Un autre «chez moi»

«On est heureux là où l’on vit», répétait un sage à un malade atteint de «nostalgie». Etymologiquement, «le mal du retour». En allemand, «Heimweh». Le pauvre Ulysse en souffrait déjà, lui qui ne rêvait qu’à Ithaque sous les murailles de Troie. Un mal qui stérilise et paralyse.

Mais comment vivre sans racines si l’on veut rester «vert»? Quand nos souches familiales se sclérosent et s’atrophient, il faut s’en donner de nouvelles et les trouver là où l’on vit présentement, loin de son terroir d’origine. A ce sujet, je suis fasciné par la facilité de certains «secundos» à faire leur le pays qui a accueilli leurs parents fuyant la pauvreté ou la violence. Plus suisses qu’eux, tu meurs!

C’est aussi mon expérience. Sans n’avoir jamais connu la fuite ou l’exil, mon parcours de vie fut parsemé de séjours «à l’étranger» qui, à dire vrai, ne fut jamais pour moi étranger, mais fontaine de vie. Non que j’éradiquais ce qui m’avait porté jusque là, mais je greffais sur ces vieilles souches de nouveaux surgeons. Un exemple récent suffira.

Connaissez-vous Céligny, une enclave genevoise entre Nyon et Coppet de quelques sept cent habitants, située sur un coteau viticole face à un panorama qui fait danser lac et montagnes? C’est un couple américain protestant, amoureux des moindres détails de ce site qui vient de me le faire connaître.

«Rien n’est plus porteur de mort qu’une identité repliée sur elle-même. Rien n’est plus fécond que celle qui s’ouvre à l’inconnu et finit par l’adopter.»

A priori ce village est très éloigné de mes racines fribourgeoises. A moins d’en retrouver la trace au-delà du 16e siècle, alors que nos ancêtres communs étaient savoyards et catholiques. La restauration du temple a heureusement sauvegardé quelques vestiges architecturaux de ce vieil héritage.

Mais Céligny a su préserver aussi sa marque calviniste, illustrée depuis plus de deux siècles par la présence dans ses murs de la famille Fatio. L’actuel propriétaire du manoir familial, le professeur historien Olivier Fatio, est issu d’une famille originaire de la Valteline acquise au 16e siècle aux «idées nouvelles» et qui dut pour ce fait prendre un jour le chemin de Genève après moult  péripéties.

Que d’identités multiples et diverses s’enchevêtrent à Céligny! Y compris désormais la mienne, pourtant déjà bien colorée. J’ai été séduit par l’harmonie et la paix de ce village et par l’amitié et la fraternité sans frontières de Claire-Lise et Jack qui me l’ont fait découvrir.

Rien n’est plus porteur de mort qu’une identité repliée sur elle-même. Rien n’est plus fécond que celle qui s’ouvre à l’inconnu et finit par l’adopter. Vis donc pleinement là où Dieu te plante aujourd’hui… et tu seras heureux!      

Guy Musy

Mercredi 26 mai 2021

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