A Neuchâtel, la reconnaissance des communautés religieuses fait débat

Le débat sur la reconnaissance publique des religions s’invite dans les urnes neuchâteloises. Le 26 septembre prochain, les citoyens devront décider qui du peuple ou du Grand Conseil doit décider de reconnaître ou non l’utilité publique de communautés religieuses.

Les Neuchâtelois doivent dire s’ils souhaitent entériner la loi sur la reconnaissance d’utilité publique des communautés religieuses (LRCR), telle qu’adoptée en 2020 par le parlement cantonal. La LRCR est combattue en référendum par l’Union démocratique du Centre (UDC) et le parti radical (PLR). Les deux partis convergent sur un point central. Pour eux le peuple doit avoir le dernier mot sur la reconnaissance d’utilité publique des communautés religieuses.

Après en avoir débattu, le parlement cantonal avait décider de donner cette compétence à une majorité qualifiée du Grand Conseil de 60%, avec la possibilité d’un référendum facultatif demandé par 30 députés. Pour la majorité parlementaire, accorder au peuple le dernier mot comportait un trop grand risque d’arbitraire sur fond de xénophobie et de populisme.

Trois Eglises reconnues aujourd’hui

Alors que plus de 95% de la population suisse de plus de 15 ans déclarait faire partie d’une communauté chrétienne en 1970, en 2019, cette proportion, dans le canton de Neuchâtel, n’était plus que de 44%, contre 48,8% de «sans appartenance religieuse», 4,4% de musulmans, 1,1% «d’autres» et 0,2% de juifs.

Depuis 1948, les communautés réformée, catholique romaine et catholique chrétienne bénéficient de cette reconnaissance d’utilité publique dans le canton de Neuchâtel. La nouvelle Constitution cantonale, adoptée en l’an 2000, prévoit qu’à côté des trois Eglises «historiques», l’Etat peut reconnaître d’intérêt public d’autres communautés religieuses. Il a cependant fallu plusieurs années pour que le Conseil d’Etat lance le processus destiné à mettre en place la loi d’application.

La nouvelle loi, approuvée par le parlement en 2020, après quatre ans de travaux, prévoit de pouvoir étendre la reconnaissance publique à d’autres communautés constituées en association. Elles pourraient ainsi bénéficier de divers avantages: perception de contributions financières volontaires auprès de leurs membres par l’intermédiaire des services de l’Etat, exonération d’impôts, participation aux services d’aumônerie ou encore accès à des salles de classe en dehors des heures de cours pour dispenser de l’enseignement religieux.

Des critères stricts

Les critères pour obtenir cette reconnaissance sont stricts: avoir son siège et être implanté durablement dans le canton de Neuchâtel; reconnaître l’aspect contraignant de l’ordre juridique suisse et des libertés fondamentales; respecter la paix religieuse; être transparent sur les activités et le financement de la communauté; proposer des activités à caractères social et culturel, et non seulement cultuel; pouvoir échanger en français avec les autorités. La procédure de contrôle de ces critères durera jusqu’à cinq ans, et la reconnaissance pourra être retirée en cas d’infraction.

Pour le conseiller d’Etat socialiste chargé du dossier Laurent Kurth, cette loi doit permettre de répondre aux questions soulevées par l’augmentation de la diversité religieuse «sans naïveté et sans peur». Elle constitue une invitation aux communautés «à s’ouvrir, à s’intégrer dans la société et à y participer».

Soutien des Eglises reconnues

Les Eglises reconnues se sont rangées derrière la position du gouvernement et du parlement. Pour le président du Conseil synodal protestant, Christian Miaz, une décision par le peuple pourrait poser des problèmes d’équité: «En ce qui concerne la communauté musulmane, on peut être certain qu’elle serait bien plus stigmatisée que les autres dans le cadre d’une campagne. Et ce même si elle démontre que les efforts demandés sont réalisés.»

Romuald Babey, diacre, représentant de l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg souligne que la reconnaissance de l’existence et de la valeur des autres Communautés est un signe d’intégration, bénéfique pour la paix dans le canton, l’acceptation de la différence, le vivre ensemble.

«Nous sommes en plein déni de démocratie»

Vice-président du PLR neuchâtelois, Jean-Daniel Jeanneret, contacté par Le Temps défend le référendum de son parti: «Chaque citoyen est libre de penser ce qu’il veut et c’est à l’Etat de lui donner les moyens de se forger une opinion avec des informations impartiales. Si des communautés ne convainquent pas, c’est que de facto, elles ne sont pas intégrées socialement. Nous sommes en plein déni de démocratie.» Le fait que 30 députés puissent demander le référendum facultatif ne le convainc pas davantage. «Vous imaginez les pressions et la stigmatisation que subiraient les députés qui formuleraient une telle demande?»  

Une loi inutile pour l’UDC

Niels Rosselet-Christ, président du groupe UDC au Grand Conseil partage cet avis: «Qui est mieux placé que le peuple pour vérifier et décider de ce qui est d’utilité publique ou non?» Pour permettre à l’Etat de vérifier que tous les critères sont respectés, l’UDC voulait en outre ajouter une obligation pour que les prêches soient prononcés dans une langue nationale, quelle que soit la religion.

Dernière opposition, celle du Parti ouvrier populaire (POP) qui estime que les communautés religieuses souhaitant se faire reconnaître se trouveraient de facto discriminées par rapport aux trois communautés déjà reconnues. Le parti, qui se distancie toutefois des référendaires, souhaiterait une solution à la genevoise, soit l’absence de reconnaissance des communautés religieuses, tout en permettant la possibilité d’un statut d’utilité publique lorsque certains critères sont remplis.

Pour les évangéliques, un symbole d’intégration

«Il ne s’agit pas d’une question matérielle, mais plutôt d’un symbole d’intégration dans la société d’aujourd’hui», note de son côté Olivier Favre, pasteur du Centre de vie à Neuchâtel, l’une des principales communautés évangéliques du canton. Il a présidé de longues années la Fédération évangélique neuchâteloise (FEN), qui chapeaute une trentaine de communautés rassemblant environ 5’000 personnes. Peu après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution cantonale neuchâteloise, en 2002, la FEN avait officiellement déposé une demande de reconnaissance.

Les musulmans craignent une stigmatisation

Du côté des communautés musulmanes, le discours sur ce désir de reconnaissance est assez proche. Mais les musulmans neuchâtelois ne sont néanmoins pas encore prêts à déposer une demande. «Nous sommes très déçus que les autorités cantonales aient décidé que cette reconnaissance soit une décision politique. Nous aurions préféré que l’on reste dans le domaine administratif. Dans ce contexte, même si la loi passe, nous renoncerons à déposer notre dossier», explique Jamel Chérif, porte-parole de l’Union neuchâteloise des organisations musulmanes (Unom). Pour l’Unom, ce choix a ouvert la porte à une dérive populiste et à une stigmatisation des communautés musulmanes.

La communauté juive: petite mais intéressée

La petite communauté israélite par contre sera candidate à une reconnaissance. «Il s’agit surtout d’une affaire de principe plus que d’une question matérielle, car nous avons notre propre système de financement», précise au Temps Bertrand Leitenberg, président de la communauté chaux-de-fonnière. «Nous voulons confirmer notre intégration dans la vie neuchâteloise.»

D’autres communautés religieuses seraient aussi intéressées, comme l’Eglise orthodoxe neuchâteloise, ou la communauté bouddhiste Zen-sôtô, dont le temple est installé au Cerneux-Péquignot. (cath.ch/ag/mp)

Maurice Page

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