APIC – Interview
Menaces sur la présence chrétienne en Terre Sainte
Jacques Berset, Agence APIC
Fribourg, 7juin(APIC) Le problème de Jérusalem concerne tous les croyants
et l’on doit s’y intéresser davantage en Occident, lance Mgr Michel Sabbah,
patriarche latin de Jérusalem. La ville trois fois sainte – qui est aussi
un centre administratif, hospitalier et culturel, ainsi qu’un noeud de
communication indispensdable entre les divers territoires occupés – est
bouclée depuis plus de deux mois en représailles contre des attentats. La
restauration de facto de la « ligne verte » a des conséquences sociales et
économiques de plus en plus dramatiques pour les Palestiniens.
De passage à Fribourg dans le cadre du Congrès annuel de la lieutenance
suisse de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre, le chef religieux catholique
palestinien a souhaité que l’on aide les deux peuples – juif et palestinien
– à trouver une solution à ce drame qui continue. Si l’absence de paix se
poursuit, craint-il, la Terre Sainte risque de se transformer en musée, en
raison de l’émigration des familles chrétiennes qui ne voient plus de perspectives d’avenir. Mgr Sabbah affirme comprendre leur désir d’échapper à ce
conflit qui dure depuis des générations, mais il incite cependant les chrétiens à rester sur place, car telle est la vocation – certes pas facile de l’Eglise de Jérusalem.
APIC:Combien reste-t-il aujourd’hui de chrétiens en Terre Sainte et à Jérusalem ?
MgrSabbah:Par Terre Sainte, nous entendons Israël, les territoires occupés de la Palestine (dont la partie arabe de Jérusalem) et la Jordanie.
Dans ces trois territoires, la population totale approche les onze millions. En Israël et dans les territoires occupés de la Palestine, il y a
environ 150’000 chrétiens, catholiques, orthodoxes, protestants, etc. A Jérusalem même, la population chrétienne de la ville (dans la vieille ville
et en-dehors des murs) a fortement régressé: nous ne sommes peut-être plus
que 10’000 chrétiens sur 600’000 habitants, alors qu’avant la fondation
d’Israël, les chrétiens étaient trois fois plus nombreux pour une population totale de 200’000 habitants.
APIC:Comment expliquez-vous cet affaiblissement de la présence chrétienne?
MgrSabbah:D’abord une première vague de réfugiés a dû quitter la ville en
1948, puis une deuxième en 1967, sans compter qu’en raison de l’instabilité
politique de la région, une émigration constante d’individus, de petits
groupes voire de familles entières, menace sérieusement la présence chrétienne. Les pressions les plus importantes qui pèsent sur la communauté
chrétienne viennent du manque de paix, ce qui provoque une situation instable dans tous les domaines. Le présent est difficile à supporter et l’avenir paraît incertain: va-t-on rester sous occupation militaire, aura-t-on
la liberté?
Certains ont fait le choix de rester
Beaucoup de gens pensent à émigrer pour assurer l’avenir de leurs enfants. Malgré cela, il y a des chrétiens qui font le choix de rester, un
choix religieux, et parfois aussi politique. Nous restons, disent-ils, d’un
côté fidèles à la foi – nous sommes chrétiens en Terre Sainte, donc pour la
Terre Sainte, et non pas pour n’importe quel autre endroit – et d’autre
part fidèles à la terre. Ce sont des chrétiens palestiniens qui ont toujours été là.
Politiquement, cette terre est disputée par deux peuples, israélien et
palestinien. Les chrétiens sont essentiellement des Palestiniens, à l’exception de quatre communautés chrétiennes d’expression hébraïque (composées
de juifs ou de non juifs vivant dans le monde hébraïque) qui sont quelques
centaines. Chacun appartient à son peuple et à sa nation; les chrétiens
arbes s’identifient à la cause du peuple palestinien: ils veulent la liberté de leur peuple et la liberté de décider pour eux-mêmes la forme de vie
politique qu’ils souhaitent.
APIC:Les chrétiens palestiniens subissent des pressions de la part de milieux islamistes fondamentalistes…
MgrSabbah:Rien ne distingue les chrétiens des autres Palestiniens. La
montée du fondamentalisme musulman est un mouvement à l’intérieur de la
communauté musulmane; c’est une lutte interne à l’islam, qui n’est pas dirigée contre les chrétiens. C’est pourquoi, au niveau des autorités civiles
et religieuses, les rapports entre chrétiens et musulmans sont normaux,
bons et réguliers. Au niveau de la masse, il y a certes des incidents, mais
ils sont créés par une « troisième force » qui essaye de fomenter la discorde, de semer la peur dans le coeur des gens pour dresser les uns contre les
autres chrétiens et musulmans.
