Espagne: probable enquête parlementaire sur les abus dans l’Eglise

Le gouvernement espagnol a donné son feu vert, le 2 février 2022, à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les abus sexuels commis dans l’Eglise du pays. La Conférence des évêques d’Espagne avait refusé de lancer une telle démarche.

Le gouvernement espagnol, dirigé par le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, a décidé de jouer un rôle actif dans la lutte contre les abus sexuels au sein de l’Église catholique, en autorisant l’Assemblée législative à mettre en place une commission d’investigation. Cette décision intervient quelques jours après une telle demande de la part des alliés de cette coalition gouvernementale.

Entre-temps, le parquet de l’État – dirigé par l’ancienne ministre socialiste Dolores Delgado – a lancé sa propre procédure. Les 17 procureurs principaux de toutes les communautés autonomes d’Espagne ont été invités à transmettre dans un délai de 10 jours toutes les plaintes et poursuites en cours concernant des agressions sexuelles et des abus sur mineurs au sein de toute institution religieuse, rapporte le site Crux.

L’épiscopat réfractaire

Le vote final sur la proposition ne devrait pas survenir avant le 17 février 2022. Mais selon les observateurs, il y a de grandes chances pour qu’elle soit adoptée. En 2018 déjà, une initiative similaire présentée au Congrès n’avait pas recueilli assez de soutien.

La requête d’une commission parlementaire fait suite à une enquête menée par le quotidien national El Pais. Elle comprenait des allégations d’abus sexuels commis sur des enfants par 251 membres du clergé et quelques laïcs.

La démarche du gouvernement survient après que les évêques espagnols ont refusé de lancer leur propre enquête. Ils n’ont ainsi pas suivi la voie des conférences épiscopales du Portugal, de la France ou encore de l’Allemagne.

L’épiscopat espagnol a mis en avant le fait que chaque diocèse du pays compile déjà ses propres informations. Les évêques ont proposé de concentrer plutôt l’attention et les ressources sur l’écoute et l’accompagnement des victimes, en les invitant à faire part de leurs allégations à l’Église ou aux autorités civiles.

La crédibilité de l’Eglise en question

«L’opinion publique n’est cependant pas divisée par diocèse, a relevé à Vatican News l’Espagnol Yago De la Cierva, un laïc membre de l’Opus Dei, qui faisait partie de l’équipe de consultants du sommet du Vatican sur les abus, en février 2019. Il est très difficile pour chaque diocèse de faire les choses avec le même esprit, la même méthodologie et le même dévouement». Si les conférences épiscopales d’autres pays ont opté pour une enquête nationale, c’était pour que les réponses soient systématisées, ajoute-t-il.

Selon des sources citées par Crux, les prélats ibériques seraient également convaincus que le gouvernement et les médias de gauche sont déterminés à leur nuire et que le lancement d’une commission aurait été une façon de «céder».

Le laïc de l’Opus Dei pense que les craintes d’instrumentalisation politique de la part des évêques pourraient se retourner contre eux. «S’ils ne prennent pas en charge le nettoyage de leur propre maison, ils n’auront aucune crédibilité pour aborder le problème dans la société au sens large».

Statistiques «horribles» en Nouvelle-Zélande

Alors que l’enquête espagnole est encore dans les limbes, des chiffres d’abus sexuels commis dans un contexte ecclésial ont été rendus publics en Nouvelle-Zélande le 1er février 2022, rapporte le Guardian. L’église a publié les données en sa possession à la demande de la Commission royale sur les abus dans les soins, mise en place en 2018 par la Première ministre Jacinda Ardern. L’investigation a ensuite été élargie aux Églises et autres institutions confessionnelles.

Les chiffres sont le résultat d’une compilation des allégations d’abus au sein de l’Eglise catholique dans l’archipel. Il en ressort que depuis 1950, 1’680 personnes ont déclaré avoir subi des abus, dont près de la moitié (835) un préjudice sexuel. L’Eglise a admis que 14% du clergé était concerné.

Te Rōpū Tautoko, le groupe qui coordonne l’engagement de l’Église auprès de la commission royale, a recherché et examiné les dossiers des six diocèses catholiques du pays et de 43 congrégations religieuses catholiques.

Des statistiques «horribles» dont l’Église a «profondément honte», a déclaré le cardinal John Dew, président de la Conférence des évêques catholiques de Nouvelle-Zélande. Il a espéré que les faits «nous aideront à faire face à la triste réalité». «L’église en tirera des leçons et affirmera son engagement dans le travail de sauvegarde», a assuré le prélat.

L’Italie pas prête?

La Nouvelle-Zélande rejoint ainsi d’autres pays ayant réalisé des recherches de grande ampleur sur les abus dans les institutions religieuses, tels que l’Australie, la France, les Pays-Bas ou encore l’Allemagne.

Outre, l’Espagne, la pression pour une telle démarche commence à se faire sentir également en Italie. Dans une interview à l’AFP fin janvier 2022, le jésuite Hans Zollner, membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, appelle de ses vœux une telle enquête dans la Péninsule.

«Trois à 5% des prêtres dans le monde ont été accusés d’abus au cours des 75 dernières années (…) Nous pensons que les chiffres sont comparables en Italie», a-t-il souligné. «Nous devons tout faire pour obtenir justice pour les victimes, mais aussi pour prévenir les abus aujourd’hui», a-t-il ajouté.

Le cardinal Gualtiero Bassetti, président de la Conférence des évêques italiens (CEI) a récemment révélé que les prélats «pensaient depuis un certain temps au lancement d’une enquête approfondie et sérieuse».

Hans Zollner remarque pourtant que la société italienne n’est pas forcément dans de bonnes dispositions pour un tel pas. L’Église catholique n’est plus aussi puissante qu’autrefois en Italie, mais elle conserve une énorme influence. «Ce type d’enquêtes est presque toujours lancé lorsque la société dans son ensemble est, d’une certaine manière, prête à s’attaquer à cette question très difficile, épineuse et inconfortable (…) Je ne perçois pas cet état d’esprit actuellement en Italie», relève le jésuite. (cath.ch/ag/rz)

Raphaël Zbinden

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