René Brülhart aurait «négligé les anomalies de l’opération de Londres»

L’agence I.MEDIA dresse le portrait des dix personnes convoquées dans le cadre du procès lancé par la justice vaticane concernant l’affaire de l’immeuble londonien. Parmi elles, l’avocat fribourgeois René Brülhart, ancien directeur de l’Autorité d’information financière (AIF) du Vatican, est accusé d’avoir «négligé les anomalies de l’opération».

L’enquête de la justice vaticane sur l’affaire de l’immeuble londonien aura duré quatre ans et abouti à un rapport de 500 pages dans lequel est décrit le rôle qu’ont joué les dix personnes convoquées. L’agence I.MEDIA dresse le portrait de ces derniers – prélats, banquiers ou encore fonctionnaires du Saint-Siège – et rappelle ce qui leur sera reproché lors de l’ouverture du procès le 27 juillet 2021.

Les membres de l’AIF:

René Brülhart

René Brülhart est l’ancien président de l’Autorité d’information financière (AIF) qu’il a dirigée entre entre 2014 et 2019. Son institution – autorité anticorruption du Saint-Siège – se voit reprocher d’avoir «négligé les anomalies de l’opération de Londres, dont elle a été immédiatement informée, surtout si l’on considère la richesse des informations qu’elle avait acquises grâce aux activités de renseignement». Accusé du seul délit d’abus de pouvoir, l’avocat suisse semble moins concerné que son subordonné, Tommaso Di Ruzza. D’autant plus que, selon une source vaticane, son cas sera traité dans un procès «à part». Dans un communiqué, René Brühlart plaide non coupable, évoquant «une erreur de procédure qui sera immédiatement clarifiée par les organes de justice du Vatican dès que la défense sera en mesure d’exercer ses droits».

Tommaso Di Ruzza

L’ancien directeur de l’AIF (aujourd’hui rebaptisée ASIF – Agence de surveillance et d’information financière) a été en premier lieu chargé de contrôler l’accord d’achat signé avec Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione pour que la société du premier, Gutt Sa, rachète les parts de l’immeuble de Londres. Suspendu en octobre 2019, Tommaso Di Ruzza est accusé de détournement de fonds, d’abus de pouvoir et de violation du secret professionnel. On lui reproche de n’avoir pas signalé la tentative d’extorsion puis l’extorsion opérée par Gianluigi Torzi, mais aussi d’avoir détourné 23’000 euros entre 2015 et 2019 en dépenses de voyage. L’ancien directeur, qui n’a pas réagi à sa convocation, avait affirmé par le passé qu’il s’agissait de notes de frais.

Les banquiers

Raffaele Mincione

Raffaele Mincione est un banquier italo-britannique missionné en 2012 par la Secrétairerie d’État pour évaluer des investissements. Il gagne la confiance de l’institution et la convainc de le laisser investir 200 millions d’euros qu’elle cherche à placer. 100 millions sont alloués à des placements mobiliers et 100 autres en vue de l’acquisition, via son fonds luxembourgeois Athena Capitals, du fameux immeuble de Sloane Avenue. En plus de perdre beaucoup d’argent dans des placements risqués, Raffaele Mincione serait celui qui aurait tiré «le plus grand avantage économique» de l’opération immobilière londonienne, estime la justice vaticane. Les opérations qu’il a entreprises se sont avérées être un gouffre financier pour le Saint-Siège.

L’intéressé conteste cette thèse, et affirme posséder les documents permettant de prouver que le Saint-Siège a pris part à toutes les phases de l’acquisition sans aucun litige du bien. La justice vaticane – qui a mené des perquisitions chez lui en juillet dernier – pense qu’il a profité de l’aide de fonctionnaires de la Curie. Enfin, elle estime qu’il a joué un rôle dans la reprise de l’immeuble par le courtier Gianluigi Torzi. Il est accusé de détournement de fonds, de fraude et d’abus de pouvoir.

