Chanoine Claude Ducarroz – Cathédrale Saint-Nicolas, Fribourg
Enfin un peu de joie dans ces liturgies de l’Avent. Et même beaucoup.
Dans la lecture du prophète Sophonie, Israël est invité à bondir de joie, à éclater en ovation parce que le Seigneur son Dieu est en lui.
L’apôtre Paul en rajoute une couche en écrivant aux chrétiens de Philippe : « Soyez toujours dans la joie, car le Seigneur est proche. »
Et que va dire notre Jean-Baptiste, souvent considéré comme un prophète de malheurs ?
Il a accompli son travail. Il a baptisé des gens dans l’eau du Jourdain, non sans les avertir : « Il vient celui qui est plus fort que moi. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Le précurseur est assez fidèle à lui-même. Il annonce du blé à battre et de la paille à brûler au feu, mais c’est quand même, globalement, une bonne nouvelle, celle du salut par le Sauveur, le Christ.
Les gens ont bien compris. Le baptême – tout baptême – est une plongée dans le bain de la miséricorde de Dieu. C’est une grâce totale, gratuite, sans condition. Une grande histoire d’amour.
Etre baptisé, ça change ma vie
Mais on ne ressort pas de cette immersion comme on y est entré. On peut appeler cela une conversion, ou une transfiguration, ou un passage pascal. Être baptisé, ça change la vie, ça change ma vie.
Elles l’avaient bien compris, les foules qui se pressaient au bord du Jourdain. C’est pourquoi les gens demandent spontanément à Jean-Baptiste : « Que devons-nous faire maintenant ? »
Re-nés de l’eau pure de la conversion, et bientôt re-nés dans l’Esprit de l’Evangile de Jésus, nous sommes des êtres neufs, plus humains puisque davantage en communion avec Dieu et son Messie. Car rien n’est plus humain que ce qui est plus proche du divin.
On aurait pu s’attendre à des conseils très religieux, à des injonctions spirituelles, à des invitations mystiques. Et les réponses du Baptiste sont étonnamment concrètes, et même assez terre à terre.
Une pastorale de proximité
Bien sûr, elles ne disqualifient pas la religion, ni la spiritualité, ni la mystique. Mais elles s’adaptent merveilleusement à la condition de la vie présente des interlocuteurs. C’est de la pastorale de proximité et de milieu.
- Vous avez bien assez pour vivre confortablement, de quoi vous nourrir – et même un peu trop ? De quoi vous vêtir, et même avec des réserves dans les armoires ? Alors : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas. Et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même. »
- Tiens ! Voilà des publicains, autrement dit des collecteurs d’impôts. De braves fonctionnaires, mais pas toujours très regardants sur les montants encaissés. Eh! bien n’exigez rien de plus que ce qui est fixé. Ça va de soi, me direz-vous. Pas pour tous ni partout, comme on le constate encore de nos jours.
- Et voilà les soldats, droits dans leurs bottes et prêts à sévir. C’est leur métier, en somme. Trois devoirs basiques pour eux : ne faire violence à personne, n’accuser personne à tort et se contenter de la solde. Et toc !
Devant ces évidences de probité personnelle et de justice sociale, on pourrait se contenter d’une petite vie honnête, la conscience tranquille, sans plus. Nous ne sommes ni tueurs ni voleurs, n’est-ce pas ? Mais derrière ces attitudes de bon sens moral, il y a des enjeux plus importants, ce que le Christ est venu apporter à chacun de nous et à toute l’humanité. - Aux personnes, une certaine paix intérieure, que nous pouvons explorer et même accroître dans les moments de silence, de recueillement et de prière.
- Dans nos relations sociales, une certaine fraternité qui peut avoir le goût d’un petit bonheur, précieux même s’il est fragile, parce qu’il est partagé de bon cœur.
- Sans oublier la promesse qui dépasse tous nos désirs et tous nos efforts : un salut qui sera pleinement accompli dans le Royaume de Dieu. A ne jamais oublier.
C’est tout cela, du plus terrestre au plus céleste, du plus humain au plus divin, que le Sauveur Jésus est venu offrir au monde. - Se contenter d’un humain terre à terre, c’est couper les ailes des espérances qui nous habitent, et qui pointent vers la vie éternelle.
- Se réfugier dans le pur surnaturel, c’est refuser à la fois le mystère de la création par Dieu, de l’incarnation du Christ dans notre humanité, de la résurrection de la chair qui doit tout récapituler -nous, tout nous et même l’univers- dans le retour du Christ en gloire
Noël approche. Il faut bien le reconnaître. Chez nous globalement, dans les filets de la société de consommation, le manque d’élan spirituel risque davantage de nous entraver que l’excès de religion.
Du moins, en suivant les bons conseils de Jean Baptiste, que dans nos soucis, nos courses et jusque dans nos achats, nous cultivions la sobriété heureuse et la générosité bienheureuse.
Le minimum humain possible et même nécessaire, c’est que nous ouvrions nos yeux et nos cœurs sur celles et ceux qui souffrent, sont isolés ou exclus, chez nous, et aussi au loin. Car ceux-là aussi nous sont proches puisqu’ils tapissent nos médias de leurs visages et de leurs regards pleins de silencieuses interrogations, vers Dieu et vers nous.
C’est bientôt Noël ! C’est vrai : chacun de nous, voudrait que tout aille mieux dans notre monde. Et tout seul, on ne peut pas résoudre des problèmes si complexes, dont la solution dépasse tellement nos pauvres forces. Mais chacun de nous, quel qu’il soit, peut faire quelque chose, si peu que ce soit, comme des colibris d’évangile qui apportent leur petite part, ne serait-ce qu’une goutte d’eau d’amour, dans la vasque pascale de la fraternité universelle.
Alors, comme le dit l’apôtre Paul, « La paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera nos cœurs et nos pensées dans le Christ Jésus ». Un vrai bonheur !
En somme Noël avant Noël, et un Noël qui peut briller chaque jour, en attendant qu’il devienne… toujours.
3e DIMANCHE DE L’AVENT DE GAUDETE
Lectures bibliques : Sophonie 3, 14-18a; Cantique Isaïe 12, 2-3.4bcd.5-6; Philippiens 4, 4-7; Luc 3, 10-18
https://www.cath.ch/homelie-du-12-decembre-2021-lc-310-18/