«Aqua Fons Vitae»: un plaidoyer de l’Eglise pour l’eau

Le Saint-Siège entend agir au niveau mondial pour une meilleure répartition de l’eau, qu’elle considère comme un bien commun universel. Tebaldo Vinciguerra, responsable de plusieurs dossiers environnementaux – dont celui de l’eau – au sein du Dicastère pour le développement humain intégral, revient sur les objectifs du document Aqua Fons Vitae («L’eau source de vie»), publié par le Dicastère en mars 2020.

Quel est le but d’Aqua Fons Vitae?
Tebaldo Vinciguerra: Il s’agit d’offrir à l’Eglise locale dans les divers pays des propositions d’action sur les questions liées à l’eau et plus généralement au développement intégral, aux conditions qui rendent possible la vie sur Terre. Cette publication est organisée en chapitres qui mêlent de façon synthétique l’analyse de la situation, des propositions de plaidoyer et des propositions très concrètes que peuvent mettre en œuvre les organisations de l’Eglise. C’est-à-dire ce que peut faire une conférence épiscopale, une paroisse, un monastère, une Caritas… Nous avons souhaité aller vers un document assez concret plutôt que vers une nouvelle élaboration de grands principes qui pourraient avoir un sens si l’on s’adressait à la communauté internationale ou aux Nations Unies.

Un deuxième objectif est d’arriver à présenter en un seul document les questions de droit humain d’accès à l’eau potable et à l’assainissement; les questions hydriques plus larges telles que la bonne santé de l’environnement, l’agriculture, mais aussi la paix et les questions institutionnelles liées à la gouvernance de l’eau. Nous y avons inclus les questions maritimes à savoir la sauvegarde des océans et la problématique des pêcheurs. Souvent, on tend à faire une distinction dans le domaine de l’eau: l’eau douce, l’eau potable, les océans. Or «tout est lié»: la façon dont nous polluons nos rivières, a, à terme, un impact sur la santé de nos océans.

«Nous avons souhaité aller vers un document assez concret plutôt que vers une nouvelle élaboration de grands principes.»

Concrètement quels sont ses moyens d’action?
L’Eglise peut agir notamment à travers l’éducation et la pédagogie à plusieurs niveaux: école, collège et lycée, monde associatif, sans oublier le rôle primordial des familles: il est possible de sensibiliser à la contemplation et à la compréhension de la création à son respect. Cela peut commencer avec la réalisation d’un pluviomètre pour les plus petits, des campagnes de nettoyage de rivières ou de plages par des jeunes. N’oublions pas que l’eau a une place très importante dans la culture, l’histoire, la liturgie. L’Eglise – à travers ses centres techniques divers et ses universités – forme des professionnels.

Ensuite, je mentionnerais le rôle de plaidoyer. J’ai à l’esprit des paroisses du Pérou, qui se battent farouchement pour que les autorités locales installent des structures permettant l’acheminement de l’eau courante dans telle ou telle banlieue pauvre. Des religieux qui, en Afrique, analysent la qualité de certaines rivières et demandent des explications au gouvernent local lorsque des taux inhabituellement élevés de pollution sont détectés, tout en en informant la population locale. Des commissions Justice et Paix nationales ou appartenant à des congrégations religieuses mènent des actions de défense des droits humains. Par exemple, elles dénoncent le fait que, dans une région donnée, la population n’a pas accès à l’eau potable car ses sources traditionnelles d’approvisionnement sont désormais polluées, ou pour des raisons d’insécurité, ou encore de discrimination frappant des minorités ethniques.

«L’Eglise peut agir notamment à travers l’éducation et la pédagogie à plusieurs niveaux: école, collège et lycée, monde associatif, sans oublier le rôle primordial des familles.»

Un engagement concret, dans le quotidien et dans la durée, par des projets agricoles constitue un bel axe d’action. Parfois en Europe, et plus encore en Amérique latine, en Afrique, l’Eglise essaye de bien construire et de bien de gérer des infrastructures hydriques en milieu agricole. L’Eglise essaye également d’assurer la distribution d’eau potable aux populations lors de catastrophes ou dans des camps de réfugiés. Je pense enfin à un dernier moyen d’action: la célébration! Comme lors de la bénédiction d’un nouveau puits par un évêque, ou encore l’accompagnement pastoral des paysans ou des pêcheurs dans le cadre de la Mission de la Mer.