Gianluigi Torzi

Gianluigi Torzi, courtier italien, est l’acteur principal du «second volet» de l’affaire de l’immeuble londonien. Après la découverte des pertes importantes engendrées par l’achat de l’immeuble, le Saint-Siège décide de récupérer le contrôle de son bien, alors dans les mains de Raffaele Mincione. Le dossier est confié à Gianluigi Torzi. C’est un nouveau camouflet, puisque la justice vaticane estime que l’homme d’affaires originaire de Molise est parvenu à extorquer 15 millions d’euros à la Secrétairerie d’État. Accusé de détournement de fonds, de fraude et d’abus de pouvoir, il a déjà été incarcéré en juin dernier pendant dix jours. Il est aussi sous le coup d’une enquête italienne pour fausses factures et blanchiment d’argent. Son avocat a jugé «inacceptable» d’organiser un procès aussi tôt, une échéance si courte ne laissant pas le temps d’organiser «une défense sérieuse», rapporte l’agence de presse italien AdnKronos.

Nicola Squillace

Nicola Squillace est un avocat d’affaires américain d’origine calabraise qui a joué un rôle dans le «second volet» de l’affaire. Désigné pour conseiller Gianluigi Torzi sur suggestion de Raffaele Mincione, il aurait participé aux négociations qui ont mené à l’extorsion. On le soupçonne en outre d’avoir joué un rôle d’intermédiaire entre les deux banquiers. Il aurait aussi touché des rémunérations indues, notamment une partie des 15 millions d’euros récupérés par Gianluigi Torzi. Il est accusé de fraude, de détournement de fonds et de blanchiment.

Enrico Crasso

Enrico Crasso, banquier romain résidant en Suisse, a été le principal gestionnaire du patrimoine de la Secrétairerie d’État entre 1993 et 2020. C’est à cet ancien du Crédit Suisse qu’a notamment été confiée la gestion du Denier de Saint-Pierre. C’est lui qui introduit Raffaele Mincione à la Secrétairerie d’État en 2012. Après avoir été chargé d’investir l’argent du Saint-Siège, ce dernier lui aurait versé des commissions occultes par l’intermédiaire d’une société à Dubaï. Travaillant de concert avec un fonctionnaire de la Curie, Fabrizio Tirabassi, Enrico Crasso aurait orienté les investissements du Saint-Siège vers le Crédit Suisse en échange de commissions.

La justice lui reproche d’avoir lui aussi facilité l’extorsion menée par Gianluigi Torzi, et d’avoir touché de l’argent dans l’opération. L’homme d’affaires est accusé de détournement de fonds, de corruption, d’extorsion, de blanchiment d’argent et d’auto-blanchiment, de fraude, d’abus de pouvoir, et de faux en écriture publique et privée. Trois entreprises qu’il administre sont aussi accusées par la justice vaticane de fraude.

Les membres de la Secrétairerie d’État

Cardinal Angelo Becciu

Haut prélat d’origine sarde, Angelo Becciu a fait toute sa carrière dans la diplomatie vaticane avant de prendre les commandes, en 2011, de la puissante Première section de la Secrétairerie d’État, en charge notamment des questions financières. En 2018, le pape François le nomme à la Congrégation pour les causes des saints et par la même occasion l’élève à la pourpre cardinalice. Son rôle dans l’affaire de Londres est peu clair.

Plus haut responsable de son département au moment de l’acquisition par ce dernier de l’immeuble londonien, la justice vaticane lui reproche des «interférences» dans le processus, notamment des pressions sur un subordonné. Elle estime qu’il serait aussi à l’origine d’offres d’achat importantes reçues en mai 2020 pour l’immeuble, ces dernières ayant permis de surévaluer le prix de l’immeuble, justifiant ainsi la première acquisition de 2013. Depuis la découverte de l’affaire, le cardinal a toujours affirmé que l’opération était un succès financièrement parlant.

Démis de ses fonctions à la Curie et dans le Collège cardinalice par le pape en septembre dernier, son implication dans deux autres affaires connexes va aussi être examinée : d’abord son rôle dans les versements effectués à la spécialiste en «diplomatie informelle» Cecilia Marogna; ensuite dans le financement – à hauteur de 600’000 euros pour le Saint-Siège et 225’000 pour la conférence des évêques d’Italie – de la coopérative de son frère en Sardaigne. Dans les deux cas, les sommes n’auraient pas été utilisées de façon appropriées, estime le Tribunal de la Cité du Vatican. Il aurait par exemple aidé sa nièce à acquérir une propriété à Rome. Il est accusé de détournement de fonds, d’abus de pouvoir en bande organisée, et de subornation. Se disant «victime d’un complot», le cardinal a fait savoir qu’il attendait le «moment de la clarification».

