Quelle boussole éthique dans la complexité?

Le milieu de l’été est toujours un moment propice pour créer la surprise. C’est ce que fit Richard Nixon, le président des Etats-Unis, au soir du dimanche 15 août 1971. En quelques phrases, il détricota le cadre institutionnel de l’économie de l’après-guerre, qui aura tenu à peine 25 ans, de 1946 à 1971. Un événement qui, il y a 50 ans, a eu une portée structurante sur l’économie que nous connaissons aujourd’hui.

Dans le regard rétrospectif, la logique des évènements et leur enchainement paraissent implacables: la rupture du lien or-dollar, sa dépréciation qui s’ensuit et qui propulse les autres monnaies, la crise pétrolière et la crise économique des années 1970 qui sonna la fin des Trente Glorieuses. Plus près de nous, le développement de la finance et l’instabilité structurelle de l’économie, qui ne profite qu’à certains.

Face à cette avalanche de faits, comment peut-on porter un jugement éthique sur la décision américaine vieille d’un demi-siècle? J. Garten vient de consacrer un ouvrage très fouillé à cette décision mémorable du 15 août 1971. Il y montre à quel point, les conséquences de court et moyen terme ont divergé de ce à quoi s’attendaient les décideurs américains. Ces derniers n’avaient nullement conscience de prendre une décision structurant le cours de l’économie mondiale pour les prochaines décennies. La réalité a donc débordé (plutôt que dépassé) les anticipations. Cet exemple renvoie à une question plus générale qui concerne les critères que les acteurs peuvent mobiliser pour apprécier leurs décisions du point de vue éthique.

En la matière, quatre lignes de force – chacune avec de nombreuses variantes – traversent l’histoire de la philosophie morale: l’éthique des vertus, celle du devoir, celle des conséquences et celle, apparentée de la responsabilité. Dans le premier cas, la référence est la qualité éthique de l’acte ou de la décision. Il s’agit de savoir si ce dernier mobilise les vertus cardinales, de prudence, de justice, de force et de tempérance. Dans le cas de l’éthique du devoir, et donc de la déontologie, c’est le rapport à l’impératif catégorique qui doit être envisagé. Est-ce que l’acte instrumentalise autrui, est-ce qu’il respecte le devoir d’humanité?

«C’est au nom de sa responsabilité par rapport au peuple américain le président Nixon a jugé bon de passer à l’acte en août 1971»

Dans l’éthique des conséquences, celle dont émane l’utilitarisme si présent dans le monde contemporain, ce sont les conséquences et les impacts de la décision qui sont au cœur de l’attention. Or, l’exemple du 15 août 1971 montre que les dans les affaires sociales, les conséquences, surtout celles à moyen et long terme, ne sont pas connaissables avec certitude faute de causalités univoques. Par conséquent, même si on tente de contourner le problème par les calculs de probabilité, dans un monde complexe, la connaissance des conséquences restera toujours lacunaire. Ainsi, à cause de la complexité congénitale du social, l’éthique des conséquences ne peut servir de base solide pour un jugement éthique. Il reste la perception (souvent sélective) des conséquences possibles, laquelle relève de l’information qui renvoie à la vertu de prudence.

L’éthique de la responsabilité est aussi fragile et n’apporte guère plus de réponses puisqu’elle dérive son jugement des conséquences, mais avec une attention sélective privilégiant celles parmi les conséquences qui ont trait à ce dont on a la responsabilité (légale et/ou morale). C’est au nom de sa responsabilité par rapport au peuple américain – qu’il invoque dans son discours – que le président Nixon a jugé bon de passer à l’acte en août 1971. L’intention certes louable, est une chose, les conséquences effectives, y compris pour les Etats-Unis, une autre puisqu’elles ne peuvent être appréhendées avec précision.

Cette brève analyse illustre les limites de l’éthique des conséquences, et à contrario, elle souligne la puissance de l’éthique des vertus qui met l’accent sur les ressorts internes de la décision. Selon toute vraisemblance les considérations de tempérance et de justice, notamment par rapport aux partenaires n’étaient pas au cœur de la préoccupation américaine de l’époque.

Paul Dembinski

3 novembre 2021

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