Edgar Morin: une morale pour notre temps

L’année même du centenaire de sa naissance, le sociologue et philosophe français Edgar Morin publie non pas son bilan de vie personnel, mais fait part de son regard d’acteur et d’analyste sur ce siècle qu’il achève de traverser.

Tout particulièrement sur les affrontements, les révolutions, les dérives, mais aussi les rêves et les moments furtifs de générosité et de grandeur qui ont marqué ces cent dernières années. Le penseur livre au passage son kit de survie, tout en regrettant que ses contemporains n’en fassent  pas suffisamment usage. 

Morin a choisi de vivre ses dernières années dans un îlot marocain  où les voisins ont encore l’habitude de se dire  « bonjour » le matin, loin de cet univers déprimant où des humains anonymes scotchés à leur portable courent chacun pour son compte à la recherche de profit. Morin reconnaît que la quête du bonheur et de l›amour aura marqué sa vie, même s’il avoue avoir été meilleur époux et compagnon que père de famille attentif.

Car notre sociologue centenaire éprouve un immense besoin de communion et d’affection. Revanche de l’enfant qui perdit sa mère trop tôt et qui fut livré à lui-même pour s’affirmer et chercher sa voie. Français, issu d’une famille juive séfarade de Salonique, il entre sous l’occupation dans un réseau de la résistance et participe à Paris avec ses camarades marxistes au défilé de la victoire du 26 août 1944.

«Les «leçons» d’Edgar Morin sont  autant le fruit de son expérience de vie que de sa réflexion objective et rigoureuse.»

La révélation des crimes staliniens l’amena non sans peine à quitter le parti communiste pour demeurer libre de toute allégeance partisane ou idéologique. Il sut aussi prendre ses distances d’avec l’institution académique française. Un poste au CNRS lui suffit pour mener ses recherches en toute liberté et assurer sa notoriété.

Le livre d’Edgar Morin fourmille d’épisodes socio-culturels où il fut mêlé de loin ou de près. Ses «leçons» sont  autant le fruit de son expérience de vie que de sa réflexion objective et rigoureuse.

Quelques principes fondamentaux l’habitent. Il aimerait les léguer en testament à ceux et celles qui lui survivront.

Tout d’abord, sa conviction que l’homme est un être complexe, qui ne se laisse pas réduire à une seule de ses composantes. Il est tout à la fois rationnel, envahi par ses pulsions primaires et investi par le mythe ou la religion. Chacune de ces entités contribue à le construire.

Cet humain doit aussi «vivre et nager dans un océan d’incertitudes en se ravitaillant dans des îlots de certitudes». Rien n’est jamais définitif pour l’être humain. Versatile, il ne cesse de progresser ou de régresser et doit toujours s’attendre à l’imprévisible et l’inattendu. Aucun de ses acquis n’est irréversible. Sont espérance se limite à attendre l’inespéré.

Cette pensée serait-elle pessimiste ? Proche de l’Ecclésiaste qui prêchait: «Rien de nouveau sous le soleil ! Ce qui a été est aussi ce qui sera» ? Sans perspective d’un avenir stable et définitivement lumineux ? Morin ne croit plus au «grand soir» communiste, pas plus qu’il n’espère «un ciel nouveau et une terre nouvelle».

«Le temps n’est pas à l’exaltation et au discours fumeux grandiloquents, mais à de modestes opérations de sauvetage»

Toutefois, il ne désespère pas de l’homme et va même jusqu’à lui proposer « une hygiène de vie », une morale du quotidien sans trop de déceptions et de désillusions. Il l’encourage à se satisfaire de tous les petits bonheurs qui éclosent modestement sur son chemin.

Plus que celle de l’Ecclésiaste, la pensée de Morin est proche d’Epicure. Sans emphase et réaliste, il veut «cueillir le jour», tel qu’il se donne, même sous un ciel nébuleux. Proche aussi d’une certaine sagesse évangélique qui ne désespère pas de se faire des amis avec «l’argent malhonnête» (Luc 10,9).

Les temps sont durs, mais l’homme peut en tirer parti, trouver dans le mal qui l’obsède un bien qui le surprenne. Les «Leçons d’un siècle» d’Edgar Morin, semblent être appropriées à notre époque. Elles ne nous invitent pas à des traversées grandioses mais incertaines. Elles préfèrent le cabotage côtier plus abri des tempêtes. Le temps n’est pas à l’exaltation et au discours fumeux grandiloquents, mais à de modestes opérations de sauvetage. 

Edgar Morin : Leçons d’un siècle de vie, Editions Denoël, 2021, 147 pages.


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