«Si tu le racontes, tu iras en enfer», lui disait le curé abuseur

Vreni Peterer (60 ans) a été abusée par un prêtre lorsqu’elle était enfant au début des années 1970. Il y a trois ans, elle s’est adressée à l’organe spécialisé du diocèse de Saint-Gall. Malgré une perte de confiance temporaire, elle vit encore aujourd’hui sa foi au sein de l’Eglise catholique.

Ueli Abt, kath.ch traduction et adaptation Maurice Page

Enfant, Vreni Peterer allait se confesser au prêtre qui l’a violée. «C’était tellement paradoxal. Je lui racontais que j’avais lu ‘Bravo’ (un magazine de mode et de beauté pour jeunes filles NDLR) en ramassant du vieux papier ou que j’avais piqué un morceau de chocolat à ma mère. En réalité, c’était lui qui avait commis de vrais péchés».

C’est à l’âge de dix ans environ que les agressions ont commencé. Pendant le cours de religion, le prêtre lui caressait le dos et les mains. Il avait les doigts jaunis de nicotine, ce souvenir est resté gravé en elle.

Violée à la lisière de la forêt

Un jour, il a proposé de la ramener chez elle après les cours dans sa VW Coccinelle beige. «J’aurais préféré y aller à pied. Je n’avais pas beaucoup de chemin à faire». A la lisière d’une forêt, le prêtre a violé l’enfant. «Si tu en parles à quelqu’un, tu iras en enfer» lui avait-il inculqué.

Les agressions, la plupart du temps pendant les cours de religion, ont continué jusqu’à ce qu’elle passe à l’école secondaire. «Dans les années 1970, on ne contredisait pas le curé. Enfant, on pensait que le curé avait le droit de tout faire», raconte Vreni. A l’époque, elle n’était pas la seule à subir les assauts du prêtre. «Il y en a eu plusieurs autres pendant les cours».

Violences sexuelles dans une auto | dessin de Vreni Peterer

Peurs et traumatisme

Des années plus tard, elle a traité par le dessin les peurs que ce qu’elle avait subi avait fait remonter en elle. Elle n’a commencé à se pencher sur les événements de l’époque qu’à l’âge de 44 ans, après une dépression surmontée avec une aide thérapeutique.

C’est ainsi que le traumatisme lié aux abus a refait surface. «Il faut des années avant de pouvoir en parler», explique la sexagénaire.

Une étape vers la cellule spécialisée il y a trois ans

En juillet 2018, elle s’est adressée pour la première fois à la cellule diocésaine spécialisée chargée des abus. Peu de temps après, elle a rencontré les deux personnes de contact au centre diocésain de Saint-Gall.

Il s’est avéré qu’un signalement avait déjà été fait auparavant concernant le curé, décédé entre-temps. Pour Vreni, cela a été un énorme soulagement. «Je ne savais pas si on me croirait».

Nouvelle crise

Au cours de l’entretien, elle a appris que le prêtre avait auparavant exercé son ministère dans une autre localité. Il y avait été condamné à trois mois de prison avec sursis «pour s’être approché de trop près d’élèves pendant le cours de religion», comme on l’avait formulé selon les euphémismes de l’époque. »Cette nouvelle m’a plongée dans une nouvelle crise», raconte Vreni Peterer. Car elle a compris que d’autres agressions auraient pu être évitées si le prêtre n’avait pas été simplement muté dans un autre village.

Des entretiens positifs

Vreni a vécu néanmoins comme «très positive» la démarche avec les deux interlocuteurs du groupe d’experts, une femme et un homme. L’infirmière et le diacre lui ont proposé des entretiens, ce dont elle a fait usage à plusieurs reprises. «Cet engagement m’a aidée.» Pour la première fois, elle a pu refaire confiance aux gens de l’Église. Mais cela a été long processus. Longtemps, pour elle, tous les représentants de l’Eglise étaient soupçonnés.

Davantage de confiance dans un diacre

Il lui a été plus facile de faire confiance à un diacre, en tant qu’interlocuteur ecclésiastique, qu’à un prêtre lié par le célibat. «Quelqu’un qui a lui-même quatre enfants peut mieux se mettre à ma place de mère de deux enfants.»

Elle n’était pas sûre au départ si le fait de voir le diacre en vêtements liturgiques ferait pour elle une différence. Ce n’est qu’au troisième essai qu’elle a réussi à assister à une messe à l’aumônerie de l’hôpital. Lors de la célébration de Noël à la chapelle, elle a finalement constaté que sa confiance en la personne ne dépendait pas de l’habit.

