Homélie du 6 juin 2021 (Mc 3, 20-36)

Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice

            « Il a perdu la tête ». L’évangile nous parle d’un moment de crise. Jésus a vécu jusqu’à 30 ans « de manière cachée ».  A la maison sans doute, dans sa famille. Et célibataire en plus, ce qui à l’époque devait être tout-à-fait exceptionnel. Donc pendant trente ans, il n’a pas fait parler de lui. Et puis tout à coup, tout change. Il se met à proclamer la conversion et la foi en la bonne nouvelle. Il se met à guérir des malades, à chasser des démons. Les foules commencent à le suivre. Il fait beaucoup de bien. Mais voilà tout à coup que quelque chose cloche.

Jésus ne se contente pas de prêcher  et de guérir. Il se met à fréquenter les pécheurs. Et des pécheurs notoires. Au chapitre 2 de saint Marc, il a appelé Lévi à le suivre. Lévi, le publicain, celui qui collecte des impôts au service de l’occupant romain, sur le dos de son peuple, des ses coreligionnaires, le traitre, le persécuteur. Un personnage peu recommandable, peu sympathique, presque détestable. Non content de l’appeler à le suivre, Jésus en fait un Apôtre, celui qu’on appellera saint Matthieu. Mathieu – Lévi, qui pour le moment n’est pas encore saint, fait fréquenter à Jésus les gens qu’il connaît : des gens peu fréquentables, le rebut de la société. Et voilà que Jésus mange et boit avec eux – L’horreur ! Et puis, on peut se demander s’il est bien en accord avec la loi de Moïse : il se met à faire des guérisons le jour du sabbat, ce qui est strictement interdit. Six jours pour faire des miracles ne lui suffisent pas ? Il faut aussi qu’il enfreigne le repos sacré du Sabbat ? C’en est trop. La page d’évangile que nous avons entendu aujourd’hui, qui est issue du chapitre 3 de saint Marc, reprend l’histoire justement au moment où tout cela devient insupportable, tant aux proches de Jésus, qui tentent de le saisir, qu’à l’establishment religieux du temps, les scribes, qui accusent Jésus d’être possédé par Béelzéboul, le chef des démons.

Le blasphème contre l’Esprit Saint

Et c’est dans ce contexte que Jésus prononce les paroles qui sont sans doute les plus dures de tout son ministère :

            « Amen je vous le dis : tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’y aura jamais de pardon. Il est coupable pour toujours. »

            Il y en a eu, des commentaires, sur ce péché impardonnable, sur ce blasphème contre l’Esprit Saint. De quoi s’agit-il au juste ?

On a expliqué que ce péché était le refus absolu et conscient de croire en Jésus. Peut-être, mais essayons de cerner notre texte au plus près.

            On y voit un balancement, une opposition, entre péchés et blasphèmes d’une part, qui seront tous pardonnés, et qui nous ramènent directement à ces abominables pécheurs, genre Lévi, que Jésus s’est mis à fréquenter, et le blasphème contre le Saint Esprit d’autre part, qui, si on lit bien notre texte, désigne ceux qui accusent Jésus de faire du bien au nom de Béelzéboul, le prince du mal. Cette accusation est proférée par … les scribes, c’est-à-dire par l’establishment religieux de l’époque.

            Et voilà que les gens « biens », les scribes, ceux qui lisent et connaissent l’Écriture, qui vont régulièrement au temple, deviennent impardonnables, tandis que les pécheurs et les blasphémateurs se voient promettre le pardon. Révolution totale.

            Mes frères, mes sœurs, comme souvent, l’Évangile veut nous mettre en garde, nous, les croyants. Nous, pas les autres. Nous qui connaissons l’Écriture et qui prétendons savoir ce qui est bien et ce qui est mal, nous qui jugeons les autres au nom de celui qui a dit « ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ».

            Et si le péché contre le Saint-Esprit, c’était cela cela : ne pas laisser Jésus aller vers celui que nous jugeons perdu, irrécupérable, abominable, justement parce que nous nous fermons à ce frère, à cette sœur en humanité, au nom de nos principes, de nos valeurs, parfois même de nos « valeurs chrétiennes » ?

            Bien sûr, jamais nous ne nous permettrons de traiter Jésus de suppôt de Béelzéboul, nous sommes trop bons chrétiens pour cela. Loin de nous une telle pensée ! Mais n’avons-nous pas tendance à voir le diable là où Jésus ne voit que personnes à rejoindre, à aimer, à consoler, à guérir ? Nous ne nous rendons même plus compte que nous sommes, nous aussi, des personnes à rejoindre, à aimer, à consoler, à guérir.

Un devoir : faire la volonté de Dieu

            Tout à l’heure, à la fin de l’Evangile, nous avons entendu comment la famille de Jésus, au nom de ses droits naturels, a tenté de s’en accaparer. « Ta mère et tes frères sont là. Ils te cherchent ». Nous avons aussi entendu la réponse de Jésus, cinglante : « Voici ma mère, voici mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère ».

            Personne n’a de droit sur Jésus, ni sa famille naturelle, ni la famille spirituelle, mystique, que nous sommes, nous, les baptisés. Etre de sa famille ne nous donne aucun droit sur lui. Par contre, cela nous donne un devoir : faire la volonté de Dieu. Or, selon saint Jean, comme selon saint Paul, la volonté de Dieu se résume tout entière dans l’amour du prochain. Dans l’amour du prochain, non dans la défense de prétendues valeurs, souvent prétexte d’actes et de jugements dont on ne voit plus très bien ce qu’ils ont à voir avec l’amour.

            Chers frères et sœurs, la Parole de ce jour est dure. Mais comme toute parole dure, elle n’a qu’un rôle : essayer de nous faire sortir de notre zone de confort, cette zone de confort que l’on peut cultiver même dans la foi. Nous avons besoin d’être renouvelés en profondeur. Nous avons besoin d’être convertis. Laissons-nous faire. Dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, entendue tout à l’heure, saint Paul nous disait « Nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour ». Jésus est mort et ressuscité pour cela. Laissons-le nos renouveler, même en nous adressant parfois des paroles dures. Amen.

10e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Genèse 3, 9-15; Psaume 129; 2 Corinthiens 4, 13 – 5,1; Marc 3, 20-36

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