Quand la sainteté est à portée de main....

APIC – REPORTAGE

Béatification du chanoine Maurice Tornay

Jacques Berset, Agence APIC

Romaine Pouget, d’Orsières, étudiante en médecine à Lausanne, est encore

sous le coup de l’émotion; sa petite soeur Florence laisse couler des larmes de joie et de bonheur. Elles viennent de recevoir la bénédiction du pape Jean Paul II. Dans la salle Paul VI du Vatican, le Souverain pontife bénit, serre les mains, embrasse les jeunes placés au premier rang de l’immense salle d’audience.

Les jeunes pèlerins, visiblement impressionnés par un Jean Paul II en

pleine forme et si proche d’eux, viennent pour la plupart d’Orsières, la

commune du Père Maurice Tornay. La veille, l’Eglise procédait solennellement, dans la Basilique St-Pierre, à la béatification de ce chanoine du

Grand-St-Bernard tombé, « en haine de la foi », sous les balles des lamas tibétains un jour d’août 1949, à l’âge de 39 ans. Un Valaisan parmi les nombreux martyrs de l’Eglise en Chine et au Tibet.

Le pape se déplace, manifestement heureux, dans une marée de drapeaux

valaisans et suisses, au milieu des chants traditionnels et patriotiques:

« Notre beau Valais », « Le vieux chalet », « Le ranz des vaches », le « Cantique

suisse »…, et fusent les applaudissements, les « vive le pape ».

Le coin des 600 pèlerins valaisans fait une grosse impression parmi les

autres groupes présents pour les trois autres béatifications. « Ah, ils sont

bien là, ces Suisses! », peut-on entendre du côté des Pères monfortains venus honorer la religieuse française Marie-Louise de Jésus Trichet,

co-fondatrice des Filles de la Sagesse.

Une démarche de foi

Dans le bus de l’ »Oiseau bleu », qui a récolté les pèlerins de la région

de Martigny, d’Orsières et de Liddes, dans la vallée de l’Entremont, on

chante les vêpres dans la nuit qui tombe. Aidées par le chanoine François

Lamon, curé d’Orsières, les « animatrices spirituelles » du groupe font comprendre que ce pèlerinage est une démarche de foi, pas une sortie touristique. Nicole Giroud, étudiante en théologie à Fribourg, et Isabelle Reuse,

qui s’apprête à entrer à l’Ecole de la foi de Fribourg, font chanter les

jeunes, qui participent volontiers, malgré la fatigue du trajet.

A l’aube, peu avant l’arrivée à Rome, encore endoloris par une nuit de

courbatures, les jeunes chantent les laudes. Le chauffeur dit sa satisfaction à propos de l’ambiance joyeuse. « Par rapport à d’autres pèlerinages,

il n’y a pas trop de prières ». Le chanoine Lamon rétorque avec le sourire

que chanter, c’est prier deux fois. Dans le bus, ceux qui ne connaissaient

pas la figure de Maurice Tornay commencent à s’y intéresser, on discute.

Aller jusqu’au bout de son engagement

« Ce pèlerinage à Rome m’a rapproché un peu plus de Maurice Tornay, que

je connaissais surtout après avoir lu sa dernière biographie, confie Romaine, 20 ans. Cela m’a confirmé dans mon idée que Maurice était un homme intelligent et vraiment un exemple à suivre, un type tout à fait à notre portée ». L’étudiante en médecine apprécie que le jeune Maurice ait vécu dans

un milieu proche du sien, parmi les alpages, même si aujourd’hui dans cette

vallée d’Entremont la vie est beaucoup plus facile qu’alors. Sur ce sol

pauvre, il fallait gagner durement sa vie, et le jeune Maurice n’hésitait

pas à monter sur l’alpe garder les troupeaux; aucun bras ne devait manquer

pour faire bouillir la marmite d’une famille nombreuse.

Romaine, séduite par la figure du nouveau bienheureux, relève aussi sa

grande soif d’absolu et d’idéal – « on a trop tendance aujourd’hui à nous

abaisser quand on est un peu idéaliste! », sa volonté d’aller jusqu’au bout

de son engagement pour le Christ, son caractère volontaire, pas toujours

facile, parfois violent, « un peu orserin ». C’est que les gens d’Orsières

ont la réputation de ne pas avoir toujours bon caractère… Fausse

réputation? Il suffisait de voir l’autre dimanche sur la Place St-Pierre

l’ours farouche ornant les armoiries communales, déployé fièrement par les

pèlerins, pour penser qu’il n’y a pas de fumée sans feu!

« Maurice Tornay, lance-t-elle encore, c’est quelqu’un qui peut vraiment

intercéder pour moi, me guider vers Jésus! C’est une figure qui peut parler

aux jeunes, et aussi aux étudiants comme moi, puisqu’il fut aussi un étudiant acharné ».

