Rapport sur les abus sexuels: ce qu’en disent les prêtres

«Je me suis fait insulter dans la rue , traiter de pédophile devant tout le monde. C’est hyper dur». Pour beaucoup de prêtres, la révélation des violences sexuelles commises par certains de leurs confrères a été un choc. Ils réagissent cependant positivement face à un travail de vérité nécessaire.

En juillet 2021, la CIASE entamait la finalisation de ses travaux. Elle a souhaité alors recueillir les témoignages de prêtres et de séminaristes en activité. La commission a ainsi auditionné une vingtaine de personnes volontaires, d’âge, d’origine et de sensibilité ecclésiale différentes.

Après l’écoute des victimes, la parole des clercs avait aussi son importance pour affronter la crise et discerner des enseignements pour l’avenir. Les témoignages ont été rassemblés dans l’annexe 31 de 56 pages du rapport Sauvé.

«Ca m’est revenu dans la figure par certains comme si j’étais moi aussi un prédateur»

Aucun des interrogés n’a réduit les actes pédo-criminels à des agissements de déviants isolés. Le caractère systémique a été spontanément relevé, indique la commission. De même la solution au problème est abordée moins en termes de résolution de déviances individuelles par le moyen de la thérapie ou de la spiritualité qu’en termes de régulation institutionnelle.

Une prise de conscience progressive

Pour les prêtres sollicités, la prise de conscience n’a été que progressive et reste inachevée dans le clergé. «Quand j’étais en stage en paroisse (…) j’avais posé la question: comment se fait-il que ce prêtre qui n’est pas très âgé encore n’ait qu’un ministère disons réduit, et on m’avait répondu: il a eu des affaires avec les enfants. Voilà ça s’était arrêté là», raconte un prêtre de 73 ans.

«En vingt ans de sacerdoce, j’ai été confronté 3-4 fois à des situations de gravité diverse, où j’ai dû réagir de manière forte pour sauver certaines personnes d’emprises qui étaient dues à des proximité avec des religieux ou des prêtres», explique un autre ecclésiastique de 48 ans.

Les scandales d’abus sexuels ont endommagé l’image de l’Eglise. | © Pixabay

Un regard du monde qui alerte et qui blesse

Pour beaucoup, la révélation des affaires d’abus sexuels sur mineurs, notamment à partir des films Spotlight (2015), puis de Grâce à Dieu (2018), a provoqué une onde de choc. «Je l’ai mal vécu et aussi parce que ça m’est revenu dans la figure par certains comme si j’étais moi aussi un prédateur. (…) Ca crée un climat délétère», déplore un prêtre de 68 ans. Un confrère plus jeune raconte: «Je me suis fait insulter dans la rue , traiter de pédophile devant tout le monde. C’est hyper dur. Pendant trois jours j’en ai eu mal au ventre.»

Pour les prêtres interrogés, les abus sexuels sur mineurs relèvent de l’incompréhensible. «Qu’une personne en responsabilité puisse attenter à un enfant ou à un jeune (…) Je n’arrive pas à comprendre bien sûr, mais je n’arrive pas à m’imaginer ce qui peut passer par le tête de cette personne», remarque l’un d’eux. Un confrère plus jeune l’exprime plus spontanément: «De là à toucher des enfants, il y a un truc qui m’échappe.»

«Est-ce que les paroissiens vous parlent de ça? Absolument pas, c’est moi qui ai chaque fois abordé le problème avec eux.»

«Je sais avoir vu ces prêtres avoir eu des comportements parfois douteux, un peu trop collants ou un peu trop proches avec des jeunes, c’est quelque chose qui finissait vraiment par nous mettre mal à l’aise parfois. Mais comme on était uniquement dans l’ordre de la suspicion, on ne savait pas trop comment réagir, c’est des choses qu’on a parfois laissé couler. Je le regrette maintenant», avoue un prêtre de 44 ans.

