«La vie de J.C.»: accélérateur ou retardateur de déchristianisation?

La série humoristique imaginée par Zep autour de la figure de Jésus-Christ a suscité de nombreuses réactions courroucées de la part de certains chrétiens, dénonçant une attaque à l’endroit de leur religion. Mais quel impact a vraiment ce genre de détournement?

Anne-Sylvie Sprenger, Protestinfo

«Honteux», «blasphématoire», «indécent»: autant de qualificatifs que l’on a pu lire dans les Courriers de lecteurs ou les réseaux sociaux. Ils sont signés par des chrétiens offusqués par «La vie de J.C.», la série humoristique imaginée par Zep et qui réunit, sur la RTS depuis quelques semaines, une clique d’humoristes romands emmenés par Vincent Veillon dans le rôle-titre.

Cette désapprobation virulente, bien que minoritaire, qui a pourtant poussé le porte-parole de la télévision romande à s’excuser dans les médias: «Si «La vie de J.C.» heurte la sensibilité et la foi chrétienne de certaines personnes, ce n’est nullement son intention, son unique but étant de divertir.»

Mais qu’en penser du point de vue chrétien: un tel traitement risque-t-il d’entacher encore davantage le christianisme, ou faudrait-il au contraire se réjouir que la figure de Jésus se maintienne dans l’espace public, qu’elles qu’en soient au final les modalités?

Un rôle démesuré

«Selon moi, ces épisodes ne font office ni de retardateur ni d’accélérateur de la déchristianisation de nos sociétés, ce serait leur faire jouer un rôle démesuré», lâche sans détour François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l’Université de Fribourg. «Ces contenus à propos du Christ et des Églises se consomment d’habitude sans lendemain», rassure-t-il. Même son de cloches du côté du théologien réformé Olivier Bauer: «Cette série ne va ni évangéliser les foules ni les détourner de l’Évangile. C’est un épiphénomène, il n’y aura pas d’avant et d’après ce ‘J.C.’»

Tout est une question de contexte, rappelle cependant le sociologue des religions Jörg Stolz, de l’Université de Lausanne (Unil): «Dans les années 1960, ou encore lors de la sortie de La vie de Brian des Monty Python en 1979, des normes pouvaient encore être brisées avec de telles productions. Elles pouvaient encore influencer la société dans son rapport au christianisme, ce n’est plus vraiment le cas.»

Une référence culturelle

La figure du Christ n’en a pas moins délaissé l’espace public, comme s’en réjouit Valentine Robert, historienne du cinéma à l’Unil: «Jésus n’appartient désormais plus uniquement aux seuls chrétiens. S’il a perdu de son impact religieux, il reste un repère fort dans nos imaginaires», formule la chercheuse qui a d’ailleurs travaillé sur le thème «Les usages de Jésus au XXe siècle: cinéma, arts et littérature» pour le Fonds national suisse (FNS).

«Jésus ne va pas disparaître avec la sécularisation», assure pour sa part le sociologue des religions. «Les symboles religieux sont devenus des références culturelles comme les autres. Et parce que la figure de Jésus a imprégné la culture générale, on peut désormais l’utiliser de mille et une façons, comme la Mona Lisa sur les T-shirts.» Si les temps changent, les visions du monde aussi. «Chaque époque a réactualisé à sa façon cette figure. On l’a vu notamment avec le mouvement hippie, mais aussi plus récemment avec des Jésus noirs, racisés, réfugiés. Pensons aux séries TV Black Jesus et Messiah, ou au film de Milo Rau Le nouvel Evangile», illustre encore Valentine Robert.

Une règle d’art

Cette désacralisation n’étonne pas les spécialistes de l’art. «On ne compte pas les reprises et recyclages entre œuvres, c’est la vitalité même de la production culturelle. De La Fontaine et des frères Grimm qui ont mis en mots des légendes populaires à la saga de Star Wars qui a transposé à la science-fiction l’univers des western, en passant par les citations et détournements dans la musique, le théâtre ou encore l’art pictural, l’art se nourrit de l’art», souligne Olivier Moeschler, sociologue de la culture à l’Unil. Et d’asséner: «Les détournements en tous genres ne sont donc pas l’exception, mais bien la règle en art. En tant que productions cultuelles, les religions n’y font pas exception.»

Un christianisme «exemplaire»

Finalement, la question n’est pas tant de savoir ce que ce genre de série fait au christianisme, mais plutôt ce que sa présence dit de notre rapport à cette religion. Pour François-Xavier Amherdt, «La vie de J.C. est surtout symptomatique de la sensibilité de notre époque vis-à-vis de la foi chrétienne. Selon l’intelligentsia, on ne peut désormais en parler que sur un mode parodique ou caricatural, toute affirmation positive étant reléguée au rang d’obscurantisme anachronique.»

«Je trouve plutôt salutaire de rire de Jésus à une heure de grande écoute», exprime quant à lui Olivier Bauer. «De ce point de vue, le christianisme est assez exemplaire», formule à son tour Valentine Robert. «Ça ne passerait pas avec d’autres religions, où il y a des interdits très clairs qui sont en place, mais le christianisme est rompu à l’exercice de l’autodérision.»

