Cour Saint-Damase, dans l'intimité des audiences générales

Dans la cour Saint-Damase du Vatican, après plusieurs mois d’empêchement à cause de la pandémie, le pontife argentin communie chaque semaine de longues minutes avec les fidèles venus l’écouter à l’audience générale. Ils sont stupéfaits de pouvoir l’approcher de si près. Reportage.

Il est sept heures du matin, Rome sort doucement de son sommeil. Sur la via della Conciliazione, l’artère qui mène à la basilique Saint-Pierre, quelques pigeons s’écartent au passage de soutanes. Des policiers bavardent aux côtés de goélands qui picorent les restes d’un sandwich abandonné. En arrivant sur la place, on rencontre quelques sans-abris qui viennent comme chaque matin trouver au Vatican un point d’eau, une douche et un café.

Le long du bras de la colonnade du Bernin s’étire une maigre file de pèlerins. À cette heure matinale, ils sont quelques dizaines de personnes seulement à être là, alignés en rang d’oignon. En remontant la queue, on distingue des drapeaux exotiques; on grappille quelques mots d’espagnol, d’anglais, d’arabe. Certains finissent d’avaler un cornetto – ce croissant italien qui, pour certains, aurait beaucoup à apprendre du croissant français. D’autres, l’air de rien, comptent discrètement la petite foule rassemblée, histoire d’évaluer les chances d’être bien placés, une fois parvenus dans la cour Saint-Damase.

Les minutes passent et voilà les pèlerins autorisés à accéder aux contrôles sanitaires et sécuritaires sous la colonnade. Puis l’attente reprend. Les grains de chapelet défilent dans les mains de certains religieux. Une jeune fille finit de lire les lectures du jour, assise sur l’amorce d’un pilier. Un bébé s’agite, ses parents lui administrent un biberon, espérant acheter quelques minutes de paix.

Soudain, le convoi – qui s’est étoffé – repart et franchit la porte de Bronze sous la vigilance de deux Gardes suisses. Les pèlerins ont juste le temps d’admirer le bras de Constantin – cet immense couloir qui vient buter sur le magistral escalier royal du Bernin – que déjà, ils doivent emprunter l’escalier de Pie IX qui mène à la cour Saint-Damase. Dans une heure environ, le pontife viendra y délivrer sa catéchèse.

Beaucoup de jeunes sont venus au rendez-vous

Sous un ciel parfaitement bleu, quelque 800 chaises sont disposées, 400 de part et d’autre d’une allée centrale conduisant au trône du pontife. Les fidèles se précipitent vers les premiers rangs et puis le long de l’allée, où l’on prévoit son passage.

Sur les hauteurs de la cour Saint-Damase, une petite armada de photographes et de caméramans fait le point. Accrédités auprès du Saint-Siège, ces journalistes repèrent les petits enfants, les drapeaux colorés, les personnalités qu’ils ne manqueront pas de mitrailler. À mesure que les aiguilles tournent, les chaises se remplissent et une douce pression s’installe. Beaucoup de jeunes sont venus au rendez-vous. Un groupe d’américaines rit à gorge déployée: l’une d’entre elles vient de s’essayer à l’espagnol au cas où le pape l’aborderait…

Dans la cour, la variété des voiles de communautés religieuses rappelle la boutade selon laquelle même Dieu ignore le nombre de communautés religieuses féminines dans le monde.

8h55 La foule frémit. Le pape est attendu d’une minute à l’autre. Les regards partent dans tous les sens, les smartphones tentent de suivre pour ne pas perdre une miette de l’arrivée du pontife. Le voilà qui entre. Enfin.

«Mais vous êtes une vraie adolescente!», lance le pape

À l’avant de la modeste voiture bleue foncée qui l’emmène au pas, le pape salue la foule. Les «Viva il Papa" s’enchaînent dans une cohue bon enfant. L’atmosphère est d’autant plus chaleureuse que le pape décide cette fois de remonter à pied l’allée centrale pour rencontrer les fidèles. Une sœur court grimper sur une chaise stratégiquement placée. Ici et là, on joue un peu des coudes. Mais au vu du faible nombre de fidèles, chacun pourra approcher à moins de quatre mètres le pape.

Peu gêné par son service de sécurité, le pontife touche des mains, des épaules, des visages. «Mais vous êtes une vraie adolescente!», lance-t-il, malicieux, à une sexagénaire souhaitant absolument prendre un selfie avec lui. «Il est très en forme», observe un couple de français de culture catholique mais non-croyant, venu sur les conseils d’un ami Romain. «C’est étonnant qu’on puisse être si proche de lui», souligne-t-il.

Après l’euphorie de l’arrivée, l’atmosphère se fait étonnamment plus calme, plus intime. Derrière les barrières en bois, quelques larmes coulent. Sœur Mangola Mary, une religieuse indienne de passage à Rome, n’a pas vraiment les mots pour décrire son sentiment. «Nous nous sommes touchés les mains…», souffle-t-elle, radieuse.

«On s’est simplement regardé»

«J’ai eu l’impression qu’il n’était qu’avec moi», glisse Julien, installé contre la barrière de l’allée centrale. «C’est une sensation très étrange. Être si proche. Il n’a rien dit, seul son sourire… On s’est simplement regardé», poursuit le jeune français venu de Lyon avec un camarade de Haute-Savoie.

À leurs côtés se trouve une Italienne, elle aussi très émue, même si c’est la quatrième fois qu’elle s’approche d’aussi près de François. Photos à l’appui, l’enseignante italienne montre les images d’une rencontre précédente. «J’accompagnais un élève aveugle… c’était un grand moment», se rappelle-t-elle.

Après avoir pris le temps de communier avec bon nombre de fidèles, le pontife gagne son siège. Rapidement, les 800 personnes retrouvent leurs chaises, et de ce fait, les distances sanitaires – que tout le monde avait quelque peu oubliées.

En italien, le pape prononce ensuite sa catéchèse d’une dizaine de minutes. On entendrait une mouche voler si l’acoustique de la cour dans laquelle la voix du pape résonne était meilleure. Mais qu’importe; à défaut de comprendre la langue de Dante, chacun écoute consciencieusement. Viennent ensuite les résumés de la catéchèse en sept langues – française, anglaise, allemande, espagnole, portugaise, arabe, et polonaise – et les salutations aux fidèles. L’événement se conclut par la récitation du Notre-Père et la bénédiction du pape.

L’occasion de saisir l’universalité de l’Église

C’est alors que les fidèles retrouvent le comportement d’une foule qui s’agglutine contre les barrières. Le pape se dirige de nouveau saluer ce Peuple de Dieu – comme il le décrit souvent – qui lui a tant manqué. Durant de longs mois, la pandémie l’a en effet obligé à délivrer ses catéchèses devant une caméra.

On applaudit un bébé porté à bout de bras par un parent que le pape bénit, on sourit aux exclamations chantantes des groupes sud-américains, on est bouleversé en voyant le pape François embrasser le tatouage d’une ancienne déportée d’Auschwitz…

En fin de compte, les audiences générales sont une occasion exceptionnelle de saisir l’universalité de l’Église et la figure d’attraction du successeur de Pierre, présent pour accueillir et bénir les histoires de chacun. (cath.ch/imedia/hl/cd/bh)

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