Stupéfaction, colère et dégoût

Stupéfaction, colère, dégoût, douleur sont les sentiments les plus partagés au sein du clergé. «Ca fait l’effet d’une bombe et après comment a-t-on pu laisser faire ça? (…) Ca me pose énormément de questions.» «J’ai le souvenir au début du séminaire (…) d’une position qui se sentait un peu victime du regard de la société sur l’Eglise, et petit à petit j’ai pris conscience de la violence des faits», note un séminariste de 28 ans.

Le silence des paroissiens

Le silence des paroissiens sur le sujet des abus sexuels est un autre objet d’étonnement pour les prêtres interrogés. «Est-ce que les paroissiens vous parlent de ça? Absolument pas, c’est moi qui ai chaque fois abordé le problème avec eux.» Un autre prêtre avance une explication: «La culture bourgeoise est fondamentalement légitimiste, elle légitime toujours l’autorité; elle légitime du coup aussi les abus de pouvoir. (…) Celui qui a des problèmes c’est le faible; et le faible on ne s’intéresse pas à lui; c’est lui qui est présumé coupable.»

Garder confiance

«Mais à côté de ça, il y a aussi des prêtres qui exercent au mieux leur ministère. (…) Attendez (…) il faut regarder la forêt, il faut pas regarder que l’arbre», souligne un prêtre de 37 ans qui admet en avoir un peu ras-le-bol.

«Dans les diocèses, la gouvernance est très pauvre, archaïque même (…) sans possibilité institutionnelle de médiation»

«Peut-être que l’Église est première dans le domaine, mais qu’en affrontant ce problème, elle permettra aussi à d’autres institutions de l’affronter», note un confrère.

L’Eglise, lieu à risque  

Interrogés sur l’Eglise comme lieu à risque, la plupart des prêtres mettent le doigt sur la superposition de l’autorité et de l’intimité. «Un des facteurs de risque c’est quand l’autorité est trop concentrée dans une seule personne». La culture hiérarchique qui prévaut dans l’Eglise aggrave le problème. «Moi, ce qui m’a touché, c’est que j’étais dans un système qui a permis ça. Un système dans lequel il y avait un culte de de l’autorité, une obéissance que je ne vais pas dire aveugle mais presque», témoigne un jeune prêtre passé par les Légionnaires du Christ.

Dans les diocèses, «la gouvernance est très pauvre, archaïque même (…) sans possibilité institutionnelle de médiation», dénonce un confrère plus âgé. Avant de poursuivre : «selon moi, un des facteurs facilitant le passage à l’acte, en particulier chez les auteurs occasionnels, c’est un gouvernement diocésain autoritaire qui engendre une culture du silence, de l’omerta, du légitimisme et du conformisme chez la plupart des prêtres et un sentiment de toute-puissance et d’impunité chez certains.»

L’abus sexuels peut marquer à vie | pixnio CC-BY-2.0

L’homosexualité dans le clergé

Le même prêtre évoque aussi la question de l’homosexualité au sein du clergé: «C’est délicat d’en parler parce qu’il ne s’agit pas de stigmatiser les prêtres à orientation homosexuelle. Mais il me semble que la rencontre de l’autre vraiment différent devient plus difficile. Cela a une influence sur la pastorale globale d’un diocèse lorsqu’un nombre significatif de postes importants sont occupés par des prêtres à orientation homosexuelle. Dans la culture du même, l’Eglise risque de se mettre au service de la reproduction d’un milieu social (…) J’ai l’impression que c’est un facteur de risque pour l’infiltration de prêtres prédateurs au sens strict.»

Rien à voir avec le célibat

L’unanimité règne chez les prêtres interrogés pour estimer que le célibat sacerdotal et la place des femmes dans l’Eglise sont de vraies questions, mais qu’elles n’ont pas de corrélation avec les violences sexuelles sur des mineurs ou des personnes vulnérables. «Mélanger ces sujets, c’est vraiment n’importe quoi. Ça veut dire que la femme serait là en quelque sorte comme remède à la concupiscence masculine», s’emporte un prêtre de 50 ans. «Il y a certes des célibats mal vécus, mais le célibat n’en est pas la cause directe», complète un confrère.

