«Une Église plus humble pour réannoncer le Christ au monde»

Jésus Christ est le commencement et le destin du monde. C’est sur cette certitude que se fonde le chemin de foi et la mission du Père Mauro Lepori, abbé général de l’Ordre cistercien. Rencontre avec ce Suisse italien, récemment élu vice-président de l’Union des Supérieurs généraux (UISG), l’instance internationale où les Supérieurs généraux partagent leurs expériences et se soutiennent mutuellement dans leurs missions.

Cristina Uguccioni – catt.ch/Traduction et adaptation: Davide Pesenti

À l’heure où une nouvelle année débute, Mauro Lepori, ancien abbé d’Hauterive, partage sa vision sur la place de l’Église dans le monde contemporain, grâce à sa riche expérience à la tête de l’Ordre cistercien depuis 2010. Une mission qui lui permet de côtoyer des réalités d’Église très différentes dans le monde entier, appelées à s’enrichir mutuellement.

Dans l’année qui vient de se terminer, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans l’accomplissement de votre mission de responsable mondial de l’Ordre cistercien?
Mauro Lepori: Bien que caractérisée par une reprise des activités, l’année écoulée a été difficile, alourdie par la fatigue accumulée durant première année de la pandémie. L’incertitude quant à l’avenir a conduit à une plus grande appréciation du présent, avec les trésors quotidiens qu’il nous offre, comme l’affection des amis, l’amour des membres de la famille, les actes d’attention et de dévouement accomplis ou reçus… La pandémie nous a ainsi aidés à redécouvrir des merveilles qui étaient autrefois, peut-être, considérées comme acquises; des merveilles pour lesquelles il est bon et juste de rendre grâce au Seigneur.

Solidarité et partage sont donc les mots-clés qui accompagnent votre activité à la tête des cisterciens?
En visitant les différentes communautés cisterciennes, mais aussi des personnes de différents horizons culturels, je me suis rendu compte que ce dont nous devons être reconnaissants, avant tout, c’est le fait que nous sommes devenus plus conscients de notre fragilité et de notre vulnérabilité en tant qu’être humain. Cette prise de conscience a créé une plus grande solidarité entre les personnes et entre les communautés qui ont pris conscience de la nécessité de se soutenir mutuellement, d’avancer ensemble. Et ceci, même si le chemin n’est pas simple et on ne sait pas vraiment où il nous amène.

«La pandémie nous a ainsi aidés à redécouvrir des merveilles qui étaient autrefois, peut-être, considérées comme acquises.»

Comment décririez-vous la situation que traverse actuellement le catholicisme dans le monde? Quels sont ses défis majeurs?
Ces dernières années, l’Église catholique a dû reconnaître certaines de ses fragilités et de ses échecs. Ce processus, toujours en cours, est en train de l’amener à s’auto-considérer avec humilité et à s’ouvrir davantage à Dieu. Pour nous, croyants, cela correspond à un temps de l’espérance. C’est une période qui nous demande de nous abandonner, avec confiance, à Dieu et à son plan pour nous, plus qu’à nos propres projets. Car nous sommes appelés à compter sur ce que Dieu veut nous offrir, plus que sur nos propres forces.

Vous invitez donc à mettre Dieu davantage au centre de nos vies personnelles comme de celle de l’Église?
Je parle de temps d’espérance parce qu’il s’agit surtout d’un temps de semailles. Le Seigneur a confiance en notre foi et il nous appelle à proclamer son Royaume, à semer cette graine avec joie. En ce sens, je considère notre époque passionnante car, avec la foi et l’espérance en Dieu, nous possédons beaucoup plus que ce que nous pensons déjà avoir: nous possédons ce que le Seigneur désire nous donner, et non pas nos propres réalisations. L’humanité, qui aussi à cause de la pandémie, voit s’écrouler de nombreuses certitudes et se sent de plus en plus perdue, a besoin de paroles d’espérance. Aujourd’hui, l’Église – plus petite, fragile et humble – est appelée à témoigner que le Christ a déjà sauvé le monde et qu’il ne nous abandonnera jamais.

«Ces dernières années, l’Église catholique a dû reconnaître certaines de ses fragilités et de ses échecs. Ce processus, toujours en cours, est en train de l’amener à s’auto-considérer avec humilité.»