Comment pensez-vous concrétiser ces propositions?
Une réflexion est très souvent nécessaire sur la dimension économique et financière d’un nouveau projet d’accès à l’eau et à l’assainissement. Comment garantir la viabilité économique d’un projet qui a probablement commencé grâce à des dons, et ce à une époque où on parle de plus en plus de ces questions d’investissements éthiques? Où se situe la juste frontière entre un effort économique responsabilisant qui contribue à faire démarrer et durer des systèmes d’approvisionnement en eau potable, d’une part, et une manière cynique de s’enrichir aux dépens des usagers en créant une dépendance malsaine générée par des cycles d’appauvrissement et d’endettement des populations locales, d’autre part? Il s’agit après tout de bien commun, de droits humains!

Justement, un autre axe de réflexion sur lequel travaille le Dicastère – avec bien des partenaires – est la promotion du droit universel d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Comment le renforcer et le faire mieux respecter à tous les niveaux et dans tous les pays?

Quelle forme peut prendre le soutien du Saint-Siège aux ONG, aux gouvernements aux administrations publiques qui souhaitent agir pour sauvegarder l’eau?
Notre travail consiste à rappeler les grands cadres éthiques dans lesquels nous travaillons. Beaucoup de dialogues et de collaborations se nouent grâce à l’encyclique du pape François Laudato si’ (2015). Je pense notamment aux chapitres consacrés à l’écologie intégrale, au dialogue et à l’éducation, à la spiritualité et à la culture. Très souvent, des groupes de réflexion ainsi que le monde de l’entreprise et des investisseurs viennent dialoguer avec le Saint-Siège, avec notre Dicastère, sur la question de l’eau. Des personnes qui ont des responsabilités techniques, politiques, diplomatiques nous consultent à ce sujet. La Fondation Jean-Paul II pour le Sahel travaille étroitement avec notre Dicastère, cette fondation dispose d’un réseau qui permet d’agir de façon capillaire en faveur de l’agriculture, de la «muraille verte» dans ces zones arides.

Parfois le Saint-Siège, en marge des sommets internationaux, organise ou participe à des sessions parallèles ou publie des documents. Cela permet à l’Eglise de s’exprimer, avec des ONG ou des Caritas, sur la problématique du droit d’accès à l’eau, ou sur des questions agricoles.

«Beaucoup de dialogues et de collaborations se nouent grâce à l’encyclique du pape François Laudato si’

Le dialogue avec les administrations publiques s’exerce – à la lumière du principe de subsidiarité – essentiellement au niveau national, à travers les conférences épiscopales, souvent par le biais des commissions Justice et Paix. Certains évêques peuvent également interagir avec les gouvernements en comptant sur les universités catholiques.

Le Dicastère pour le développement humain intégral prépare une plateforme d’action pour la mise en œuvre de l’encyclique Laudato si’: lorsqu’elle sera fonctionnelle, l’Eglise locale pourra s’en inspirer aussi pour travailler sur les sujets hydriques, et ce aussi en lien avec le monde associatif, scolaire et de l’entreprise. (cath.ch/bh)

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Tebaldo Vinciguerra
Depuis 2011, Tebaldo Vinciguerra est au service du Saint-Siège depuis 2011. Initialement au sein du Conseil pontifical Justice et Paix puis du nouveau Dicastère pour le service du Développement Humain Intégral. Il travaille à la lumière de la Doctrine sociale de l’Eglise sur les sujets ayant trait à l’eau, à l’agriculture, à l’énergie et à l’industrie minière. Laïc et père de famille, Tebaldo Vinciguerra a fait des études en sciences politiques et en relations internationales à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux et à la Faculté de Sciences Politiques de l’Université de Turin. Il a commencé un doctorat en économie à l’Université LUMSA de Rome. BH

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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