Jean-Pierre Raffarin: «Le regard du pape sur la crise est exigeant»

Le pape François a reçu au Vatican, le 4 septembre 2021, l’association «Leaders pour la paix» et son président Jean-Pierre Raffarin. L’agence I.MEDIA a interrogé l’ancien Premier ministre français (2002-2005) au sortir de cette rencontre, et revient, dans un second temps, sur le discours prononcé lors de l’audience par le pontife.

Pourquoi vouliez-vous rencontrer le pape François?
«Leaders pour la paix» est une organisation non-gouvernementale qui rassemble une quarantaine de personnalités – neuf anciens Premiers ministres, huit anciens ministres des Affaires étrangères, des ambassadeurs, des professeurs ou encore le président de la Fédération internationale de Judo… Tous ont exercé des responsabilités et travaillent aujourd’hui ensemble, comme un think-tank. Nous publions un rapport annuel sur le multilatéralisme que nous avons remis au pape François lors de la rencontre.

Mais nous voulions aussi lui présenter un autre projet sur lequel nous sommes très avancés: la création d’une école itinérante de la paix. Dans ce contexte, nous avons déjà commencé à travailler avec les équipes du Vatican sur la pédagogie de la paix. Nous avons rencontrés des membres de la Curie romaine [Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les relations avec les États de la secrétairerie d’État et le cardinal Peter Turkson, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, ndlr] et de la communauté Sant’Egidio [association de fidèles catholiques engagée pour la paix et la lutte contre la pauvreté qui a aussi fondé des «écoles de la paix», ndlr] afin d’enrichir les cours de notre école de la paix. Parce qu’il y a partout des écoles de guerre, mais pas beaucoup d’écoles de paix.

«Le Saint-Siège a raison de mettre l’accent sur l’importance de l’éducation dans l’action publique»

Nous avons fait une première expérience en Côte d’Ivoire, avec l’Université Houphouët-Boigny et nous cherchons désormais à enrichir notre pédagogie de la paix, qui a notamment déjà été développée par le Vatican. D’autres projets vont voir le jour en Tunisie et en Égypte. Le pape François est très motivé par ces sujets et intéressé par nos initiatives.

Comment s’est passé votre rencontre avec François?
C’était un moment très convivial avec un pape assez peu formel qui a eu un message pédagogique très fort. Il nous a dit clairement que pour construire la paix, deux choses lui paraissait essentielles: l’architecture, c’est-à-dire les relations avec les différentes institutions de la société, et puis l’artisanat, ou l’engagement de chacun à son niveau pour faire en sorte qu’il y ait une coopération de tous les partenaires.

Nous avons besoin, pour notre école de la paix, de cette architecture et de cet artisanat. Il faut que la vision d’une pédagogie moderne de la paix soit incarnée par des artisans de paix.

De quoi avez-vous parlé?
Nous avons eu un échange sur le rôle des valeurs. Le pape François avait lu notre programme et nous a montré qu’il manquait un cours sur la fraternité et un cours sur la dignité. Nous avons évoqué aussi la question importante de la violence. Il a insisté sur le fait que la non-reconnaissance de la dignité de la personne était la principale cause de celle-ci.

Le Saint-Siège a lancé en 2020 le «Global Compact on Education» – Pacte global sur l’éducation – grand projet éducatif impliquant de nombreux acteurs du monde entier. Que pensez-vous du travail diplomatique effectué par la diplomatie du pontife dans le domaine de l’éducation?
Le Saint-Siège a raison de mettre l’accent sur l’importance de l’éducation dans l’action publique aujourd’hui. Nous suivons de près leurs récents engagements et l’une de nos membres, Irina Bokova – ancienne directeur général de l’Unesco – est associée au grand projet éducatif porté par le pontife.

«Le pape François pense que la crise actuelle doit être une opportunité»

Nous voyons bien qu’aujourd’hui, et notamment sur les questions liées à la paix, il y a un travail pédagogique important, un travail d’éducation. J’ai déclaré au pape – et cela l’a fait sourire un instant – que la paix ne tombait pas du ciel. Je voulais en réalité simplement dire qu’il faut travailler la paix pour qu’elle advienne.

Dans son intervention, le pape a insisté sur le fait que nous devions favoriser une bonne connaissance des problèmes et des causes profondes. C’est un combat que je pense utile. La politique est certes souvent dévorée par l’immédiat et l’éducation, à rebours, est par définition un travail de longue haleine. Dans nos sociétés, la stratégie éducative souffre toujours de cette pression de l’immédiat.

De plus, nous pensons qu’il est important de ne pas nier la dimension spirituelle de la pédagogie de la paix. Nous allons continuer à travailler avec les religions d’une manière globale. En Égypte, nous allons ainsi rencontrer le grand imam d’Al-Azhar.

Dans son discours le pape François a aussi évoqué la question d’une «meilleure politique». Pensez-vous, comme lui, qu’elle soit possible?
Il pense que la crise actuelle doit être une opportunité, et donc permettre une meilleur politique, plus compatible avec la fraternité des peuples mais aussi la fraternité des nations. Cette regard que porte le pape François sur la crise est difficile et exigeant. Il a une conception très asiatique de la crise, perçue à la fois comme un danger et une opportunité. Tout dépend du chemin qu’on décide d’emprunter. (cath.ch/imedia/cd/rz)

Le pape François aux Leaders pour la paix: promouvez une «plus grande prise de responsabilité»

Dans son discours prononcé devant les membres de «Leaders pour la paix» au Palais apostolique le 4 septembre 2021, le pape François a décrit le contexte actuel, marqué par la pandémie, comme celui d’une «aggravation convergente des multiples crises». Il a notamment cité le cas des crises environnementales qui devraient selon lui «provoquer une plus grande prise de responsabilité» de la part des dirigeants mais aussi, «en cascade», des milieux intermédiaires et de tous les citoyens.

«Nous voyons souvent que c’est ›du bas’ que proviennent les sollicitations et les propositions», a insisté le pape. Il s’agit selon lui d’une «très bonne chose», même si ces initiatives sont souvent «instrumentalisées» par des «groupes idéologiques». «Il y a toujours un danger d’idéologisation», a-t-il martelé.

L’importance du dialogue

Pour permettre une «éducation à la paix», le pontife a demandé aux membres de «Leaders pour la paix» de jouer un «rôle constructif» en favorisant une meilleure «connaissance des problèmes et de leurs causes profondes». Citant son encyclique Fratelli tutti, il a défendu la nécessité d’élaborer une «architecture et un artisanat de la paix», deux échelles – une institutionnelle, l’autre culturelle – indispensables pour permettre une «meilleur politique».

Le pape a mis en avant l’importance du dialogue et de la collaboration multilatérale qui «garantissent mieux» que les accords bilatéraux, selon lui, «la sauvegarde d’un bien commun réellement universel» et la protection des États les plus faibles. Il a aussi défendu la promotion d’une «culture des visages» et d’une «culture de la rencontre» pour mettre en avant la dignité de la personne et la confiance. CD

I.MEDIA

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