Le théologien réformé a d’ailleurs choisi de commenter sur son blog chacun des épisodes quant à leur «intérêt théologique», dissociant ainsi, en quelque sorte, le bon grain de l’ivraie. Une initiative assez évidente à son avis: «Beaucoup de pasteurs cherchent à interpeller à travers ce genre de produits de la pop culture, à l’instar de la figure christique que l’on pouvait dénicher dans Le Seigneur des Anneaux ou Forrest Gump. C’est toujours une occasion de revenir aux textes.»

La déception plus que l’indignation

Si certains chrétiens sont montés au créneau pour crier leur indignation, la majorité portent plutôt un regard critique sur la qualité de la proposition plus que sur son caractère potentiellement blasphématoire. Plusieurs pasteurs réformés ont d’ailleurs exprimé à Protestinfo avoir attendu avec «impatience» et «grande curiosité» les premiers épisodes, tout en sachant bien que l’image de Jésus y serait forcément un peu écornée.

Du côté des croyants, certains disent goûter avec plaisir à ce «Kamelott christique», jugé tantôt «frais», «décalé» et «drôle». D’autres, sensiblement plus nombreux, n’hésitent pas à exprimer leur déception face à un humour décrit comme «puéril» ou «simplet». L’écrivain Jean-Michel Olivier va même jusqu’à parler d’un «naufrage».

Face à ces différents ressentis, un seul repère fiable: les chiffres d’audience. Contactée, la RTS indique que «les premiers épisodes ont été suivis par une audience moyenne de 172’000 personnes et 42,5% de part de marché» Et d’ajouter: «Il s’agit de fortes audiences mais qui restent difficiles à interpréter. Les épisodes ne durant que quelques minutes, leurs audiences dépendent beaucoup de celles générées par l’émission qui les précède, en l’occurrence le 19h30.»

Zep explique ses motivations
La série humoristique imaginée par Zep autour de la figure de Jésus-Christ a suscité de nombreuses réactions courroucées de la part de certains chrétiens. Zep répond.

Marie Destraz, Protestinfo

En imaginant La vie de J.C., le dessinateur Zep n’avait pas l’intention de se moquer. En traitant avec humour un personnage connu de tous qu’il a souhaité «terriblement» humain, Zep invite le spectateur à rire de lui-même et de notre société. Interview.

Pourquoi consacrer une série à Jésus?
C’est un des rares personnages historiques connus de tous. Chacun connaît au moins un ou deux épisodes de sa vie. Il a fait partie de la mienne lorsque j’étais jeune et j’ai étudié la Bible plusieurs années. On peut croire ou non à sa nature divine, mais son existence est indiscutable et il a changé le monde. Encore aujourd’hui, notre société a des bases construites sur son message, souvent mal compris d’ailleurs. Mais cela fait de lui un personnage essentiel, que l’on soit croyant ou non.

Avec quelle intention avez-vous abordé cette parodie?
Je voulais montrer une sorte de Jésus bis. Un Jésus convaincu qu’il a quelque chose à transmettre aux hommes de son temps, mais mal compris, entouré par des copains pas très futés ou qui voient en lui juste un magicien ou un potentiel leader politique. Un Jésus qui n’ose pas faire de peine à sa maman ni à sa copine en leur annonçant sa mission.  Un Jésus qui, manque de bol, est nul pour raconter des histoires, mais qui est convaincu qu’il touchera mieux les esprits en racontant des paraboles. C’est assez amusant de voir que 2000 après, on interprète encore ses histoires, ce qui a ses limites, puisque l’on peut aussi leur faire dire ce que l’on veut…

De quelle manière votre parcours de jeune catéchumène engagé vous a-t-il influencé?
Je me suis plongé dans la Bible à l’âge de 16 ans. Ce livre était la Parole de Dieu, indiscutable d’abord, puis, avec mon approche protestante, à force de questionner le texte, les traductions, les réécritures au fil des époques et au fil des autorités religieuses, je me suis éloigné de son côté divin pour m’y intéresser de manière plus historique.

Que signifie, à titre personnel, cette prise de liberté?
Pour moi, l’humour est un langage sain. Une société doit savoir rire d’elle-même, c’est essentiel. L’Église que j’ai connue avait ce recul. Je n’utilise jamais l’humour pour stigmatiser ou me moquer. Je ris de nous-même. De notre humanité. Mon JC est terriblement humain. Cela le rend comique – et aussi attachant, je pense.

Les références auxquelles vous faites appel vous semblent-elles encore grand public?
Non. Plus tellement. C’est l’occasion de les raconter à nouveau. Si j’étais catéchète, j’utiliserais certains épisodes pour parler de Jésus.

Pour vous, une série comme La vie de J.C.:  accélérateur ou ralentisseur de la déchristianisation?
Je ne sais pas. Ce n’est pas ma mission, je n’écris cette série pour aucune de ces deux raisons, mais raconter un Jésus humain et sympa, cherchant sa mission et confronté à la bêtise me semble plutôt une bonne manière d’engager la curiosité des gens. La re-christianisation, c’est plutôt le rôle des Églises, non? MD

Rédaction

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