Israël-Palestine: des chrétiens dans la guerre

Comment les chrétiens vivent-ils au milieu des violences qui ont embrasé la Terre Sainte depuis le 10 mai 2021? «Nous vivons cette guerre comme nos compatriotes musulmans dans la peur, avec le sentiment profond de nous sentir abandonnés par les puissants de ce monde», expliquent-ils.

Luc Balbont pour cath.ch

Les affrontements, qui ont fait 230 morts côté palestinien et 12 côté israélien se poursuivent. Certains demeurent malgré tout optimistes sur le maintien, si faible soit-il, des chrétiens en Palestine. Tout a commencé le 10 mai dernier, à Jérusalem. En deux jours, l’expulsion de familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarah par la police israélienne et l’attaque par les forces de l’ordre de l’État hébreu de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, ont mis le feu aux poudres.

Depuis, Israéliens et Palestiniens sont face à face. Le bilan est lourd. Les avions de chasse israéliens bombardent de façon continue l’enclave de Gaza dirigée depuis 2007 par le Hamas, qui réplique par des tirs de roquettes soutenus sur les villes israéliennes. Impuissante, la communauté internationale (ONU et Union européenne) a beau multiplier les demandes de cessez-le-feu, le combat fait rage et persiste.

Palestiniens pour les juifs, chrétiens pour les musulmans

Dans ce carnage, la minorité chrétienne, qui compte seulement 1,5% d’une population de 9 millions d’habitants, subit. Au patriarcat latin de Jérusalem, le jeune Père Firas Abedrabbo, 36 ans, secrétaire du patriarche Pizzaballa résume la situation: «Nous vivons cette guerre comme nos compatriotes musulmans dans la peur, avec le sentiment profond de nous sentir abandonnés par les puissants de ce monde» et de conclure tout en émotion: «les victimes sont qualifiées de terroriste et l’occupant de victime».

«Les victimes sont qualifiées de terroriste et l’occupant de victime»

Père Firas Abedrabbo

Si en Cisjordanie, les églises et les fidèles n’enregistrent ni destruction ni mort, dans l’enclave autonome palestinienne de Gaza, les bombes ne cessent de tomber. L’école catholique du Rosaire a été partiellement détruite.

«Les chrétiens diminuent chaque année»

Curé de l’église catholique de la Sainte Famille depuis deux ans, le Père Gabriel Romanelli, joint par téléphone, décrit des scènes de détresse: «Beaucoup de nos maisons ont été bombardées, les familles ont dû fuir pour se réfugier dans les trois écoles que nous possédons. C’est la 3e guerre que nous vivons depuis 2014. Et je constate avec angoisse que notre communauté diminue chaque année. Lorsque je suis venu ici pour mon apostolat il y a 15 ans, Gaza comptait 3’500 chrétiens. Aujourd’hui il en reste 1077 dont 133 catholiques».

Le Père Gabriel Romanelli | © Vaticannews – 12 mai 2021

Parfaitement arabisant, le Père Romanelli, 51 ans, né en Argentine, a officié en Egypte et en Jordanie avant d’être nommé à Gaza. Alors, quand on lui demande quel est l’avenir de ces chrétiens gazaouies, il répond tristement «qu’il voit  chaque année des familles inquiètes pour leurs enfants. Pour eux il n’y a pas d’avenir. Alors ils émigrent. C’est un vrai crève-cœur car la présence chrétienne à Gaza joue un rôle essentiel pour maintenir une diversité et une paix intérieure».

Des chrétiens discriminés

Si les chrétiens ne sont pas persécutés, ils sont discriminés. Ainsi depuis Bethléem, où il habite avec sa femme et leur quatre enfants, Georges met trois heures, parfois plus, pour se rendre à Jérusalem, lieu de son travail. A vol d’oiseau la distance n’est que de huit kilomètres, mais ce chrétien orthodoxe doit passer le grand mur de séparation en béton armé, que les Israéliens ont construit à partir de 2005 pour se protéger des attentats.

Soumis au bon vouloir des policiers israéliens, il attend parfois des heures au poste de contrôle, où il est accueilli le plus souvent avec mépris. Et quand la sécurité décide de fermer le point de passage, Georges fait demi-tour et perd une journée de salaire. Même à Jérusalem où les résidents palestiniens, chrétiens comme musulmans, ont droit d’accéder à cette fameuse carte d’identité bleue qui leur permet, contrairement à leurs frères des territoires occupés, d’avoir accès à la sécurité sociale et de pouvoir voyager sans autorisation, Georges sent la suspicion des Israéliens qui le toisent en le croisant.

Vexations quotidiennes

Boutros*, chrétien latin, hait le Hamas qu’il compare à un parti nazi, mais déteste tout autant Netanyahou et ces juifs d’extrême droite qui font le jeu des islamistes. «Les deux extrêmes, assure-t-il, se nourrissent l’un de l’autre.» Il raconte volontiers son histoire: «Quand mes grands-parents se sont faits expulser de leur maison par les Israéliens en 1948, ils sont partis juste avec leurs vêtements, sans aucune compensation. C’est inscrit dans la loi israélienne fondamentale». Ces vexations sont le lot quotidien que vivent tous les palestiniens chrétiens comme musulmans.

