APIC – Interview

Maurice Page / Agence APIC

Mgr Zoa, archevêque de Yaoundé

« Je vais à l’essentiel: Jésus et l’homme »

Berne, 1ermars(APIC) Verbe vif, rire contagieux, Mgr Jean Zoa, archevêque

de Yaoundé, avec ses tempes grisonnantes est un ’chef’. Depuis trente ans à

la tête de l’Eglise au Cameroun, Mgr Zoa qui a participé au Concile Vatican

II, veut aller à l’essentiel: Jésus-Christ et l’homme créé à l’image de

Dieu.

« Si l’essentiel est sauf, je laisse les gens créér », explique-t-il. Développement rural, démographie, sida, éducation et inculturation tournent

tous autour de l’axe de la dignité humaine. Invité de l’Action de Carême

Mgr Zoa est actuellement en Suisse. L’agence APIC l’a rencontré à Berne.

APIC: Le cacao, le café et le coton sont parmi les principales ressources

d’exportation du Cameroun. Le marché mondial est très morose.

Mgr Zoa: Les prix des matières agricoles ont chuté. Le kilo de cacao de

première qualité se vend aujourd’hui 200 francs CFA alors qu’il y a quelques années il valait encore 400 francs CFA. Ainsi une paire de sandales

qui valait moins d’un kilo de cacao en vaut maintenant un kilo et demi.

Nous suggérons à nos chrétiens de se tourner vers les cultures alternatives dont la plus simple est la culture vivrière. Ces produits peuvent

être vendus dans les villes et former une source de revenus. Mais la société doit changer. Jusqu’à présent tout ce qui est vivrier est réservé à la

femme. Il faut maintenant que les hommes aillent travailler avec les femmes, puisque ce sont les produits vivriers qui peuvent faire rentrer de

l’argent. Pour que le travail soit plus rentable et moins pénible, il faudrait améliorer les méthodes culturales. L’action catholique des foyers

(ACF) oeuvre dans ce sens. Nous avons créé des coopératives communautaires

avec le travail en équipe où l’on se transporte de plantation en plantation. Nous avons lancé aussi le crédit agricole.

Dans une tournée que j’ai faite il y a quatre ans, j’ai interrogé tous

les responsables d’Eglise, j’ai cherché à savoir pourquoi les villages sont

en train de se vider et de mourir. Le théologien Jean-Marc Ela a fait la

synthèse de l’enquête. La conclusion est que le développement passe par les

villages.

APIC: L’école est un autre outil de développement. Dans quel état se trouve

le système éducatif camerounais?

Mgr Zoa: Je suis responsable de la Commision enfance et jeunesse qui s’occupe de problèmes scolaires. La situation des écoles est très difficile.

Dans certaines régions, les maîtres ne sont plus payés depuis huit mois.

Comme les parents n’ont plus d’argent, un ou deux enfants par famille seulement iront à l’école, les autres ne vont plus y aller.

Les écoles catholiques et protestantes regroupent environ la moitié des

effectifs des écoles primaires. Dans l’archidiocèse de Yaoundé on compte un

peu plus de 500 écoles catholiques qui regroupent 60’000 garçons et filles

en nombre à peu près égal.

En fait l’ambition du Cameroun de vouloir scolariser tous les enfants

gratuitement était démesurée pour un pays sous-developpé. Maintenant la

Banque mondiale et le FMI demandent au Cameroun de revoir son budget. Comme

on diminue le nombre de fonctionnaires, on demande aussi la diminution de

la scolarisation.

APIC: La tradition de la dot est un poids qui pèse lourdement sur la société camerounaise?

