Grève des femmes 2019 – 2021: une évolution en demi-teinte

Que sont devenues les revendications exprimées lors de la grève historique de 2019 par les femmes catholiques? Si des portes se sont ouvertes, avec notamment la nomination de femmes à des postes-clé de l’Eglise, le bilan reste en demi-teinte.

Le 14 juin 2019, les femmes catholiques romandes manifestaient pour la première fois dans la rue pour revendiquer leurs droits. Lors de cette journée qui avait mobilisé un demi-million de personne dans toute la Suisse, elles avaient défilé avec des slogans qui affichaient clairement la couleur : «Pour lutter contre toute forme de cléricalisme», «pour plus de diversité».

Membre du Réseau Femmes en Eglise, Catherine Ulrich a aussi obtenu, comme d’autres femmes, plus de responsabilité sur le terrain | © B. Hallet

Au matin de cette journée historique, une délégation de femmes avait rencontré à Lausanne les membres de la Conférence des ordinaires romands (COR) pour revendiquer notamment plus de postes dans les instances décisionnelles et de formation et pour dénoncer les abus de pouvoir au sein de l’Eglise. 

Alors que les femmes défilent à nouveau par milliers ce 14 juin 2021, Catherine Ulrich, membre du Réseau des femmes en Eglise, relève qu’en deux ans, «des portes se sont ouvertes à différents niveaux». Elle souligne, pour commencer, la nomination de deux femmes laïques à des postes à responsabilité dans le diocèse LGF, suite à sa réorganisation en régions diocésaines qui permet de nommer des laïcs ou des diacres pour sa gestion. Pour elle, «c’est une révolution qui est en marche».

Des femmes nommées à des postes-clé

Marianne Pohl-Henzen a ainsi pris en août 2020 la succession du Père Pascal Marquard, comme déléguée épiscopale responsable pastorale de la partie alémanique du canton de Fribourg. Céline Ruffieux a aussi été nommée fin mai 2021 représentante de l’évêque pour la région diocésaine francophone du canton de Fribourg, succédant à l’abbé Jean Glasson.

Ouverte à la Romandie, le Réseau des femmes en Eglise a également salué la nomination en février 2020 de Joëlle Carron comme déléguée épiscopale pour le service de la diaconie dans le diocèse de Sion, un titre, observe-t-elle, que n’a pas obtenu Céline Ruffieux et qui dénote selon elle «un blocage de l’Eglise».

Interpellé, Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse LGF, réfute l’argument: «On m’a fait remarquer, explique-t-il alors qu’il a procédé à une consultation canonique sur cette question, que lorsqu’il s’agit d’une responsabilité territoriale, ce titre est ambigu. Selon moi, il est par ailleurs équivalent à celui de représentante.» 

Le14 juin 2019, Myriam Stocker pose avec quelques uns des membres de la COR à l’issue de la rencontre. | © Bernard Hallet

Quant au titre accordé à Joëlle Carron comme déléguée épiscopale de la diaconie valaisanne, Pierre-Yves Maillard, vicaire générale du diocèse de Sion, le précise: «On a considéré que c’est l’intitulé qui correspond à la responsabilité qui lui est confiée, puisqu’il s’agit d’une délégation de mission et pas seulement d’une délégation de tâches». 

Les femmes ont plus de responsabilité 

Au-delà de ces menues divergences, ces récentes nominations montrent, aux yeux du Réseau des femmes en Eglise, que les évêques et les autorités avancent sur ces questions. Les femmes ont en effet plus de responsabilité sur le terrain, se réjouit Catherine Ulrich, qui cite son propre exemple: «J’ai été nommée accompagnatrice d’une équipe pastorale dans laquelle j’ai des responsabilités dans l’animation de l’équipe et la mise en place d’une unité pastorale, ce qui n’était pas le cas auparavant. Aujourd’hui, le diocèse engage pour ce type de missions autant d’hommes que de femmes».

Toutefois, les femmes du Réseau constatent qu’une certaine méfiance a accueilli ces nominations parmi les fidèles: «Le travail doit désormais se faire au niveau des paroissiens pour faire comprendre qu’une femme est tout aussi légitime qu’un homme dans ces postes à responsabilité.»