Jean-François Lattion, le jeune président d’Orsières – à 37 ans, il occupe cette fonction depuis le 1er janvier dernier – dit lui aussi sa grande

joie de participer à cet événement: « Ce n’est pas tous les jours qu’il y a

une béatification chez nous et c’est une fierté légitime de voir qu’il

s’agit d’un ressortissant de notre commune ». Sa plus grande émotion a été

de voir le pape embrasser les enfants d’Orsières: « Pour eux, c’est un événement unique! »

Encadré

Un signal du pape à l’Eglise de Chine

J’ai trente ans, et à cet âge, Maurice était déjà parti… Daniel Salzgeber, l’un des plus jeunes chanoines du Grand-St-Bernard – il prononcera ses

voeux solennels en automne prochain – rêve depuis son enfance de devenir

missionnaire dans l’Empire du Milieu. Excellent connaisseur des Eglises de

Chine, il sait qu’il ne pourra pas réaliser facilement son plus grand désir: la Chine est toujours fermée aux missionnaires étrangers, et la Congrégation a besoin de ses forces vives pour ses oeuvres en Suisse. La béatification du chanoine martyr le comble de joie – non pas d’abord parce

qu’il s’agit d’un Suisse et d’un membre de sa Congrégation – mais parce

qu’il a oeuvré en Chine et au Tibet.

« Espérons, lance-t-il avec un sourire malicieux, qu’avec l’intercession

du bienheureux Maurice Tornay, on ait un jour beaucoup de novices, de telle

sorte que je puisse partir en Chine! » Daniel Salzgeber considère l’Eglise

de Chine comme un défi et une chance pour l’Eglise universelle et souhaite

que l’on ne répète pas, faute d’une analyse sérieuse, les mêmes « occasions

manquées » qui ont marqué l’histoire des rapports entre le christianisme et

le monde chinois.

A ce propos, le jeune chanoine salue les paroles encourageantes du pape

sur le « dialogue respectueux » qui existe maintenant entre les moines tibétains (pensons à l’amitié qui lie Jean Paul II et le Dalaï Lama) et les

moines catholiques « pour découvrir Celui qui est la voie, la vérité et la

vie ».

Au cours de la cérémonie de béatification, Jean Paul II a également salué les fruits de la mission du Père Tornay au Tibet et en Chine: en 1987,

un élève du Père Tornay, le Père Che Kuang Yong, a pu être ordonné prêtre à

l’âge de 65 ans. La communauté catholique de Yerkalo – pour le service de

laquelle Maurice Tornay a donné sa vie en sachant le sort qui l’attendait est bien vivante et compte quelque 600 catholiques qui ont survécu aux persécutions. Daniel Salzgeber précise que le prêtre de Yerkalo a été ordonné

par Mgr Aloysius Jin Luxian, l’évêque « patriotique » de Shanghaï, et que

c’est ainsi un signe positif lancé en direction de l’Eglise officielle chinoise, non reconnue par Rome.

Mgr Angelin Lovey, ancien prévôt du Grand-St-Bernard, collègue du Père

Tornay en Chine et vice-postulateur de sa cause de béatification, partage

la même analyse: de toute façon, relève-t-il, les évêques de « l’Eglise patriotique » de Chine ne sont pas schismatiques et prient à la messe pour le

pape. Les divergences sont d’ordre politique, comme le problème de la reconnaissance diplomatique de Taïwan par le Vatican. A son avis, le discours

du pape est important parce qu’il reconnaît implicitement qu’il y a aussi

de bons prêtres et de bons évêques dans l’Eglise officielle de Chine et pas

seulement dans l’Eglise clandestine. (apic/be)

Encadré

Le témoignage de Soeur Anna Tornay

Agée de 81 ans, Soeur Anna, la petite soeur du Père Tornay, religieuse de

la Congrégation des Filles de la Charité, était aux premiers rangs de la

cérémonie de béatification. Elle nous confie que son frère, alors qu’il

était étudiant au collège de Saint-Maurice, avait eu la joie d’aller à

Lourdes. Elle l’avait à son retour questionné sur ce qu’il avait demandé et

désiré obtenir de particulier de la part de la Sainte-Vierge. Son secret,

il l’avait tout de même confié à sa soeur: « J’ai demandé la grâce de devenir un saint prêtre et martyr ». Il disait aussi: « Dans la voie royale du

divin amour, il n’y a pas de forçats, tous les coureurs sont des volontaires ».

Cette béatification, poursuit la petite religieuse aux mains chenues,

représente pour moi l’avant-goût de la Jérusalem céleste, là où tous les

baptisés vont aboutir. Son plus grand désir: que l’exemple de son frère ait

une influence positive pour le Valais. « J’ai fait ce pèlerinage uniquement

dans cette intention. Si ce message ne parle pas aux jeunes, à qui parlerat-il? S’ils sont toujours jeunes de coeur, d’esprit et d’âme, nos jeunes

seront coureurs aussi pour suivre le Christ ».

Au grand plaisir de ses petites nièces, Soeur Anna nous conte finalement

quelques anecdotes sur la vie de son grand frère au caractère facétieux: un

soir, rentrés tardivement d’une partie de luge, Anna et Maurice – qui avait

alors 7 ou 8 ans – sont de corvée de vaisselle; pour se venger, Maurice

fourre le chat dans le four bouillant; la pauvre bête n’est plus jamais retournée à la maison. A entendre les histoires de Soeur Anna, les jeunes

d’Orsières se rassurent: si même les saints peuvent faire des bêtises dans

leur jeune âge… (apic/be)

Les photos de ce reportage sont disponibles à l’agence APIC

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