Mgr Zoa: La dot est une charge très lourde pour les familles. Les lois facilitent pourtant l’abandon de cet usage, mais les jeunes n’ont pas toujours le courage d’agir contre les parents. On leur dit: « Si vous allez

vous inscrire à l’état-civil contre la volonté de vos parents vous allez

être maudits ». La manie des fêtes est un autre empêchement. Même si on est

pauvre, le jour de son mariage, on veut une fête très solennelle avec des

invitations, des robes etc. Je dis aux jeunes qui veulent se marier sans

cette pression sociale que j’autorise les prêtres à ne plus publier les

bans et à se contenter de contrôler qu’il n’y a pas d’empêchement. Il suffit alors de trouver deux témoins discrets – j’insiste sur le mot discret et vous pouvez bénir le mariage, même à minuit.

APIC: Le problème démographique se pose partout en Afrique. Comment réagit

l’Eglise?

Mgr Zoa: Le planning familial fait partie de la préparation au mariage. Le

fait que cette question fasse partie des éléments du dialogue entre l’homme

et la femme constitue déjà un progrès. Un département du Bureau des activités socio-caritatives de l’Eglise (BASC) s’occupe exclusivement de l’éducation à la planification des naissances. Nous prônons sur le plan moral les

méthodes naturelles, mais on expose toute la panoplie existante.

APIC: L’Afrique est touchée de plein fouet par le sida? L’Eglise mène-t-elle une action spécifique?

Mgr Zoa: La lutte contre le sida est intégrée dans le département de santé

primaire. Nous n’avons pas pensé qu’il fallait mener une action à part, on

a seulement intensifié l’éducation sexuelle et à l’amour. Il faut situer le

sida dans toute une éducation. C’est la revalorisation du 6e commandement

que Vatican II n’a pas changé.

APIC: Si l’on en revient à l’évangélisation, le synode spécial pour l’Afrique aura lieu à Rome, n’êtes-vous pas déçu?

Mgr Zoa: Non, pour moi ce n’était pas une surprise. L’oeil du cyclone se

promène actuellement sur l’Afrique, on ne sait jamais où il va s’arrêter.

Si on avait décidé de tenir le Synode au Kenya, jusqu’au dernier moment on

est exposé à une évolution imprévue. Il s’agit pour moi de la principale

raison.

APIC: Le Synode ne sera-t-il pas plutôt romain que vraiment africain?

Mgr Zoa: Pour moi cela n’est pas un problème. Sincérement, je pense que si

nous avons nos problèmes, on peut les traiter partout. J’ai fait un synode

diocésain en 1980 pour le centenaire de l’Eglise au Cameroun. Nous nous

sommes donné quatre axes qui seront repris pour examiner « l’Instrumentum

laboris » qui vient d’être publié.

Le premier axe est celui de la connaissance de Dieu, de Jésus-Christ et

de son Eglise. Toutes les langues africaines ont le mot « Dieu ». Mais il

faut approfondir: Quelle est l’image du Dieu de nos ancêtres, par rapport

au Dieu d’Abraham? Le Dieu de nos ancêtres a-t-il un visage, un coeur,

s’intéresse-t-il à la vie quotidienne et au destin des hommes, leur parlet-il? Réaliser que le Dieu de la Bible est un être personnel est déjà un

grand choc. Dans ce sens, une autre chose importante est de situer les sacramentaux. Dans la pratique, ces signes, qui devaient être la dernière chose, occupent la première place: bénédictions, eau bénite etc.

Le deuxième axe est l’annonce de Jésus-Christ et l’élan missionnaire.

Même si un Eglise est encore catéchuménale, il faut qu’elle soit missionnaire. Autrement elle n’est pas authentique.

Le troisième axe est l’engagement dans les tâches de développement du

pays au nom de notre foi. C’est capital. Nous essayons de brancher les tâches de développement sur le mystère de la création. Dieu créateur demande

à l’homme de répéter son geste. L’autre aspect est celui du respect des

droits et de la dignité de l’homme.

Le quatrième axe est la prise en charge et l’autonomie financière et

économique des communautés, paroisses, diocèses etc. L’aide exterieure doit

être complémentaire. Dans mon diocèse il y a environ la moitié de prêtres

indigènes, soit environ 70.