«Le secret de la confession est là pour protéger celui qui parle pour créer une relation de confiance qui puisse être absolue»

Si le célibat n’est en soit pas un danger, la solitude et l’isolement qui lui sont parfois liés peuvent l’être: «Un prêtre isolé met les autres en danger et il se met lui aussi en danger.» Le lien avec la famille, les confrères et avec l’évêque reste aussi décisif.

Le secret de la confession

Globalement, le secret de la confession ne semble pas un enjeu majeur pour les prêtres interrogés: «Le secret de la confession n’est pas quelque chose qu’il faut aborder de manière négative mais plutôt de manière positive dans le sens où (…) il est là pour protéger celui qui parle pour créer une relation de confiance qui puisse être absolue. (…) C’est le rôle du prêtre de ne pas donner l’absolution et de la conditionner à ce que la personne aille se dénoncer. (…) être dans une miséricorde à peu de frais n’aide personne, ne fait grandir personne. Il y a une vérité à faire. (…) Je ne pense pas que la question se pose en disant: on va rompre le secret de la confession.»

Face aux victimes

Face aux victimes, la plupart des prêtres se sentent très démunis: «Tout me semble dérisoire. Alors après, j’avoue que je ne sais pas trop.» «Entre la peine causée par un homme d’Eglise et la réparation que l’Eglise doit (à la victime), j’ai le sentiment qu’humainement la proportion n’y sera jamais.»

«Si la victime pardonne trop vite, ça la conduit à se dire: ›Je suis tellement nulle que finalement ce n’est pas très grave ce que l’on m’a fait’»

Pour répondre, l’argent n’est pas tout. Il faut aussi offrir des services d’écoute et d’accompagnement, avec des spécialistes. «Comprendre la colère c’est aussi notre mission, enfin la mission de l’Eglise», estime un prêtre de 37 ans.

Les prêtres sont conscients également que la prière et le pardon peuvent parfois être des écueils plutôt qu’un soutien: «Ce qu’on doit viser c’est la restauration de l’estime de soi. (…) Si la victime pardonne trop vite, ça la conduit à se dire: ›Je suis tellement nulle que finalement ce n’est pas très grave ce que l’on m’a fait’»

Le recours à des tiers

«Ce qui m’a paru intéressant dans la résolution de cette crise c’est que les évêques soient obligés de faire appel à des personnes extérieures à l’Eglise pour penser le problème et je crois qu’en termes de réparation ou d’investissement dans l’avenir pour traiter ces questions, ça me parait important que l’Eglise ne s’isole pas», résume un prêtre de 44 ans.

Faciliter l’appropriation du rapport dans les paroisses et les communautés est aussi un souhait des prêtres interrogés. «L’enjeu c’est celui de la diffusion la plus large possible d’un travail qui vous a pris du temps et qui a besoin d’être honoré et d’arriver à une conversion.» «On avait une image de l’Eglise parfaite mais c’était un abus, elle est faite de pêcheurs, elle est sainte du fait qu’elle porte Dieu, pas en elle-même.» (cath.ch/mp)

Annexe 31: Synthèse des témoignages de prêtres et séminaristes
Tous les prêtres et séminaristes volontaires interrogés par la CIASE ont exprimé un soutien explicite et même un sentiment de gratitude face au travail de la CIASE. «En tout cas merci. (…) ça nous aide aussi d’exprimer ces choses-là. On a besoin de pouvoir en parler et je pense que le travail que vous faites est important pur nous aussi», note un prêtre de 44 ans.
Les entretiens, menés de manière ouverte, ont porté sur trois aspects plus spécifiques: le regard sur les actes de pédo-criminalité dans l’Eglise et la capacité d’identifier les comportements à risque, les processus d’alerte internes et externes et les réponses à apporter pour l’accueil des victimes et la prévention. MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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