Une rencontre

A Paris, dans le métro, un malheureux m’arrête et sans agressivité mendie quelques sous. Je n’ai qu’à peine le temps de jeter un coup d’œil sur lui et de me hâter de sauter dans la rame de métro menaçant de se fermer.

Pourtant, étrangement, malgré la précipitation de la scène, persiste en moi une forte sensation. Une impression de familiarité déconcertante. Un trouble inédit. J’ai le sentiment de connaître ce mendiant. Il m’est sans raison sympathique. Autant ahurissant qu’insolite!

Je m’en veux de n’avoir pas pris le temps de lui parler, de l’aider, de lui donner quelque chose. Ah, me direz-vous! L’inévitable culpabilité de la croyante envers son prochain. Eh bien, non. Je suis abreuvée des reportages démantelant les réseaux de mendicité et tous leurs stratagèmes des plus usuels aux plus immondes pour susciter la pitié. Cette fois-ci, j’étais réellement bouleversée.

Peut-être avez-vous aussi vécu de telles rencontres inhabituelles aux effets surprenants? Pas forcément avec un mendiant, mais cet instant rare où la personne nous semble familière, connue d’une certaine manière que nous ne pouvons pas toujours définir.

«C’est parce qu’il y a un Tu que le Je trouve son sens, et vit sa véritable vie.»

Martin Buber

«La vraie vie est rencontre», écrit le philosophe Martin Buber, célèbre pour sa philosophie de la relation. Il revisite la relation entre le Je et le Tu. Le Tu n’est pas un Cela, une chose. Cet homme n’est pas qu’un mendiant, il est avant tout une personne, quelqu’un, une histoire, une vie, une créature de Dieu. Aussi importante que moi, qui ne mendie pas. Aussi unique que moi, qui ne dors pas dehors.

Martin Buber poursuit et pose le fait que «c’est parce qu’il y a un Tu que le Je trouve son sens, et vit sa véritable vie.»

Mon Je bouleversé toute la journée par cette rencontre ratée a passé la soirée à saouler ses amis avec cette histoire. Grand miracle! Pourtant le lendemain matin, au petit-déjeuner de l’hôtel où j’étais descendue, qui vois-je dehors se levant d’un lit de fortune? Ma rencontre ratée. Ni une ni deux, je suis sortie à sa rencontre. Même impression bizarre. Ce Tu m’est proche, pourquoi? Le philosophe et romancier français Charles Pépin propose que le «Tu m’interpelles, me touches. Le je pense, donc je suis de Descartes est remplacé par: je me tourne vers toi, donc j’existe.»

Cet acte nous fait surgir dans toute notre existence. J’y vois une rencontre du prochain comme une originelle et pure créature de Dieu. Un avant-goût du Je et du Tu dans l’éternité de Dieu. Là où l’autre m’est proche, intime – quelle que soit cette personne – dans son humanité.

Nadine Manson

8 décembre 2021

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