Le militantisme islamique n’est pas dirigé contre les chrétiens
Mais le militantisme islamique n’est pas du tout dirigé contre les chrétiens, il concerne les musulmans entre eux et c’est aussi une force politique dirigée contre une situation politique donnée. Quant aux attentats contre des biens appartenant à des chrétiens, ils ne sont pas à mettre au
compte des musulmans. Il y a eu certes des incidents, mais ils sont jusqu’à
maintenant restés très confus. On n’a jamais su qui en sont les auteurs; il
y a certainement des éléments qui veulent bien fomenter des troubles pour
diviser la population et affaiblir la lutte nationale.
Nous, nous voulons la liberté, la paix et la justice pour tous, Palestiniens et Israéliens. Les droits de tous doivent être garantis, pour les
juifs, les chrétiens et les musulmans, car il n’y aura jamais de paix sans
justice. Aujourd’hui, il n’y a pas la justice pour tous, car le Palestinien
est sous occupation militaire, donc il n’est pas libre.
APIC:Que représente pour vous la fermeture de Jérusalem depuis plus de
deux mois aux habitants des territoires occupés ?
MgrSabbah:C’est une mesure très grave en ce qui concerne la nature religieuse de Jérusalem. C’est soumettre cette nature religieuse à des mesures
de sécurité, mais du fait de son caractère sacré, Jérusalem ne peut pas
être soumise à de telles mesures. La ville doit rester ouverte pour tous
les croyants; non seulement pour ceux qui vivent aux quatre coins du monde,
mais aussi pour les gens qui en sont proches, comme les habitants de Bethléem, de Ramallah…
Une mesure punitive avec de graves conséquences
La fermeture des territoires est toujours aussi stricte depuis le 1er
avril dernier. Cette mesure punitive a de graves conséquences psychologiques, économiques, culturelles. La ville de Jérusalem, outre qu’elle est un
centre religieux, reste également un centre civil: on y trouve les hôpitaux, les institutions éducatives, c’est également un noeud routier qui relie les différentes parties des territoires occupés…
Aujourd’hui, un chrétien de Bethléem par exemple ne peut se rendre dans
la ville sainte sans permis militaire. Durant la Semaine Sainte, ceux qui
n’avaient pas de permis n’ont pu se rendre au Saint-Sépulcre. Jusqu’à maintenant, c’est toujours aussi difficile d’obtenir un permis du gouverneur
militaire, et il faut accepter les files d’attentes et les humiliations habituelles, « normales », de la part des militaires israéliens!
Rendre à Jérusalem sa nature sacrée
Il faut rendre à Jérusalem sa nature sacrée et donner à cette ville
sainte un caractère particulier qui la libère de tous conflits politiques.
Nous devons nous mettre à table pour trouver un statut particulier qui soit
satisfaisant pour tout le monde, juifs, musulmans et chrétiens, car chacun
a droit à sa liberté dans cette ville qui est la sienne: Jérusalem est pour
tous! (apic/be)
Encadré
Mgr Sabbah: premier patriarche latin de Jérusalem d’origine palestinienne
Premier patriarche latin de Jérusalem d’origine palestinienne, Mgr Michel
Sabbah est né le 19 mars 1933 à Nazareth, en Galilée. Il a été nommé par le
pape Jean Paul II à cette haute fonction en décembre 1987 pour remplacer
Mgr Giacomo Beltritti, patriarche d’origine italienne, qui s’était retiré
pour raison d’âge.
Né sous le Mandat britannique, avant la division en 1948 de la Palestine
entre Israël et la partie restante arabe, Mgr Sabbah s’est ensuite trouvé
dans la zone jordanienne, avec un passeport jordanien. Lors de la guerre
des Six Jours en 1967, il se trouvait à Jérusalem, début de l’occupation
israélienne de la partie arabe de la ville. Il porte également de ce fait
une carte d’identité israélienne.
Mgr Michel Sabbah a recu l’ordination sacerdotale le 29 juin 1955. Après
avoir fait la licence de lettres arabes à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (1963), puis le doctorat en philologie arabe à la Sorbonne (Paris,
1973), il a été nommé directeur général des écoles de tout le Patriarcat et
responsable de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC). En 1970, il s’est vu
confier l’importante paroisse du Christ-Roi à Misdar (Amman, Jordanie),
avant de se voir confier la présidence de l’Université catholique de Bethléem, fondée en 1973 avec l’aide du Vatican.
Le Patriarcat latin de Jérusalem forme un seul et unique diocèse réunissant les fidèles de rite latin de l’Etat d’Israël, des territoires occupés
(la partie arabe de Jérusalem, Cisjordanie, Gaza), de Jordanie et de Chypre. Ils sont au nombre de 65.000 répartis en 60 paroisses, dont 85 %, vivant en Terre Sainte et en Jordanie, sont d’origine arabe. Du Patriarcat
dépend également la petite communauté catholique d’expression hébraïque
(quelque 300 fidèles) et plus d’un millier de catholiques appartenant à des
foyers mixtes. (apic/be)
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