Vaccins: les mécomptes du nationalisme

Certes un Etat a le devoir de protéger ses ressortissant(e)s. Mais la Covid 19 pose un redoutable problème aux tenants des thèses nationalistes. Pour se protéger, il faut aussi protéger les étrangers, sauf si l’on s’isole complètement du reste du monde.

A quoi servirait à la Suisse d’avoir un taux d’incidence proche de 0, si nos voisins (France, Italie, Allemagne…) subissaient un regain de la pandémie? Le confinement nous a montré que cet isolement était à terme invivable socialement et économiquement. Nous avons besoin de relations stables avec les pays limitrophes. Le raisonnement est le même pour des pays plus lointains. Si l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud restaient fortement contaminées, nous en supporterions les dures conséquences à travers les variants du virus.

Or à quoi assiste-t-on? Contrairement aux discours officiels, les USA, la Grande-Bretagne mais aussi l’Inde ont réservé leurs vaccins à leurs nationaux en interdisant les exportations, y compris de leurs composants. La Chine et la Russie, qui pratiquaient une diplomatie du vaccin, ont infléchi leur stratégie, car elles ont la plus grande peine à produire suffisamment de doses pour leurs nationaux. Le seul dispositif mis en œuvre par l’OMS pour favoriser la solidarité pour les pays les plus pauvres (dispositif dit Covax auquel la Suisse participe) n’a rassemblé que 49 millions de doses au lieu des 2 milliards prévues.

En guise d’enfumage, le président des USA a proposé de lever à titre provisoire le droit à la propriété intellectuelle sur les vaccins à la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud. Cette proposition est surprenante puisque les USA refusent toute exportation. Mais elle est de plus illusoire pour plusieurs raisons. En premier lieu parce que ce n’est pas le vaccin qui est un bien public mais la santé de tous. C’est pour cela que l’on parle d’un droit à la santé. Le vaccin n’est qu’un moyen pour parvenir à celle-ci, comme le rappelle a contrario l’état critique des systèmes hospitaliers en Inde et au Brésil où on manque de tout, en particulier d’oxygène. Le vaccin est un bien marchand qui ne peut être rendu accessible à tous qu’au moyen d’un subventionnement interne (la protection sociale) ou externe (l’aide internationale).

«Face à un rationnement inévitable et provisoire du vaccin, donnerons-nous la priorité à nos peurs et à une sécurité illusoire?»

En second lieu, il existe à l’heure actuelle deux types de vaccins. Les vaccins traditionnels et les vaccins à ARN Messager. Quand on parle de suspendre les brevets, on fait référence aux seconds, les premiers produits par l’Inde, la Chine et la Russie étant déjà largement dans le domaine public. Ce que veulent l’Inde et l’Afrique du Sud, c’est accéder, non à un vaccin, mais à une nouvelle technologie. Or celle-ci est en plein développement (cf la Suisse et ses usines Lonza) et loin d’être amortie (la durée minimale est de cinq ans). Cela signifie que cette nouvelle technologie ne pourra être diffusée largement que dans quelques années. Angela Merkel l’a compris, de même que la Commission européenne et la Suisse, en refusant cette promesse de suspension de la propriété intellectuelle.

La situation mondiale de la pandémie exige pourtant des solutions dans les deux ans. Celles-ci supposent d’abord des progrès substantiels dans la production et la distribution de vaccins. Ces progrès ne peuvent venir que de deux sources. La première est une plus grande solidarité financière des pays riches, ce qui veut dire concrètement un accroissement de l’aide humanitaire pour le dispositif Covax. La deuxième source est beaucoup plus délicate. Elle vient d’être suggérée par une directrice de l’OMS: renoncer à vacciner nos enfants qui sont épargnés par les symptômes de la pandémie (mais la transmettent), afin d’économiser des doses et les envoyer dans les pays les plus pauvres.

Cette proposition n’a de sens que si, dans nos pays, les adultes et les adolescents sont protégés et donc vaccinés. Il faut que nous mesurions l’enjeu pratique et éthique de cette question, c’est-à-dire mettre en œuvre l’option préférentielle pour les pauvres chère à notre pape. Face à un rationnement inévitable et provisoire du vaccin, donnerons-nous la priorité à nos peurs et à une sécurité illusoire, ou ferons-nous de la place dans la file d’attente à nos frères et à nos sœurs des pays du Sud? Notre solidarité concrète se jouera à ce niveau.

Jean-Jacques Friboulet

19 mai 2021

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