Quel langage pour l’Eglise? Des paroles justes et des paroles bonnes

Dans une interview récente, je disais qu’il était vital pour l’Église catholique qu’elle adapte son langage moral, mais que cela ne signifiait pas qu’elle doive verser dans le relativisme. Un ami me demandait d’expliquer davantage ces affirmations, ce que je vais tenter de faire.

J’ai connu un médecin qui, à propos d’une possible légalisation de l’euthanasie, ne voulait pas qu’on lui donne «le droit de tuer». Il demandait une norme à laquelle il puisse s’adosser pour résister aux injonctions venant de lui-même ou de l’extérieur.

Disant cela, rien n’exclut que, placé dans une situation tragique sans autre voie de sortie, il aurait pu accompagner quelqu’un vers un suicide assisté. Jamais il ne pourra dire cependant que cela était une action juste ou bonne en soi, mais tout au plus que c’était l’action la plus juste ou bonne qu’il ait pu poser à ce moment-là.

On voit là qu’il y a deux niveaux de langage, que toute parole qui se veut morale doit tenter d’articuler. Il s’agit de tenir ensemble d’une part le langage de la raison, celui des grandes valeurs anthropologiques, celui de la justice dans son abstraction; et d’autre part le langage du cœur, celui du face à face, celui de l’humanité partageant les joies et les peines d’une avancée commune.

«Ne devrait-on pas apprendre à dire la norme plus comme une indication que comme une obligation?»

Le premier c’est le langage du discours public, qui peut entrer en discussion argumentée sur les valeurs et qui dit des normes pour l’agir. Deux complexités déjà: les normes, même révélées, sont mises en mots par des humains vivant des existences concrètes. On voit déjà que l’idée d’un absolu de la norme est fragile. Celles que les humains expriment sont toujours marquées de l’imperfection et de la subjectivité de leurs mots.

La deuxième complexité tient au fait de ce qu’on appelle l’effet performatif du langage: ce que nous faisons quand nous disons. Quand Jésus dit à la femme adultère «Va et ne pèche plus!» que fait-il? La renvoie-t-il en lui faisant bien comprendre que c’est la dernière fois qu’il se montre si cool, ou la met-il debout pour l’envoyer sur un chemin de vie pleine en lui indiquant la direction à prendre? Notre langage normatif, que fait-il? Dire d’un comportement qu’il est licite ou illicite, est-ce faire la même chose que de dire qu’il humanise ou déshumanise? Ne devrait-on pas apprendre à dire la norme plus comme une indication que comme une obligation?

La seconde difficulté c’est de savoir avoir des paroles bonnes (Ps 45,2) qui surgissent de notre cœur dans des situations concrètes, toutes différentes les unes des autres, toutes complexes, jamais toutes justes ou toutes fausses.

«Le principal défaut du langage moral ‘officiel’ de l’Église est la prédominance de la voix normative-impérative»

Que dire à celui ou celle qui est dans la souffrance, qui cherche son chemin dans le brouillard et qui aura transgressé la norme parce qu’il ne pensait pas pouvoir faire autrement. Il faut avoir une autre parole, peut-être plus importante, qui devrait se faire davantage entendre dans la communauté entière.

Une parole qui ose penser la transgression en disant que même si la norme n’a pas changé, il y a eu une situation où on aura tenté maladroitement d’être bons, justes ou courageux, et que cela aura malgré tout permis l’espérance. Il y a des actions informées par la norme, attirées par elle, mais qui pourtant n’y arrivent pas, parce que le tissu de l’humain que nous essayons de tenir est trop fragile, qu’il se déchire.

Le principal défaut du langage moral «officiel» de l’Église catholique est la prédominance de la voix normative-impérative, qui focalise les regards sur l’acte en soi, sorti de son environnement existentiel, autrement dit un manque de sagesse pratique.

Réintégrer l’acte dans la vraie vie, c’est considérer qu’il est toujours une étape dans une histoire très souvent souffrante. Il restera toujours un écart entre la norme quelle qu’elle soit et le réel auquel elle ne s’adapte jamais complètement. C’est dans cet écart inconfortable que se situe le champ de la sagesse pratique, c’est-à-dire d’une morale humanisante.

Thierry Collaud

1er décembre 2021

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