Dans cette liste d’injustices, le témoignage d’Etienne Lepicard, qui vit dans la banlieue de Jérusalem depuis 35 ans est un vent d’espoir. Etienne stigmatise lui aussi l’alliance de Netanyahou avec l’extrême droite juive raciste et suprémaciste, mais il observe ici et là des signes d’espérance, notamment durant ce conflit. Dans les villes mixtes comme Lod, Ramla, Jaffa, Saint-Jean d’Acre, des manifestants arabes et juifs se sont opposés ensemble aux extrémistes de tous bords, martelant que le vivre ensemble était incontournable.

«Durant la pandémie de Covid, juifs et arabes ont travaillé main dans la main»

Etienne Lepicard

Dans sa profession de médecin, Etienne remarque aussi que 30% du personnel médical est arabe: «Durant la pandémie de Covid, médecins, infirmières et infirmiers juifs et arabes ont travaillé main dans la main et produit un travail remarquable». Malgré tous les obstacles, les rejets, les haines, malgré l’extrémisme, Etienne sent que les choses changent, mais poursuit-il, «le chemin sera long… Les chrétiens palestiniens auront-ils la patience d’attendre des jours meilleurs?» Chaque jour des jeunes quittent le pays pour se construire un avenir ailleurs. «C’est ma crainte», s’émeut Naïla, une chrétienne d’une soixantaine d’années: «Bientôt, dit-elle, il ne restera que des églises mais sans fidèles, sans offices, sans baptêmes.» Des églises du silence en somme, des pierres sans vie.

Rédactrice-en-chef deTerre Sainte magazine à Jérusalem, Marie-Armelle Beaulieu n’est pas inquiète: «En Palestine les chrétiens savent, même inconsciemment qu’ils vivent sur la terre fondatrice de leur foi. Ils sont en quelque sorte les gardiens de deux mille ans de christianisme. Et ils le resteront.» (cath.ch/lba/bh)

*Prénom fictif

«Cette terre qui concerne l’humanité entière n’est plus sainte» | DR

Trois questions à Nora Carmi, Palestinienne chrétienne
Née à Jérusalem en 1947, Nora Carmi, excepté un bref exil forcé au Liban, n’a jamais quitté sa ville natale. Rencontre avec une personnalité forte de la résistance pacifique mais résolue face à l’occupation israélienne.

Coincé entre des musulmans majoritaires et un Etat juif dominateur, comment vit-on quand on est chrétien en Israël?
La Terre Sainte est le berceau des trois monothéismes. Trois religions, christianisme, islam, judaïsme et deux peuples, palestinien et israélien. Nous, chrétiens sommes très minoritaires – 1,5% de la population – par rapport aux juifs et aux musulmans mais quelle importance, puisque Dieu nous a créés dans une même humanité, et pour nous chrétiens à son image, pour vivre et agir selon sa volonté. Mais même minoritaires face aux musulmans et occupés par l’Etat d’Israël, je ne me sens pas coincée. Nous sommes là depuis plus de 2000 ans, et avec notre histoire, nos églises, nos écoles, nos universités, nos hôpitaux, nos services sociaux, nous participons grandement à la vie du pays. Construire une société juste, où les non-juifs ne seront plus traités comme des citoyens de seconde zone, voilà la raison du combat que je mène avec amour, mais fermeté.
Comment la militante pacifiste réagit devant cette guerre qui frappe le pays actuellement?
Je suis révoltée, et j’ai honte pour ces grandes puissances qui appellent lâchement  à la «retenue» sans oser condamner fermement  Israël. En expulsant des familles palestiniennes du quartier de  Sheikh Jarah à Jérusalem – sorte de «nettoyage ethnique» – et en prenant d’assaut la mosquée Al-Aqsa, lieu saint de l’islam, la police israélienne a déclenché la révolte inattendue de la jeunesse palestinienne puis de Gaza, le Hamas est venue apporter son soutien. Des salves de roquettes qui confortent hélas Netanyahou et les partis d’extrême droite israéliens racistes et anti-arabes qui font la pluie et le beau temps aujourd’hui dans ce pays.
Malheureusement, à Gaza c’est la population qui paye lourdement, et notamment les enfants. Beaucoup de juifs sont indignés par la politique agressive menée par le Premier ministre israélien.       
Y a-t-il un avenir pour les chrétiens palestiniens qui ne cessent d’émigrer?
Cette terre qui concerne l’humanité entière n’est plus sainte. Pour qu’elle le redevienne, la présence des chrétiens est indispensable. La parole chrétienne rapproche les communautés et les aide à construire des ponts d’entente. Il y aura toujours des chrétiens en Terre Sainte. LBA

Pour aller plus loin:

Curé à Gaza Manuel Musallam, entretiens avec Jean-Claude Petit, ancien directeur de l’hebdomadaire La Vie – Éditions de l’Aube, 198 pages.
Chrétiens de Gaza de Christophe Oberlin, photographies de Serge Nègre. Éditions Éric Bonnier, 195 pages.

Rédaction

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