Fribourg: Faut-il être idéaliste pour suivre le Christ?

Faut-il être idéaliste pour suivre le Christ? A l’heure où l’Eglise traverse une profonde crise de confiance – notamment en raison des nombreuses révélations d’abus sexuels – l’abbé et psychanalyste Jean-François Noël, du diocèse d’Aix-en-Provence, demande de ne pas se dérober face à la crise.

Jacques Berset pour cath.ch

«On en sortira blessés, mais vivants», a lancé le prêtre de 66 ans qui se réclame de l’école freudienne, à l’occasion d’une conférence, le 9 février 2022, au Centre Sainte-Ursule à Fribourg, co-organisée par le Centre Romand des Vocations (CRV). L’abbé Noël s’est exprimé devant une soixantaine d’auditeurs – des séminaristes de la Maison des Séminaires de Givisiez, où il vient de donner des cours ces trois derniers jours, des membres d’associations de religieux/ses et de communautés de vie consacrée en Suisse, des prêtres diocésains et des laïcs. Le curé-psychanalyste ne s’est pas voulu pessimiste.

La crise de l’Eglise, l’occasion d’un processus de «désidéalisation» 

Agrémenté d’un humour contagieux – «l’humour est l’oxygène de l’intelligence», lance-t-il – l’exposé de Jean-François Noël a été entrecoupé d’anecdotes bibliques ou de réalités tirées du passage de couples ou de clercs dans son cabinet de psychanalyse.

«Trop de jeunes vocations ont été blessées par la chute des idéaux»

Il a relevé que la crise que nous traversons est l’occasion d’un processus de «désidéalisation». Reliant foi chrétienne et psychanalyse, il a mis en garde contre le fait d’avoir un seul idéal à l’exclusion des autres – comme cela s’est passé notamment dans certaines communautés nouvelles qui ont connu des scandales.

Il s’est référé en la matière au récent livre La trahison des pères. Emprise et abus des fondateurs des communautés nouvelles, de Céline Hoyeau. Journaliste de la «génération Jean Paul II», au service religion de La Croix, elle a démontré qu’une dérive sectaire n’existe pas sans un écosystème qui l’a porté et sans maîtres spirituels déviants qui ont eu des complices, des admirateurs et admiratrices ayant encouragé leur carrière et leur impunité dans l’Eglise.

L’abbé Jean-François Noël avec Claire Jonard, coordinatrice pour le Centre romand des vocations (CRV), et Sabine Protais, directrice du Centre Ste-Ursule | © Jacques Berset

Pour Jean-François Noël, l’idéal qui enflamme des chrétiens – séminaristes, novices, laïcs -, à l’origine d’une vocation, d’un appel à l’accueil des pauvres, à la justice, à la vérité philosophique, à la beauté de la liturgie, ne doit pas s’isoler, «sinon il devient despotique». «Quand un idéal reste seul, exclusif, il jette le soupçon sur d’autres idéaux, tout aussi respectables… L’idéalisation phagocyte l’idéal». Et de citer les dérives d’un grand nombre de fondateurs de communautés nouvelles devenus des abuseurs spirituels et sexuels.

«C’est difficile de quitter le sacerdoce, la communauté religieuse, certains ne s’en remettent jamais!»

Parmi eux, le Père Marie-Dominique Philippe, fondateur de la Communauté Saint-Jean. «Les frères et sœurs de Saint-Jean ont vu en lui l’incarnation de l’idéal… » Quand un fondateur à l’ego surdimensionné capte pour lui cet idéal, c’est la dérive. Pour les disciples, le fondateur des «petits gris» était censé vivre parfaitement cet idéal, et ceux qui le suivaient pensaient ne pas y arriver et vivre alors dans le péché. «C’est là l’imposture», assène-t-il.

Jean-François Noël a également mentionné d’autres abus commis par des personnalités charismatiques comme Jean Vanier, fondateur de l’Arche, le Père Thomas Philippe, son père spirituel, Gérard Croissant, fondateur des Béatitudes,  ou encore Thierry de Roucy, fondateur de Points-Cœur.

Le piège du discours idéalisant

La novice, le jeune séminariste, cherchent l’idéal, qui donne l’énergie initiale. Mais quand il est bafoué, alors c’est la désillusion, l’amertume, la révolte. Dans son cabinet, le prêtre-psychanalyste reçoit des clercs et des religieuses à l’idéal blessé. «C’est difficile de quitter le sacerdoce, la communauté religieuse, certains ne s’en remettent jamais!»

Dans l’Eglise, qui est désormais passée du discours moralisateur au discours idéalisant, déplore-t-il, «on a perdu tellement de gens parce que notre discours idéalisant les a découragés… Trop de jeunes vocations ont été blessées par la chute des idéaux».

S’il défend l’idéal, «cette force narcissique qui donne l’impulsion», il ne doit pas donner lieu à l’emprise d’un fondateur et à l’exclusion d’autres idéaux. Et de préconiser une harmonisation et une ouverture aux autres idéaux. Et surtout de faire preuve d’humilité: quand on accepte de se reconnaître inachevé, pécheur, de ne pas être à la hauteur de ses engagements, cette déception ne peut être supportée que par la réparation d’une confiance qui va dans le cœur de Dieu. «C’est le moment où l’idéal est éprouvé que la foi permet d’accepter la perte de l’idéal!» (cath.ch/be)

 Prêtre et psychanalyste

Prêtre diocésain, Jean-François Noël est curé à Istres, dans le diocèse d’Aix-en-Provence, psychanalyste et écrivain. Sa riche expérience lui a permis de rédiger de nombreux ouvrages, dont Épris d’absolu (Nouvelle Cité, 2020), Tous mes désirs sont devant moi (Salvator, 2019). Il a encore publié Le point aveugle (2000, Cerf), Le désir inconscient de Dieu (Desclée De Brouwer, 2008), L’écharde dans la chair (Desclée De Brouwer, 2011) et Travailler à être soi (Salvator, 2015).

Membre de la Fraternité des moines apostoliques diocésains, il accompagne de nombreuses personnes, consacrées, mariées ou célibataires, sur le chemin de la réalisation personnelle. Il vient de mettre en place un diplôme universitaire pour «discerner le psychologique et le spirituel» avec les Universités catholiques de Méditerranée et de Lyon. Une fois par semaine, il reçoit des patients dans son cabinet de psychanalyse. Pour lui, la thérapie est un moyen de retrouvailles avec soi-même et un chemin de conversion. BE

Lire Freud et Lacan n’empêche pas de méditer les Evangiles!

Si foi et psychanalyse n’ont pas toujours fait bon ménage dans l’Eglise, nombre de prêtres depuis des lustres s’y adonnent. Membre de l’Ecole freudienne, Denis Vasse (1933-2018) appartenait à toute une lignée de jésuites qui se tournèrent vers la psychanalyse. Louis Beirnaert (1906-1985), ou encore Maurice Bellet (né en 1923), et même l’historien Michel de Certeau (1925-1986), ainsi que François Roustang (1923-2016), qui, avec le levier de la psychanalyse, rompit avec la Compagnie et l’Eglise, avant de récuser également la théorie freudienne. Jean-François Noël cite également un ami, le Père Laurent Lemoine, dominicain et psychanalyste, qui estime que le déficit de formation en psychanalyse chez les prêtres est dommageable, car au cours de son ministère, le prêtre rencontre énormément de gens. Que ce soit pour une préparation au mariage, pour un accompagnement spirituel ou une aide au discernement, le prêtre écoute et conseille énormément de personnes.  BE

Rédaction

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