Ses deux interlocuteurs lui ont régulièrement demandé comment elle allait et si elle avait besoin de quelque chose. «Cela m’a toujours aidée». «De nombreuses personnes concernées ne demandent pas une réparation pour l’argent. Elles souhaitent d’abord que l’injustice soit constatée et que l’on reconnaisse de manière crédible les souffrances infligées.»

Vreni Peterer a exorcisé ses abus par le dessin

Proposition: visite de la tombe

Un jour, on lui a proposé de l’accompagner sur la tombe du prêtre défunt, si elle en ressentait le besoin. Spontanément, Vreni Peterer a rejeté cette idée. Mais quelques semaines plus tard, elle s’est ravisée, avec l’espoir qu’une visite sur sa tombe pourrait l’aider dans son processus de guérison. «En très peu de temps, ils ont retrouvé l’emplacement de la tombe. Il s’est toutefois avéré qu’elle avait été supprimée entre-temps». Une visite a alors pu se faire dans trois autres lieux du village de son enfance: la salle de classe, la lisière de la forêt et le confessionnal.

Si Vreni n’a pas subi d’agression lors de la confession, ses souvenirs restent très désagréables. Il faisait sombre dans le confessionnal, «le prêtre parlait si doucement». Aujourd’hui, elle considère que les célébrations de la réconciliation, avec l’invitation à réfléchir en silence aux situations dans lesquelles on n’a pas bien réagi, sont une meilleure forme.

«Une enfant de l’Église catholique»

A la question de savoir pourquoi elle n’a jamais complètement tourné le dos à l’Église. Vreni répond que pour elle, la foi et l’Église catholique sont indissociables, qu’elle est une «enfant de l’Église catholique». Toutefois, elle prend aujourd’hui la liberté de choisir où et à quelle célébration elle se rend.

Elle reste aussi fidèle à l’Église, pour pouvoir continuer à apporter la communion à des personnes âgées ou rendre visite à des personnes en deuil. Si elle quittait l’Eglise, ces activités ne seraient plus guère possibles.

«Je n’ai jamais douté de Dieu»

Surtout, «je n’ai jamais douté de Dieu», souligne Vreni. Dans le cadre des entretiens pastoraux avec le diacre, il lui a expliqué que Dieu avait donné la liberté aux hommes. Et qu’il existe des personnes qui abusent de cette liberté et dépassent les limites. Elle a senti chez de nombreuses personnes au sein de l’Église que les abus leur faisaient également mal.

Pendant des décennies, l’idée d’aller en enfer après la mort, comme le prêtre l’avait autrefois menacée, l’a effrayée. Depuis elle a compris: Ce que l’on croit est une décision personnelle. Et qu’il est utile d’essayer de prendre conscience de ses peurs.

Les épreuves subies dans son enfance l’ont marquée pendant de nombreuses années. Mais dans la deuxième moitié de sa vie, elle a finalement voulu «en faire quelque chose d’utile».

Confessionnal (Photo: Flickr/Alain Rueff/CC BY-NC-ND 2.0)

Parler de son vécu avant son lit de mort

C’est la raison pour laquelle elle s’engage au sein de l’Église pour la sensibilisation et la prévention, ainsi que dans un groupe d’entraide des personnes victimes d’abus dans le milieu ecclésial. En avril 2021, elle a participé au cours de prévention pour des collaborateurs de l’Eglise saint-galloise et y a fait part de son expérience.

Le premier jour, elle était présente quasiment incognito en tant que participante, elle a observé avec quelle attention les autres personnes abordaient le thème de l’abus dans leur communication. «Les participants ont fait preuve d’un respect incroyable». Le fait que beaucoup d’agents pastoraux aient manifestement peur de faire quelque chose de mal, l’a interpellée. «Il ne faut pas non plus basculer dans l’autre extrême», estime-t-elle.

Entre-temps, elle a également rejoint un groupe d’entraide dans le canton de Soleure. Mais elle se garde de donner la moindre leçon. »La voie que je suis est personnelle ! Chaque victime doit décider elle-même quelle est sa voie !»

Elle espère que l’étude sur les abus mandatée par la Conférence des évêques suisses annoncée depuis longtemps, ne sera pas encore retardée. Elle permettra d’en savoir plus sur la manière de prévenir les abus et d’encourager d’autres personnes concernées à se manifester. Il ne faut pas que ce thème soit abordé pour la première fois que sur son lit de mort, comme cela se produit malheureusement encore aujourd’hui, conclut-elle. (cath.ch/kath.ch/mp)

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/si-tu-le-racontes-tu-iras-en-enfer-lui-disait-le-cure-abuseur/