«La finance doit servir le bien commun»

La finance est un facteur clé de notre société. C’est sur cet aspect que la Commission des épiscopats de l’Union européenne (COMECE) a décidé d’interpeller les décideurs étatiques, avec son dernier document. Pour Friederike Ladenburger, conseillère juridique à la COMECE, les changements actuels liés à la pandémie et au climat rendent nécessaires la mise en place d’une finance éthique et durable.

Avec son récent document intitulé Un système financier au service du Bien Commun en période de changement systémique (A Financial System Serving The Common Good in Times of Systemic Change), la COMECE entend remettre l’éthique et la durabilité au centre des débats.

Publié le 16 novembre 2021, le texte a été rédigé par un groupe de travail ad-hoc présidé par le professeur Paul Dembinski – Directeur de l’Observatoire de la Finance, à Genève et accessoirement blogueur sur cath.ch.

Une autre de ses chevilles-ouvrières, l’Allemande Friederike Ladenburger, conseillère juridique pour l’Ethique, la Recherche et la Santé à la COMECE, décrypte pour cath.ch les enjeux du document.

Est-il approprié que l’Eglise s’occupe de questions telles que la finance?
Friederike Ladenburger: Absolument. Car la finance est l’un des piliers sur lesquels reposent l’économie et la société. En y touchant, on influence tout le système. Elle est donc un sujet à part entière pour la Doctrine sociale de l’Eglise. Elle concerne son engagement à défendre les plus vulnérables, les plus démunis, les «petits» dont parle l’Evangile. L’Eglise est donc pleinement dans son rôle quand elle interpelle les réalités économiques.

Friederike Ladenburger est conseillère juridique pour l’Ethique, la Recherche et la Santé à la COMECE | © COMECE

Dans quel sens faudrait-il changer le système?
Il faut le rendre plus durable et plus éthique. Nous pensons que cela passe inévitablement par la création d’un système financier qui privilégie la solidarité et la subsidiarité, l’attention à l’autre, le souci pour les plus faibles. Notre document utilise le concept «care about care», littéralement le «souci pour le soin». Cela veut dire qu’il ne s’agit pas seulement d’un changement de législation ou de pratique, mais de comportement, de culture et de cœur.

Pourquoi est-ce spécialement important maintenant?
Parce que nous vivons une période historique, où le changement se produit «en direct». Nous savons que notre monde va changer, pas seulement en surface, mais en profondeur. Les deux principaux facteurs de transformation sont la pandémie et le réchauffement climatique.

C’est maintenant qu’il faut mettre en place les bases pour que cette transformation se passe le mieux possible. Le système économique et la finance dessineront en premier lieu le visage de ce monde nouveau.

Quels sont les défis éthiques liés à ces changements?
Ils concernent surtout le partage du «fardeau» de la crise. L’Union européenne, qui a plus de moyens d’agir que d’autres régions du monde, a le devoir de se montrer solidaire. Sur deux plans: vis-à-vis des pays les plus pauvres et des générations futures. Concernant la pandémie, cela passe par une distribution plus équitable des vaccins. Pour le changement climatique, l’Europe doit prendre des mesures courageuses, et adopter une forme de leadership.

Quelles sont les grandes recommandations de la COMECE pour réussir cette transformation?
Globalement, nous plaidons pour un système financier orienté vers le Bien Commun plutôt que sur le profit. Cela passe en premier lieu par un engagement des principaux acteurs économiques, les entreprises, les employeurs, les services publics, à mettre en place des conditions de travail dignes, à se soucier du climat et de l’environnement, à privilégier le bien-être des consommateurs.

«Au sein des institutions européennes, l’Eglise a une voix qui compte»

Le document évoque quelques pistes concrètes, telles qu’une fiscalité plus équitable, une culture du don plus généreuse, ou encore une unification des marchés banquiers et financiers.

Mais, comme je l’ai dit, la transformation doit surtout survenir au niveau de la culture. Il faut que les acteurs économiques voient au-delà des intérêts partisans et accueillent le fait que la transformation systémique nécessite un effort collectif. La dernière phrase du document dit: «Le souci de l’autre doit devenir un élément central de notre vie quotidienne».

Le texte ne s’adresse donc pas qu’aux institutions européennes…
Non, il va bien au-delà. Notre mission consiste à promouvoir l’enseignement social chrétien auprès des instances de l’UE, mais les épiscopats du continent ont eu à cœur de toucher un auditoire plus large. Les évêques européens sont conscients de la nécessité d’une action collective.

Il y a en général le souhait d’une alliance entre toutes les forces de bonne volonté dans la société.

Mais l’Eglise peut-elle vraiment jouer un rôle dans ce processus?
Je suis persuadée que oui. L’Eglise est un immense espace de réflexion et une institution qui a une grande expérience humaine. Sa parole est écoutée, respectée et appréciée, même au-delà des milieux chrétiens.

On a pourtant l’impression que le christianisme est de plus en plus mal perçu dans les institutions européennes. Comme le fait penser la récente affaire de la Commission Européenne, qui a recommandé d’éviter certains mots à résonnance chrétienne tels que «Noël».
J’ai lu le document de la Commission Européenne. Je ne l’ai pas perçu comme une attaque générale envers la religion, même s’il faisait peut-être preuve de maladresse. Le président de la COMECE, le cardinal Jean-Claude Hollerich, a eu des mots très justes à ce sujet. Il a notamment dit que ne pas mentionner Noël, c’était faire preuve d’une discrimination pratique envers les chrétiens, ce que nous ne pouvons pas accepter. Tout en rappelant que l’Europe était aujourd’hui une entité multiculturelle et multireligieuse, il a estimé que la réponse à cette réalité n’était pas de reléguer les religions dans la sphère privée, mais de donner accès à toutes les religions.

Bien sûr, il y a des sujets plus délicats, sur lesquels nous ne sommes pas d’accord avec nos partenaires. Mais le dialogue est toujours très constructif et fructueux. Globalement, je peux dire qu’au sein des institutions à Bruxelles l’Eglise a une voix qui compte. (cath.ch/rz)

Lien vers le document de la COMECE (en anglais)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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