APIC – Reportage

L’ »homo sovieticus » à la recherche de son âme (150793)

L’Evangile sur les ondes étatiques de l’ex-URSS

Jacques Berset, Agence APIC

Lviv, 15juillet(APIC) Après l’euphorie qui a accompagné le dépeçage de

l’URSS, à l’instar des autres pays nouvellement souverains, l’Ukraine a la

gueule de bois. L’indépendance se paie au prix fort: 1’000 ou 2’000 o/o

d’inflation, 15 ou 20 % de chômeurs, des autorités elles-mêmes dans l’incapacité de chiffrer l’ampleur du désastre. Un désastre d’abord humain et moral auquel veut faire face une campagne catholique de réévangélisation par

les ondes à travers toute l’ex-URSS.

Au film « soft porno » sur RTL succèdent, commentées en allemand, les images du Tour de France sur la chaîne sportive, puis le visage ripoliné d’un

télévangéliste californien devant sa cathédrale de verre, dont la prédication est doublée en ukrainien. Sur une autre chaîne, les vidéo-clips sophistiqués des groupes rocks anglo-saxons donnent du monde une image psychédélique, tandis que le dernier canal offre des plans fixes d’ »apparatchiks » au discours politique stéréotypé.

A une table voisine, au restaurant de l’Hôtel Dniestr, dans une ambiance

restée « soviétique », des jeunes filles au joli minois boivent force champagne et dépensent en un instant l’équivalent d’un salaire mensuel moyen

(45’000 « coupons », soit 15 dollars!). A quelques pas, des maquereaux rabattent le client, touriste ou autochtone argenté. Ambiance mafieuse.

Un week-end comme les autres dans cette ville de Lviv, ancienne perle de

l’empire autrichien, à l’extrême ouest de l’ex-empire soviétique ? Pas pour

la jeune équipe de « Radio Voskresynnia » (Radio Résurrection), qui inaugure

solennellement en ce 10 juillet les locaux flambant neufs de son studio. Sa

mission, offrir l’Evangile à « l’homo sovieticus », héritier de l’absence

d’éthique et du vide idéologique laissés par l’effondrement du communisme.

Une « dévastation spirituelle »

« Les gens ici ont été dévastés du point de vue spirituel. On le remarque

dans toutes les choses de la vie; il n’y a pas de constance, de culture sociale, de respect de soi-même et des autres… Le Belgo-ukrainien Michel

Dymyd, de Charleroi, est depuis le début la cheville ouvrière de « Radio

Voskresynnia », dont les programmes en langue ukrainienne sont diffusés depuis le 1er avril par la radio d’Etat ukrainienne. Les émissions quotidiennes sont désormais produites à Lviv, sur le terrain, et non plus en Occident. C’est en 1989, sous les auspices du Catholic Radio Television Network

(CRTN) à Bruxelles, que « Radio Voskresynnia » a commencé à diffuser ses

émissions sur les ondes courtes de Radio Monte Carlo.

Docteur en droit canon oriental d’origine ukrainienne – son père, travailleur forcé déporté en Allemagne durant la guerre, a été ensuite mineur

de fond en Belgique – M. Dymyd porte un regard sévère mais lucide sur sa

patrie. Il a choisi d’y vivre il y a deux ans et s’est marié avec une peintre d’icônes de Lviv. Ils sont ainsi une poignée, venus de la diaspora

ukrainienne de l’Ouest, à mettre leurs talents au service de l’Eglise gréco-catholique (uniate) d’Ukraine.

« Les gens ici ne savent pas travailler… »

« Il y a une typologie particulière ici, note-t-il, celle de l’ »homo sovieticus »: les gens ne savent pas travailler, ils pensent que l’interlocuteur est là pour profiter d’eux; il n’y a pas de confiance de base dans les

rapports humains, tout ce qui appartient à l’Etat, on peut le voler. Aucun

respect des institutions. Allez voir les WC, ce n’est souvent même pas pour

les animaux. Et pourtant, la société communiste exaltait la solidarité…

Il y a 200 millions de personnes de ce type dans l’ex-URSS. Même des gens

engagés dans l’Eglise manquent d’une éthique conséquente, il faudra une génération pour changer cette mentalité ».