Mgr Mauro Carlino

Prélat originaire des Pouilles, Mgr Mauro Carlino était chef du bureau d’information et de documentation du Vatican et secrétaire du cardinal Angelo Becciu quand ce dernier était substitut de la Secrétairerie d’État. Remplaçant Mgr Alberto Perlasca, un prélat qui voulait porter l’affaire devant la justice, il aurait collaboré avec Gianluigi Torzi et autorisé le versement des 15 millions d’euros que ce dernier réclamait. Par son avocat, il a fait savoir que sa direction était au courant de l’opération. Suspendu en 2019, il travaille désormais pour l’archidiocèse de Lecce. Il est accusé d’extorsion et d’abus de pouvoir par la justice vaticane. Le prélat s’est dit confiant sur le fait que le procès permettra de prouver «sa profonde intégrité éthique».

Fabrizio Tirabassi

Fabrizio Tirabassi a été économe de la Secrétairerie d’État et travaillait sous les ordres du cardinal Becciu. Il fait partie des personnes ayant choisi Raffaele Mincione pour investir une partie des fonds du Saint-Siège en 2013, choix qu’il a affirmé regretter en 2018. La justice vaticane émet l’hypothèse, sans pouvoir le prouver, qu’il s’est maintenu en place entre 2018 et 2019 «grâce au pouvoir de chantage qu’il pouvait exercer sur la Secrétairerie d’État, pour des informations concernant la vie privée des personnes de l’appareil administratif». On lui reproche de plus d’avoir reçu des commissions occultes de la part du banquier londonien. Pendant toute sa carrière au Vatican, il aurait en outre touché des commissions de la part d’UBS pour chaque investissement effectué par le Saint-Siège dans la banque suisse, avec l’aide d’Enrico Crasso. Il aurait aussi joué un rôle clé dans l’extorsion menée par Gianluigi Torzi, toujours de concert avec Enrico Crasso, faisant notamment pression sur Mgr Perlasca et présentant un faux au cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, pour faire aboutir l’opération. Il aurait touché de l’argent dans cette affaire. Il a été suspendu en 2019 après les révélations sur l’affaire en même temps que Mgr Carlino et Tommaso Di Ruzza. Il est accusé de corruption, d’extorsion, de détournement de fonds, de fraude et d’abus de pouvoir.

Un cas particulier

Cecilia Marogna

Seule femme convoquée, Cecilia Marogna n’est pas directement liée à l’affaire de l’immeuble de Londres. De 2018 à 2019, elle a reçu des sommes considérables – près de 600’000 euros – de la Secrétairerie d’État pour mener des activités de renseignement, sur recommandation du cardinal Becciu. Elle affirme qu’on lui a notamment demandé d’enquêter sur des personnes du Saint-Siège, ce que récuse le cardinal. Mais ses principales missions auraient consisté à favoriser le sauvetage de religieux enlevés, notamment le Père Luigi Macalli, pris en otage au Niger entre 2018 et 2020. Les enquêtes de la justice vaticane ont permis de constater que les sommes allouées pour ces missions «ont été utilisées, dans la quasi-totalité, pour effectuer des achats non compatibles et donc non justifiables» avec l’objet de sa mission. Son entreprise basée en Slovénie, Logsic Humanitarne Dejavnosti, est accusée de détournement de fonds. Le Vatican a tenté de faire extrader la Sarde en janvier dernier, sans succès. Le cardinal Becciu affirme que la jeune femme l’a trompé. Cette dernière récuse pour sa part toute utilisation frauduleuse de l’argent qui lui était alloué. Sa proximité avec les milieux «gellistes» – du nom de Licio Gelli, ancien grand maître de la Loge P2 – ou encore mafieux pose question. (cath.ch/imedia/cd/rz)

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