assister aux funérailles.

Les catholiques pauvres n’ont en outre pas les moyens de couvrir les dépenses supplémentaires, liées aux mesures de protection sanitaire. Ils sont forcés de laisser les corps de leurs proches dans les hôpitaux pour qu’ils soient incinérés par les services publics sans enterrement chrétien. C’est ainsi qu’une équipe de 65 volontaires de l’archidiocèse de Bangalore, au sud de l’Inde, aide les familles à assurer à leurs proches une inhumation dans la dignité.

L’oxygène comme bien commun

Mais les responsables de l’Eglise indienne ont bien conscience que ce qu’ils font n’est qu’une «goutte d’eau dans l’océan», tant les besoins pour faire face à la pandémie sont immenses. En conséquence, ils s’efforcent de faire pression sur le gouvernement fédéral dirigé par Narendra Modi pour obtenir une réponse plus efficace dans la lutte contre la pandémie. Le cardinal George Alencherry, le chef de l’Église catholique syro-malabare, a notamment exhorté le gouvernement fédéral à considérer l’oxygène comme un bien de première nécessité, alors que celui-ci se vend sur le marché noir à un prix exorbitant.

Dans une interview à l’agence vaticane Fides, Mgr Prakash Mallavarapu, président de la Commission de la santé de la conférence épiscopale indienne, a déploré la complaisance des autorités et l’inconscience du public face à la crise. Alors que l’Inde a exporté plus de 60 millions de vaccins dans le monde, le pays connaît aujourd’hui une pénurie de doses.

Le prix de la légèreté

Mgr Theodore Mascarenhas, archevêque auxiliaire de Ranchi, a appelé le gouvernement à sortir du déni et à utiliser les grands moyens. Selon l’agence Ucanews, il a exhorté le Premier ministre Modi à mobiliser les forces armées.

«Nous avons pris la situation à la légère et maintenant nous en payons le prix.»

Mgr Anil Couto

Car pour beaucoup d’observateurs, comme de dirigeants chrétiens, des facteurs politiques sont notamment à l’origine de cette deuxième vague dévastatrice. «En raison d’élections législatives, programmées tout au long du mois d’avril dans cinq États différents de notre pays, d’énormes rassemblements politiques ont été autorisés sans aucun respect des protocoles contre le Covid, affirme notamment Mgr Couto».

Un fait qui s’explique aussi, selon lui, par le fait que certains des plus hauts dirigeants politiques étaient pleinement impliqués dans les campagnes. Par ailleurs, un rassemblement religieux hindouiste, la Kumbh Mela, qui attire des millions de pèlerins sur les bords du Gange, a également été autorisé par le gouvernement nationaliste.

«Nous avons pris la situation à la légère et maintenant nous en payons le prix», regrette l’archevêque de Delhi. (cath.ch/ag/arch/rz)

Raphaël Zbinden

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