CO2: les enseignements d’un scrutin

Un dessin de Chapatte dans Le Temps résume à merveille le comportement des Suisses et des Suissesses vis à vis de la loi sur le CO2. On y voit un porte-monnaie suisse sortant d’un bureau de vote avec en toile de fond des voitures et des cheminées crachant leurs panaches de fumée polluantes. Dimanche dernier ce qui a gouverné le vote est le porte-monnaie, non les perspectives climatiques. Cela mérite plusieurs réflexions.

En premier lieu, ce vote signifie que la menace du réchauffement climatique n’est pas vécue comme immédiate. Même les habitants du Valais qui voient les glaciers fondre sous leurs yeux, ne perçoivent pas les conséquences concrètes de cette situation, abusés par une saison hivernale qui s’est plutôt bien passée. Comme les Bretons qui ont eu besoin de l’échouage sur leurs côtes du pétrolier Amoco Cadiz en 1978 pour prendre conscience des dangers de la pollution marine, les Suisses et Suissesses devront malheureusement subir un évènement grave dans leurs montagnes pour réaliser les dangers de la hausse des températures. Il en est ainsi de la nature humaine.

En second lieu, la pandémie du Covid 19 a pris le pas sur le réchauffement. Nous avons été touchés dans notre chair et dans nos relations par cette catastrophe. Elle a relégué au second plan nos engagements sur le plan climatique. Pour beaucoup, les émotions ont pris le pas sur la raison. La précarité de la situation économique a fait reporter à plus tard des dépenses certes inévitables mais qu’on a l’illusion de pouvoir ajourner.

«Les consommateurs ont eu l’impression d’être les ‘vaches à lait’ de décisions qui concernaient toute la société»

Il faut ajouter que la méthode choisie par le Parlement a été maladroite. Elle a fait porter exclusivement le poids de la nécessaire transformation de nos comportements en matière énergétique sur le seul consommateur. Les autres partenaires de cette transformation (entreprises, banques et intermédiaires financiers, pouvoirs publics) étaient volontairement protégés au nom de la sacro-sainte compétitivité. Les consommateurs ont eu l’impression d’être les «vaches à lait» de décisions qui concernaient toute la société. A l’avenir, pour être accepté, le poids des investissements nécessaires au changement de notre modèle de production et de consommation devra être mieux réparti.

De plus, l’instrument de financement utilisé (l’augmentation de plusieurs taxes) étaient du pain béni pour les opposants à la loi, tant est allergique la population à l’idée même de taxe. Souvenons-nous de l’échec de Mme Leuthard au sujet de l’augmentation du prix de la vignette. Et pourtant la réalité est là. Il faut investir massivement dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie. Cela doit passer par trois canaux: l’isolation des bâtiments, la transformation des modes de transport et la modification des techniques de production. Les dépenses associées sont considérables.

«Notre bien commun à tous exige que la Suisse respecte les engagements de la Conférence de Paris»

Une partie est de l’intérêt des entreprises qui, à terme, pourront réduire leurs coûts et contribuer au bien commun. L’autre partie sera à la charge des particuliers, mais peut-être ces dépenses seront-elles davantage acceptées si l’on s’appuie sur les normes qui s’imposent à tous, et si les pouvoirs publics utilisent des incitations financières qui sont à la charge des cantons et de la Confédération. On le constate positivement à propos des panneaux solaires et de la mobilité douce, où les comportements se sont modifiés. Les incitations provoqueront provisoirement une augmentation des impôts, qui répugne aux politiciens car elle met en cause leur réélection, mais qui est préférée par la population si elle en comprend les enjeux, comme le montre le vote des assemblées communales.

Au total, le vote négatif des Suisses et des Suissesses sur la loi CO2 montre les sentiments réels de la population sur cette question. On peut être triste de constater qu’elle n’a pas su dépasser ses intérêts immédiats. Mais il faut surmonter cette déception.. La voie choisie par la loi sur le Co2 n’a pas été la bonne. Il faut en explorer une nouvelle, en sachant que les événements donneront raison aux scientifiques qui ont prévu une forte augmentation des températures et que nous sommes contraints de modifier nos modes de vie et nos comportements.

Jean-Jacques Friboulet

23 juin 2021

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