Homélie du 5 septembre 2021 (Mc 7, 31-37)

Pasteure Débora Kapp – Église Saint-Ursule, Fribourg

Chères sœurs et frères, ici ou là,
assemblés au puits d’une même source de Parole.

A vous qui nous écoutez d’ailleurs, je ne sais pas si vous connaissez Fribourg,
cette ville longtemps à l’écart des axes autoroutiers
et longtemps à la marge du développement économique.
Nous nous trouvons au haut de la rue de Lausanne,
où, anciennement, se dressait une porte de la ville :
ouverture et passage dans un rempart.
La porte a disparu, le rempart est devenu un couvent : le couvent des Ursulines.

Au temps de la Contre-Réforme, en ce tout début du 17ème siècle,
les ursulines ont eu pour vocation
d’émanciper les jeunes filles en les scolarisant
et de libérer les femmes au cœur de ce monde d’alors
et au sein de l’Eglise d’alors
qui maintenaient femmes et jeunes filles loin de tout.
Inaudibles femmes sans paroles.

Au coin de cette ancienne école des ursulines,
se déploie, depuis 30 ans cette année,
un Centre d’exploration spirituelle au cœur de la cité.
Dès ses débuts, et de manière répétée et formelle,
le Centre Sainte Ursule a fait une place belle aux réformés.

Hors des murs

A nos début, ursulines et réformés,
nous étions, les unes comme les autres,
hors des murs, ou à la frange de la ville.
Nous, réformés, plantés carrément dans les fossés, un comble peut-être.
Et vous, à la charnière entre un dedans et un dehors urbain
dans un espace qui se reconfigurait.
Cette histoire similaire de mise à l’écart
crée peut-être des liens pour nous entendre.
Nous avons appris à partager le défi
de renouveler nos pratiques et réflexions en Eglise.
Parfois les marges vont au centre, et les fossés comblés deviennent esplanade…

Jésus sort des sentiers battus

Dans notre récit, Jésus a franchi les frontières…
et s’attarde un peu trop aux yeux des puristes,
dans un espace hors de la foi des pères, hors du territoire saint.
Il lui a longuement été reproché
de dépasser les bornes au niveau des rituels et des propos.
Les disciples eux-mêmes ne comprennent rien à sa manière d’être.
Ainsi Jésus a-t-il sa parole verrouillée en sa terre, et parmi ses proches.
Et pourtant, c’est l’abondance qui est vécue :
par deux fois, Jésus multiplie les pains,
avant notre récit sur sa terre d’origine et juste après, dans la terre des non juifs.
Surabondance. Même cela ne suffit pas à le faire entendre.
Alors il prend le large. Il sort des sentiers battus. Il se met à l’écart.

Et voici que lui est porté, comme on porte une charge,
un homme doublement frappé, enfermé à double tour en lui-même.
Un homme sans nom qui n’entend que les sons se produisant au-dedans de lui.
Un homme dont la langue est, littéralement, entravée par un frein.
Sans doute que ce mal le stigmatise aux yeux des autres.
Et c’est une captivité de plus.

Jésus le prend à l’écart.
Pour que s’ouvre un nouveau possible,
il est nécessaire de mettre le monde à distance.
Pour que se creuse un espace d’entre deux.
Pour qu’un intime permette de s’entre-tenir,
de tenir l’un près de l’autre, de tenir l’un à l’autre.

Que soit ouvert un espace nouveau

Alors que les enfermements se démultiplient,
Jésus soupire, un souffle douloureux émane du dedans de lui.
Il lance une parole qui naît de sa langue maternelle.
Une parole qui ressemble à un bégaiement, avec son redoublement de sons : effata.
Que soit ouvert un espace nouveau !
Et cette invocation s’accompagne d’un regard qui ouvre sur un ailleurs,
convoquant un tiers dans le huis-clos. Et notre texte l’appelle le ciel.
Une frontière de plus s’efface – Effata.

Où en sommes-nous de nos surdités ?
Où en sommes-nous de nos paroles closes, impossibles à dire ?
Où en sommes-nous de nos entraves à voir, et de nos incapacités à comprendre ?
Toujours et encore des enfermements nous verrouillent au souffle nouveau.
Toujours et à nouveau,
des nombrilismes nous rendent imperméables au vent du dehors.
Et nous retombons trop souvent
dans la superbe de nous croire au fait de la Parole, au cœur du flot de l’Évangile.
Une telle prétention bloque nos louanges, les dévitalisent.

Or, elle est belle la louange qui sort des rives des lèvres,
reprenant en écho la joie de la création jamais terminée.
Écho encore aux prophètes qui, comme des guetteurs,
veillent à la bonté, la justice et la guérison.

Effata, que soient ouverts, et maintenus, les espaces de rencontres et d’exploration
où s’entretiennent les cœur à cœur,
les conversations d’esprit à esprit, les soins du corps et de l’âme.
Persévérant dans notre corps à corps avec le texte.
Y puisant encore et encore l’eau, et le vin, et le sel, et le miel.
Convoquant une instance suprême dans nos intimes.
Dans une abondance de pain démultipliée.

Et que la communion, toujours encore entravée, s’ouvre à un possible.
Amen!

23e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Isaïe 35, 4-7a; Psaume 145, 6c-7, 8-9a, 9bc-10; Jacques 2, 1-5; Marc 7, 31-37

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