A notre époque, le peuple de Dieu se voit donc confier la tâche inédite d’annoncer l’Évangile et de proclamer le Royaume de Dieu à une société institutionnellement non-religieuse?
Oui, c’est vrai. À sa naissance, le Christianisme a proclamé le Christ à des sociétés païennes, mais qui était bel et bien religieuses, ayant leurs propres divinités et ritualités. Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire chrétienne, les sociétés européennes sont institutionnellement non-religieuses. D’une certaine façon, cela peut être un avantage, car les personnes conservent, malgré cette situation, la religiosité naturelle qui habite en chaque être humain. Car elles ont toujours encore besoin de donner un sens à la vie, elles se demandent ce qui se passera après la mort, elles veulent être aimées.

C’est une grande responsabilité pour un chrétien contemporain…
Une telle réalité demande aux chrétiens de se concentrer sur l’annonce de l’Évangile sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le Christ, Dieu qui s’est fait homme, qui aime tout le monde et qui donne la vie éternelle. En même temps, cette situation nouvelle nous demande de vivre en profondeur la dimension élémentaire de ‘l’être Église’, c’est-à-dire de construire des communautés fondées sur le Christ, capables de vivre de sa présence et d’incarner son regard, en manifestant son amour à chaque être humain. C’est dans ce sens qu’on comprend l’insistance du pape François sur l’amour des petits: cela montre le visage de Dieu qui prend soin de chaque enfant. Car l’homme européen contemporain, qui souffre parce qu’il a l’impression de faire partie d’une masse sans visage, a besoin de se sentir regardé, désiré, aimé.

Cette tâche confiée par le Seigneur à chaque baptisé arrive-t-elle aujourd’hui a susciter de l’enthousiasme, en Europe?
Je dirais que les lamentations prévalent, parce qu’on considère la tâche de la proclamation et du témoignage chrétien comme un devoir, une loi à laquelle il faut obéir pour être juste devant Dieu. Mais c’est le contraire qui est vrai. Cette tâche n’est rien d’autre que l’expression de notre participation à la vie du Christ, de notre adhésion à Lui, dont nous avons expérimenté l’amour et la sollicitude envers nous-même. Donner corps de cette façon à la présence du Christ dans le monde, offrir son regard et son amour, c’est vivre la plénitude la plus grande et la plus joyeuse que l’être humain puisse connaître. Nous sommes faits pour Lui.

«Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire chrétienne, les sociétés européennes sont institutionnellement non-religieuses.»

Vous êtes souvent en voyage et rencontrez des religieux et des fidèles de nombreux pays. Quelles sont les richesses du catholicisme en Afrique, en Asie et en Amérique latine que souvent nous ignorons en Occident?
Je rencontre des communautés chrétiennes caractérisées par une foi qui, à certains égards, est plus simple et plus directe que celle qu’on trouve en Europe. Durant mes voyages, j’ai été profondément frappé par la valeur que les communautés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud accordent aux relations interpersonnelles, au fait d’être ensemble, à la coopération, à la rencontre avec l’autre qui ouvre la voie à la rencontre avec le Christ. L’Occident a presque complètement perdu cette dimension essentielle de l’être humain et ne semble pas se rendre compte qu’il en a la nostalgie.

Le chemin qui mènera au Synode consacré à la synodalité a été lancé l’automne dernier. Ce rendez-vous important, prévu en 2023 au Vatican, pourra-t-il, selon vous, ouvrir une nouvelle saison pour l’Église catholique?
Marcher ensemble à la suite du Christ est une dimension constitutive de l’Église qui, depuis ses débuts, a une nature synodale. Le pape François a compris qu’il est particulièrement urgent de redécouvrir cette dimension, à une époque où l’Église semble parfois alourdie par des structures et des mécanismes qui mortifient sa mission. La redécouverte de la dimension synodale permettra à l’Église de proclamer avec une fraîcheur et une authenticité renouvelées le salut à toute l’humanité, pour laquelle le Christ est né, est mort et ressuscité. De ce point de vue, le Synode – avec le chemin qui le précède – est comme la restauration d’une œuvre d’art. Il travaille patiemment pour remettre en lumière les couleurs originales de l’Église. Ce sont les couleurs voulues par le Christ, rendues brillantes par l’action de l’Esprit Saint. (cath.ch/catt.ch/cu/dp/bh).

Rédaction

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