Nicaragua: entre le passé révolutionnaire et les recettes néo-libérales

APIC – REPORTAGE

En attendant 1996 (020693)

Par Sergio Ferrari, pour l’agence APIC

Managua, 3juin(APIC) Trois ans après la défaite électorale des sandinistes et l’arrivée au pouvoir de la présidente Violeta Chamorro, dans l’attente aussi des élections de 1996, le Nicaragua s’interroge. Dans un calme

fragile que nombre d’anciens contras n’hésitent pas à rompre à coups d’actions, meurtrières souvent. Partagé entre le passé révolutionnaire sandiniste et les recettes néo-libérales d’aujourd’hui. Désabusé par le chômage

croissant proche de 65%, par la désintégration des services de la santé et

de l’éducation, fleurons de l’action sandiniste dont il ne reste rien ou

presque… Personne aujourd’hui ne doute d’un autre Nicaragua. En mieux,

mais surtout en pire.

Circuler dans Managua relève du cauchemar… avec ses rues engorgées de

véhicules importés ou plutôt rapatriés en compagnie des propriétaires exilés de Miami, avec des milliers de petits laveurs de pare-brise à la recherche d’une petite pièce, avec ses vendeurs de « tout et de rien » qui

s’agglutinent toujours plus nombreux dans la capitale. Mais aussi et surtout avec ses légions d’adultes en quête d’un hypothétique emploi.

Nicaragua d’hier et Nicaragua d’aujourd’hui… accaparé qu’il est par le

problème du manque de travail qui affecte plus de 65% de la population. Et

par l’apparition progressive de la prostitution, phénomène relativement

nouveau dans le pays. Qui touche un nombre impressionnant de jeunes et

d’enfants même parqués le soir venu aux abords des hôtels de la capitale, à

la recherche du client… des rares touristes mais des nombreux « Miamiboys » récemment revenus au pays.

Les illusions perdues

Entre la ville qui regorge de « constructions nouvelles » de carton ou de

tôle, mais aussi de quelques récentes et visibles réalisations, peu nombreuses, pour créer l’illusion d’une chimérique transformation du pays, entre une campagne qui n’est plus aujourd’hui que l’ombre de ce qu’elle était

« avant », les Nicaraguayens pèsent et soupèsent la réalité. Le miracle escompté s’estompe. Les regrets se font par contre tenaces. Et les milliers

de véhicules importés – trois fois plus de voitures en trois ans -, apparence trompeuse d’un renouveau économique, ne parviennent pas à faire oublier que le pays, et en particulier le monde rural, est à moitié paralysé.

Les salaires moyens – pour ceux qui en touchent – n’atteignent que difficilement 60 dollars… Dans l’attente de 96, personne ne croit plus au miracle que du reste ni le gouvernement Chamorro ni la droite pro-américaine ne

sont en mesure de réaliser.

« La situation des campagnes est terrible et la présidente Chamorro n’a

respecté aucune de ses promesses électorales », constate désabusée Maria del

Jesus Oliva, jeune campagnarde de Matagalpa et dirigeante syndicale active.

Nous vivons au régime de la « tortilla », du riz et du sel depuis plusieurs

mois. On ne nous paie plus… Nous n’avons plus de quoi payer ». Désillusion, illusions perdues. Son désapointement est aussi celui de ses 91 compagnons de travail, ouvriers dans la finca « Santa Celia ». Auparavant propriétée d’Etat, cette exploitation rurale a été rendue à son ancien propriétaire sur la base de la loi sur la reprivatisation. Les employés sont

désormais sans travail. Ils chôment depuis début avril.

Le gouvernement joue avec l’estomac des enfants et des travailleurs,

poursuit Oliva, 38 ans, mère abandonnée avec cinq enfants. « Cette misère

devenue chronique explique pourquoi notre région, située à près de 200 km

de Managua, est aujourd’hui fréquentée par de nombreux « recontras » (ex-contras réarmés), par des « recompas » (sandinistes réarmés pour se défendre des

« recontras »), mais aussi par des bandes de délinquants. Tous pousuivis par

l’armée, La situation est dramatique. L’insécurité est plus grande encore

que par le passé », admet-elle.

Membre de l’association des ouvriers agricoles, coordinatrice de la

« Clinica de la Mujer Rural », Margarita Lopez partage cet avis. En deux ans,

dit-elle, plus de 150 dirigeants de son association ont été emprisonnés.