Pour le jeune théologien gréco-catholique, l’attitude des gens prouve

que l’homme ici est dévasté, parce qu’il peut, à l’extérieur, dire des choses extraordinaires, faire semblant d’être saint, et à l’intérieur, avoir

une toute autre personnalité. « Même ceux qui fréquentent les églises, dans

leur grande majorité, ne sont plus les mêmes quand ils sortent de la prière. Ils retombent dans les travers quotidiens: travail au noir, corruption,

vol des biens publics, absentéisme. C’est le règne du double jeu, le dédoublement de la personnalité. Il fallait bien survivre sous la répression,

mais aujourd’hui, ce qui est mal, c’est que cette attitude persiste. Très

difficile par conséquent de construire une nouvelle société ».

« On vivait mieux au temps de Brejnev! »

Alcoolisme, prostitution, banditisme, comportements mafieux, on ne fait

pas cent mètres dans les rues de la métropole galicienne, à n’importe quelle heure du jour, sans tomber sur l’un de ces phénomènes. « Je me suis fait

voler au moins dix fois depuis que j’habite ici ». Dans la rue, face à la

mairie, un homme vieilli par les épreuves de la vie, récupère les mégots

jetés par les passants qui vont s’entasser dans le vieux tramway brinquebalant. Appuyé contre le mur, il recompose une cigarette avec les déchets de

tabac ramassés entre les pavés inégaux. Sur le trottoir, un ivrogne avance

en titubant, le visage tuméfié, tandis qu’une femme mendie, assise dans la

poussière, avec un bébé mal soigné dans ses bras. « On vivait mieux au temps

de Brejnev, davantage à manger, plus d’ordre, moins d’insécurité! », lance

en signe de défi un vieil homme qui arbore une médaille soviétique sur son

veston élimé… Des jeunes passants sont d’un tout autre avis. La liberté,

le sentiment d’être « chez soi », cela compte bien plus!

Les autorités ne trouvent pas davantage grâce aux yeux de Michel Dymyd.

Incompétentes, elles savent bien parler devant les étrangers, mais quand il

s’agit de faire quelque chose de pratique, il n’y a plus personne. « Pour

notre radio, comme pour l’Eglise, elles pensent que c’est une bonne vache à

traire, qui peut leur procurer des dollars. Ce sont des gens du type soviétique, souvent des anciens apparatchiks. Certes, ils ont été élus par le

peuple, mais les gens ne les connaissaient que par un ou deux discours… ».

Le théologien belgo-ukrainien reconnaît que si l’on raisonne du point de

vue humain, on perdrait l’espoir. « Mais si on pense que c’est Dieu qui conduit le monde, on ne peut pas désespérer. Si en venant ici, je n’avais fait

confiance qu’à mes propres forces, je n’aurais jamais rien pu faire. C’est

le Seigneur qui m’a guidé, sans lui, il n’y aurait pas cette radio ».

Une radio destinée à tous les chrétiens, qui refuse le prosélytisme

« Radio Résurrection » est chapeautée par le CRTN et l’Eglise catholique

ukrainienne. L’esprit dans lequel travaille la radio de Lviv est oecuménique, à l’instar d’un autre programme du CRTN, les émissions en langue russe

de Radio Blagovest, (Radio Bonne Nouvelle – Invitation à la prière). Ces

émissions, préparées à Paris par Irina Ilovaiskaya-Alberti, directrice de

« La Pensée Russe », et enregistrées dans les studios de Radio Notre-Dame,

sont diffusées par la radio nationale lituanienne et biélorusse, et par le

réseau de la radio d’Etat russe, relayé par le satellite Horizont. Pour la

Sibérie, par l’émetteur catholique de « Radio Veritas », à Manille.

M. Dymyd souligne que les programmes sont destinés à tout le monde et ne

sont pas strictement confessionnels. « Radio Voskresynnia » et « Radio Blagovest » ont des correspondants orthodoxes; elles informent sur la vie des

Eglises catholique et orthodoxe, dans un esprit de fraternité et de vérité.