Un Réseau renforcé 

Autre changement notoire depuis deux ans, le Réseau s’est renforcé: «Aujourd’hui, témoigne Catherine Ulrich, on a de nombreux sympathisants, dont des professeurs de théologie et des prêtres. Je reçois d’ailleurs de leur part des témoignages de soutien et de reconnaissance, car ils se disent contents que notre Réseau s’exprime sur la question des abus de pouvoir et du cléricalisme, vu qu’ils ne sont pas en position de pouvoir le faire.»

S’il bénéficie d’un soutien accru, le Réseau s’est aussi élargi depuis le 15 septembre 2019, date de la réunion entre les femmes catholiques et le Conseil des évêques suisses: «Nous sommes désormais en contact régulier avec la Ligue suisse des femmes catholiques et le Conseil des femmes de la Conférences des évêques suisses. Les revendications du Réseau ont ainsi rejoint celles de toute la Suisse».

Un déploiement à l’international

Depuis début juin 2021, ajoute Catherine Ulrich, le Réseau est désormais en lien avec tous les mouvements suisses qui revendiquent un chemin synodal dans l’Eglise catholique. «A cet égard, la Valaisanne Franziska Zen Ruffinen  Imahorn, membre du Conseil des femmes en Eglise, qui a été nommé par la conférence des évêques pour les conseiller, est très active. Elle nous a mis en lien les unes avec les autres et notamment avec l’Alliance catholique pour une égale dignité et avec le Catholic Women Council». Le lien avec ce groupe mondial de réseaux catholiques romains, qui travaillent pour la pleine reconnaissance de la dignité et de l’égalité dans l’Eglise, est selon elle précieux dans le travail du Réseau.

Car le Réseau des femmes en Eglise s’est déployé à l’international ces deux dernières années. En France, il a ainsi noué contact avec les théologiennes Anne Soupa et Anne-Marie Pelletier, ainsi qu’avec les femmes du mouvement réformateur Maria 2.0. Ces militantes catholiques des droits des femmes ont protesté au printemps 2021 contre le refus de l’archevêque de Cologne, Mgr Rainer Maria Woelki, de publier une expertise sur les abus sexuels.

Femmes plus présentes dans la formation

Autre point positif, enfin, la participation plus importante de femmes dans les instances de formation. Il existe désormais non une, mais deux femmes dans l’équipe de direction du Centre catholique romand de formation en Eglise (CCRFE), avec la présence de Françoise Masson et Federica Cogo. «Cela a l’air de rien, mais lorsque vous êtes la seule femme parmi une majorité d’hommes, il est non seulement plus difficile de trouver sa place, mais aussi de s’exprimer. À deux, c’est déjà plus facile et en cas de nouvelles nominations, la probabilité de nommer une autre femme est aussi plus élevée».

Au bilan intermédiaire en ce 14 juin 2021, la colonne des acquis contient ainsi la nomination historique de femmes à des postes en vue au sein de l’Eglise, le renforcement et l’élargissement d’un réseau comme celui des femmes en Eglise, ainsi qu’une meilleure participation des femmes dans la formation en Eglise. 

Abus de pouvoir et cléricalisme: rien n’a changé

En revanche, concernant la mise en place de commissions paritaires pour repenser la diversité des ministères et des fonctions et lutter contre le cléricalisme et les abus de pouvoir, rien n’a changé, soupire Catherine Ulrich: «On a l’intention de demander la mise sur pied d’un poste de délégué.e à l’égalité pour que cette revendication soit enfin suivie d’effets concrets», précise Catherine Ulrich. L’enjeu est de taille puisqu’il inclut la lutte pour une participation plus significative des femmes dans les instances décisionnelles à tous les niveaux de l’Eglise. 

Pour aborder ces questions, le Réseau des femmes en Eglise s’apprête à relancer sa demande de réunion avec Mgr Charles Morerod. Et selon Franziska Zen Ruffinen Imahorn, le temps presse: «Les femmes âgées qui ont connu le Concile Vatican II, ainsi que leur filles et petites-filles, soit trois générations de femmes sont aujourd’hui démotivées. Si cela ne change pas très vite, le risque est grand qu’il n’y ait bientôt plus de relève.» (cath.ch/cp)

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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