APIC: L’inculturation est un des points centraux du document de travail. De

nombreux théologiens africains ont étudié cette question. Comment l’abordez-vous?

Mgr Zoa: Je traite de l’inculturation dans la transmission du message.

L’Evangile n’est pas une théorie. Jésus intervient dans des ’noeuds’.

L’égalité entre les hommes et les femmes est par exemple abordée dans

l’épisode de la femme adultère. Pourquoi seule la femme doit-elle être condamnée? C’est la remise en cause d’une société.

Il faut distinguer l’échelle des valeurs et leur « habillement culturel »

qu’est l’inculturation. Jésus intervient sur l’échelle des valeurs: « Autrefois vous avez entendu dire, (…) Moi je vous dis » (Mt 5-7). Personne ne

peut toucher à cela. La définition de ces valeurs est déjà acquise. Africaniser l’Evangile est une fausse expression. Jésus est venu évangéliser et

promouvoir l’homme en tant qu’image de Dieu. Pour toutes les cultures, on

va se vérifier à l’Evangile.

APIC: Dans ce contexte, il n’est donc pas nécessaire d’avoir un droit canon

africain?

Mgr Zoa: Il faut essayer de vivre l’Evangile et ne pas vouloir déjà tout

codifier, écrire l’Histoire de toute l’Afrique. L’Afrique a beaucoup à apprendre. Si on se fixe sur la culture, le discours devient horizontal.

L’Afrique veut se défendre contre une culture qui l’a colonisée. Cela ne

m’intéresse pas en tant que chrétien. D’autres instances peuvent le faire.

Pour ce qui regarde l’Eglise, la dimension est verticale: autour de la personne humaine, homme, femme, enfant, et de la communauté. Le reste… La

restitution du droit de la rationalité en Afrique est très importante. Sans

la raison avec ses droits et ses devoirs, la foi chrétienne, et le développement sont impossibles. Je vais à l’essentiel: Jésus et l’homme. Une fois

l’essentiel sauvé, je laisse les gens créer, aucune école ne doit dire:

« j’ai été canonisée par l’évêque ». On ne retiendra que ce qui sera plus solide. L’essentiel d’abord, le reste on s’en « fout ».

APIC. Les médias ont un grand rôle à assumer en Afrique. Où en est la publication catholique « l’Effort camerounais »?

Mgr Zoa: L’assassinat de son directeur, l’abbé Joseph M’Bassi, en 1989 n’a

jamais été élucidé. Misereor, l’oeuvre d’entraide catholique allemande, qui

nous aidait nous a averti que si nous ne donnions pas, jusqu’à octobre

1992, de signe que « L’Effort camerounais » pouvait vivre par l’intérêt de

nos communautés et de nos diocèses, elle suspendrait son aide. Il n’y a pas

eu de réponse. Le journal est suspendu, ne parlons pas de mort. Mais faire

vivre un journal en Afrique… finances, distribution, abonnements… Même

parmi les évêques, il y en a qui n’ont rien compris. Nous avions de gros

diocèses qui ne vendaient rien… On ne peut pas faire de miracles.

Nous avons par contre un projet de radio en cours. Nous réflechissons à

la mise en oeuvre du projet. Nous commencerons par Yaoundé puis Douala.

APIC: En Afrique, la situation politique est très instable. Quels sont les

rapports entre l’Eglise et le gouvernement?

Mgr Zoa: Les relations sont pour le moment normales. Le président Paul Biya

est un catholique, ancien séminariste, mais il y a eu des tensions, notamment pendant la période d’urgence. Mgr Paul Verdzekov, évêque de Bamenda, a

condamné vivement la pratique de la torture. A la suite de cela, le ministre de l’Information a attaqué l’évêque à la radio et à la télévision. Tous

les évêques se sont alors mobilisés derrière Mgr Verdzekov. Le gouvernement

essaie de diviser ou de récupérer les évêques, de même que l’opposition.

Nous devons tout le temps nous défendre. (apic/mp)

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