« Le poids du réajustement appliqué par le gouvernement actuel est largement

supporté par les femmes, même s’il touche tout le monde en général ». Selon

Margarita, le salaire quotidien d’un travailleur rural ne dépasse pas 5

cordobas (un dollar = 6 cordobas). On a reprivatisé tout le secteur de la

santé. On est en train d’en faire autant pour l’éducation…. Durant ces

derniers 24 mois, plus de 4’000 fonctionnaires et enseignants de ce ministère ont été licenciés. Quant au panier de la ménagère, calculé à quelque

150 dollars mensuellement, il coûte plusieurs salaires de base mis en commun… »

Le conflit de la terre

Assis sur son nouveau siège au ministère de la Coopération extérieure,

Leonel Teller, un ex-dirigeant de la contra durant huit ans envoyé ces deux

dernières années à Washington pour y occuper un poste important à l’ambassade du Nicaragua, reconnaît l’importance de la crise et tente d’en expliquer les origines. Le grand problème? « La non-clarification du problème de

la propriété, source de tensions, et le manque d’intérêt des secteurs industriels et productifs, qui n’investissent pas en raison du flou juridique

qui prévaut actuellement au Nicaragua, indique le vice-ministre Leonel Teller.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la présidente Chamorro, en 1990, deux

thèses s’opposent au sujet de la propriété. Les sandinistes soutiennent que

tout en corrigeant les erreurs commises dans le passé, il convient de respecter les répartitions des terres et des lots de terrain opérées sous

leur régime. La droite et l’extrême droite insistent en revanche sur une

révision totale de la propriété donnée par l’Etat. Une position qui ne va

pas sans préoccuper et alarmer les secteurs populaires, principaux bénéficiaires de ces donations sous forme de répartitions des terres.

Tant que ce problème majeur et de fond ne sera pas résolu, le Nicaragua

continuera à dépendre de la Coopération internationale. « Toute interruption

de celle-ci entraînerait un risque élevé d’une nouvelle guerre civile », affirme le vice-ministre. Selon lui, le climat d’insécurité que vit actuellement le pays justifie « le droit des producteurs à engager entre 20 et 30

hommes en armes pour protéger leurs fincas ».

Une année sur trois…

Critiquée à droite et à gauche, la présidente Chamorro se voit malgré

tout créditée d’un certain nombre de réalisations. La plupart obtenues pendant la première année de son mandat: la fin de la guerre; la démobilisation de la contra – même si un nombre encore relativement important reste

actif – la réduction des effectifs de l’armée, de 90’000 à 20’000 hommes,

le contrôle relatif de l’inflation. Reste, c’est vrai, admet Carlos Fernando Chamorro, fils de la présidente et directeur-fondateur de la revue « Barricada », que ces acquis ont été obtenus les premiers 12 mois, et que les 36

suivants ont vu s’accroître les problèmes économiques et les divisions internes. « Le gouvernement essaie maintenant de se placer en interlocuteur

pour favoriser le dialogue entre tous les secteurs ».

Un dialogue difficile dans un orage de critiques. Que n’épargne pas Humberto Ortega, chef de l’armée et ancien membre de la direction sandiniste,

dont la démission à ce poste est réclamée à cris et à corps par les milieux

conservateurs du pays et les Etats-Unis. Sans raison, reconnaît le fils de

la présidente: « Le général s’est comporté loyalement à l’égard du gouvernement ».

Réconciliation: convergence entre les sandinistes et la présidente

L’étape actuelle n’est assurément pas facile pour la présidente Chamorro. Elle ne l’est pas non plus pour les sandinistes, au pouvoir pendant 11

ans. Le mouvement qui a fait face aux plans destabilisateurs des gouvernements Reagan et Bush, puis à la défaite électorale, se trouve confronté depuis pas mal de temps à une sérieuse remise en question. Sans parler qu’il

existe encore et toujours des milieux qui n’acceptent pas et n’accepteront

jamais l’existence du sandinisme, constate Tomas Borge, unique fondateur

encore vivant du sandinisme et actuel membre de la direction nationale du

mouvement. « Face à l’offensive de l’extrême droite, incarnée par le viceprésident Virgilio Godoy, le député Afredo César et le maire de Managua, le

Front sandiniste a décidé de consolider à différents niveaux son alliance

avec le gouvernement. Ce dernier reconnaissant le Front comme un allié imprescriptible ».

« Je crois que la présidente Chamorro est sincèrement en faveur de la réconciliation nationale. Sa façon de voir les choses dans ce domaine coïncide avec la notre. relève Tomas Borge. « Les positions entre elle et nous divergent, certes, mais en matière d’élaboration de plans économiques ».

Face à la crise d’identité et des divers courants qui se manifestent en

son sein, le mouvement sandiniste doit se rénover, imaginer d’autres structures et renouveler ses dirigeants pour retrouver sa crédibilité, assure

encore le « commandant » Borge. Un voeu que partage le député sandiniste Sergio Ramirez, ancien vice-président nicaraguayen, le regard déjà tourné vers

1996. « Il faudra aller plus loin dans notre restructuration. Ce qui a été

conçu et pensé jusqu’à présent est insuffisant ».

Le principal parti du pays n’échappe certes pas à la crise. Mais que dire du nouveau Nicaragua « néo-libéral » qui se débat dans une crise généralisée. Avec sa légion de chômeurs, qui voient quotidiennement défiler les publicités des grandes marques de voitures japonaises, des appareils les plus

sophistiqués en matière de TV ou autres chaînes hi-fi. Le Nicaragua d’aujourd’hui vante les cigarettes américaines, incite à se restaurer dans les

MacDonalds où autres Pizza Hut qui ont désormais droit de cité. Sans que la

majorité puisse y pénétrer. Mais c’est bien là le moindre mal. (apic/sftraduit et adapté de l’espagnol par Pierre Rottet)

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