Le bon produit – la première responsabilité du producteur

La responsabilité sociale des entreprises est devenue une «tarte à la crème», où tout un chacun trouve ce qu’il veut bien y trouver. Ainsi, on parle de l’effet sur l’environnement, des seuils de pollution, moins souvent des conditions de travail, parfois de gouvernance, mais seulement très très rarement de la qualité des produits.

Aussi la fuite du mémo interne de Nestlé qui a été rapidement repris par les médias internationaux a fait un grand bruit. Il y est question d’une analyse critique des produits de la maison veveysanne du point de vue des critères de santé. Le résultat n’est pas brillant. Selon ce mémo, un tiers de produits seulement correspondrait aux critères dérivés d’une définition standard de la santé. Sans entrer dans la polémique sur la métrique sous-jacente que Nestlé a déclenché ensuite sans doute pour atténuer un peu l’effet de la bombe médiatique, il est à relever – et saluer – que l’entreprise ait entrepris un tel examen. Elle voulait le conduire à bien en toute discrétion – peine perdue.

«La question qui se pose immédiatement est celle de savoir si une telle entreprise devrait encore conserver son droit (moral) d’agir»

Cette anecdote appelle trois observations. La première concerne les employés de Nestlé, dorénavant ils savent que leur employeur ne contribue pas de manière significative à la santé des consommateurs. Or, une des fiertés naturelles qu’une occupation est censée donner vient de fait de «contribuer au bien commun». En d’autres termes, si l’entreprise entend retenir et recruter – comme elle l’affirme – les meilleurs (aussi au sens moral) talents, elle devrait sabrer dans son portefeuille de produits. Pourtant, le message de Nestlé est pathétique – un tiers des produits au moins ne seront jamais «sains». La question qui se pose immédiatement est celle de savoir si une telle entreprise devrait encore conserver son droit (moral) d’agir.

La deuxième observation porte justement sur ce «droit moral d’opérer» – la question a été posée à propos de certaines institutions financières au moment de la grande crise. La mission – une fois de plus morale – de l’entreprise est de contribuer à améliorer les conditions d’existence de ses clients. Dans cet exercice périlleux, il y a des arbitrages délicats, mais aussi une responsabilité qui consiste à mettre l’expertise professionnelle au service bien compris de l’acheteur.

«Il est à espérer que les questions posées sur la contribution à la santé globale de produits restent de manière permanente sur l’agenda des conseils d’administration»

Il est en effet impossible que la loi seule, avec ses standards et ses obligations, y suffise. Le producteur sait mieux que le législateur – qu’il tente parfois d’influencer – où le bât blesse, où il abuse de la confiance du consommateur, où il prend le chemin de facilité et de complaisance. L’entreprise – comme Nestlé sur laquelle plane encore aujourd’hui l’ombre du scandale du lait en poudre des années 1970 – sait que la confiance des consommateurs est la clé du succès économique. Les révélations du mémo interne montrent que cette confiance a été, c’est le moins qu’on puisse dire, malmenée. Cet événement suffira-il à déclencher un mouvement des consommateurs – rien n’est moins sûr. Par contre, il ramène la question de la responsabilité au cœur de son métier de base. Il ne suffit pas de ne pas polluer pour être responsable, il faut encore avoir de la bonne nourriture à proposer.

Dernier point: à l’autre bout de la chaîne, il y a les investisseurs, les fonds de pension et les gestionnaires d’actifs qui se sont intéressés relativement peu à la qualité de produits des entreprises, partant de l’idée qu’il ne faut pas demander plus que le respect de la légalité et un volume suffisant de ventes pour plaire aux marchés. C’est donc seulement si le mémo fuité venait à provoquer un mécontentement perceptible des employés ou un boycott au niveau des marchés, que les actionnaires pourraient sonner le repli. Parions que la direction de l’entreprise fera tout pour rassurer – en tout cas au niveau de la communication.

Il est toutefois à espérer que les questions posées sur la contribution à la santé globale de produits restent de manière permanente sur l’agenda des conseils d’administration de toutes les entreprises de l’agroalimentaire et que les entreprises des autres secteurs s’en inspirent. L’honneur de l’entreprise est à ce prix.

Paul H. Dembinski

9 juin 2021

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