« Nous ne faisons pas de polémique et nous ne parlons pas des questions qui

peuvent provoquer des tensions. Par exemple, nous n’informons pas quand il

y a des disputes entre les diverses Eglises chrétiennes pour la possession

des lieux de culte confisqués par les communistes, mais bien quand il y a

des réconciliations. C’est seulement à cette occasion qu’on parle des églises occupées. Notre politique: donner des nouvelles positives, insister sur

ce qui nous unit, ne pas mentionner ce qui nous divise ».

La preuve que les programmes de « Radio Blagovest » trouvent un certain

degré d’acceptation dans un environnement majoritairement orthodoxe dans

lequel on dénonce souvent le « prosélytisme » des catholiques: un échange régulier d’émissions a lieu avec Radio Sofia, la radio du Patriarcat orthodoxe russe de Moscou. Maja Kriutchkova, directrice de Radio Sofia, accompagnée de l’archiprêtre Sviridov, avait d’ailleurs fait le déplacement à

Lviv, pour la bénédiction des locaux de la radio catholique « Voskresynnia »

par le cardinal Miroslav Ivan Lubachisky, chef de l’Eglise catholique ukrainienne. « Je suis venue en signe d’oecuménisme, confie-t-elle, pour contribuer à l’amélioration des relations entre les orthodoxes et les catholiques, et entre les Russes et les Ukrainiens ». Le signe que l’oecuménisme

progresse malgré tout sur cette terre quasiment en friche – pendant 70 ans,

pratiquement aucune catéchèse n’y fut possible! – où les Eglises ont mieux

à faire que de se livrer bataille pour la reconquête des âmes. (apic/be)

Encadré

CRTN, au service de la réévangélisation de l’ex-URSS

Financé à part égale par l’Aide à l’Eglise en détresse (AED) et la Fondation hollandaise « Témoignage de l’Amour de Dieu » de l’homme d’affaires

néerlandais Piet Derksen, le projet de programmes pour l’ex-URSS est porté

par le Catholic Radio Television Network (CRTN) à Bruxelles. Au début, en

1988, les émissions ne pouvaient être réalisées sur place. Elles étaient

confectionnées à Bruxelles et à Paris, et les bandes envoyées par avion

pour être diffusées sur les ondes courtes, notamment par Radio Monte Carlo

ou Radio Veritas, à Manille. C’est seulement avec l’ouverture politique que

la production d’émissions et leur diffusion ont pu commencer sur le sol de

l’ancien empire soviétique.

Pour obtenir la diffusion des émissions des radios « Blagovest » et « Voskresynnia », le CRTN a dû mener des négociations ardues avec les différents

Etats, les pesanteurs bureaucratiques subsistant. En Russie notamment, les

responsables de GOSTELERADIO à Moscou ont d’abord émis la crainte que des

émissions d’origine catholique ne provoquent des tensions interreligieuses

dans ce pays orthodoxe. Ils ont donné leur accord provisoire après en avoir

contrôlé le contenu. Le CRTN loue des temps d’antenne ou procède par troc,

en fournissant des équipements pour les studios de Moscou. L’AED – qui finance pour moitié ces programmes de réévangélisation par les médias – a dépensé 600’000 dollars l’an dernier dans ce secteur.

Le CRTN, dirigé par le Brésilien J. Correa, développe également des projets audiovisuels pour l’Europe de l’Est. Il s’agit de sélectionner des

émissions religieuses de qualité produites par les tv occidentales et convenant au public des anciens pays communistes. CRTN négocie avec les producteurs pour qu’ils cèdent gratuitement leurs droits, et ces émissions

sont ensuite traduites. J. Correa précise que la plupart des producteurs

contactés ont donné leur accord et les droits ont déjà été accordés pour

250 émissions, par ex. de ZDF en Allemagne, de la Radio Télévision Catholique Belge, du Centre de Télévision du Vatican, des télévisions autrichienne

et suisse italienne, de producteurs français, etc. (apic/be)

Des photos de ce reportage sont disponibles à l’agence APIC

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