Le cardinal Becciu dénonce un 'massacre' médiatique

Dénonçant un « massacre médiatique sans précédent », le cardinal Angelo Becciu a clamé son innocence lors de la dixième audience du procès de l’immeuble de Londres, le 17 mars 2022, affirmant avoir « toujours agi pour le bien du Siège apostolique et de toute l’Église ».

S’exprimant pour la première fois devant le tribunal depuis sa mise en cause en juillet dernier, il a déclaré qu’il avait un devoir de vérité envers l’Église mais aussi envers le pape François, « qui a récemment déclaré qu’il croit en [son] innocence ».

Soulignant « l’écho mondial » qu’a eu sa mise en cause dans l’affaire de l’immeuble de Londres – un scandale financier concernant l’acquisition d’un immeuble par la Secrétairerie d’État, dont il était un des plus hauts responsables – il a dénoncé les « accusations absurdes, incroyables, grotesques, monstrueuses » portées contre lui. Il a notamment cité celles le dépeignant comme un « homme corrompu, avide d’argent, déloyal au pape » et celles mettant en cause « l’intégrité de [sa] vie sacerdotale » ou affirmant qu’il possédait « des puits de pétrole ou des paradis fiscaux ».

« Je n’ai jamais voulu qu’un euro, ni même un centime dont j’avais la gestion ou même la connaissance ne soit détourné, mal utilisé ou utilisé à des fins qui n’étaient pas exclusivement institutionnelles », a-t-il martelé. Celui à qui la justice vaticane reproche d’avoir financé la coopérative de son frère en Sardaigne a aussi déclaré ne s’être préoccupé « que du bien-être de [sa] famille ». 

« On se demande qui a voulu ça et dans quel but », a affirmé le haut prélat italien, évoquant un complot ourdi « certainement pour [le] diaboliser et [le] détruire ». Il a néanmoins déclaré se présenter devant le tribunal avec « confiance » en l’institution et « la tête haute, avec une conscience claire » ; et a clamé sa « volonté totale de chercher et de parler de la vérité » afin que celle-ci éclate « le plus rapidement possible ».

125.000 euros donnés à la coopérative gérée par son frère par «charité»

L’interrogatoire mené par le tribunal, portait sur des sommes envoyées – par l’intermédiaire de la Secrétairerie d’État – à une coopérative en Sardaigne, SPES, gérée par le frère d’Angelo Becciu, Antonio. Le cardinal Becciu a reconnu avoir fait parvenir 125.000 euros en plusieurs fois en tant que substitut de la Secrétairerie d’État à cette structure à la demande du diocèse d’Ozieri et de la Caritas locale dans un but uniquement caritatif. 

La SPES est une coopérative ayant mené deux projets solidaires: d’abord la reprise d’une boulangerie qui avait brûlé puis la création d’un centre d’aide pour réfugiés et personnes âgées ainsi que les bureaux de la Caritas. Le but de ces projets, a insisté le cardinal, sont de donner du travail à des personnes en difficulté. Citant une homélie du pape François, il a affirmé que la vraie charité n’était pas de donner de l’argent mais du travail aux gens, et ainsi de leur rendre leur « dignité ».

Le cardinal a expliqué que son frère, un «professeur de religion», avait été président de la Caritas d’Ozieri pendant dix ans « sans récupérer un centime ». Celui-ci, après avoir quitté l’enseignement en 2015, avait commencé à toucher une rétribution équivalente à son ancien salaire qui lui a été versée jusqu’en 2021. Dans le même temps, il était gestionnaire de la coopérative SPES, présenté par le cardinal Becciu comme «l’entité opérationnelle» de la Caritas.

Un système fondé sur la confiance

«Face à une telle générosité de mon frère, je suis devenu rouge [de honte], en tant que prêtre», a confié le cardinal Becciu. Il a néanmoins assuré que le transfert de 25.000 euros pour la boulangerie effectué en 2015 avait été envoyé à la Caritas d’Ozieri – sur demande de Mgr Sebastiano Sanguinetti, administrateur du diocèse à l’époque – et non à son frère. Ce dernier gérait cependant le compte utilisé pour les trois virements.

Concernant le second don (100’000 euros) effectué par la Secrétairerie d’État en 2018 pour le projet de centre d’aide. Le haut prélat a expliqué que chaque année, l’entité centrale du Saint-Siège distribuait «un certain montant de subventions à diverses organisations». Il a reconnu que ce système d’aide était entièrement «fondé sur la confiance» envers celui faisant la requête. 

L’ancien préfet a affirmé qu’il avait souhaité aider son diocèse familial après avoir constaté que « 100 000 euros étaient disponibles ». Il a aussi affirmé que cette somme n’avait pour l’heure pas encore été touchée par le diocèse d’Ozieri et que les travaux prévus n’avaient commencé qu’en février dernier.

Lors de l’audience, le cardinal Becciu a aussi reconnu avoir prêté sur ses propres deniers 100’000 euros à la Caritas du diocèse d’Ozieri en 2013. Il a déclaré n’avoir récupéré que 50’000 euros sur cette somme et donné l’autre moitié à l’organisation caritative. 

Un prêt de 130.000 euros à une amie de sa famille

Enfin, le tribunal a interrogé le cardinal Becciu sur un don de 130’000 euros effectué par la Caritas d’Ozieri à une de ses «parentes», Maria Luisa Zambrano, entre 2014 et 2015. Niant l’existence d’un véritable lien familial avec cette personne mais reconnaissant qu’il s’agissait d’une amie de la famille, le Sarde a affirmé n’avoir pris connaissance de ce prêt que quand l’affaire avait été révélée en 2020.

La défense du cardinal affirme disposer des actes pour prouver ses affirmations et « que les sommes gérées par le Secrétariat d’État ont été utilisées correctement, dans le seul et unique but de la charité ». Ce volet «sarde» du procès n’a pas de lien direct avec le reste de l’affaire financière, sinon du fait de l’origine vaticane d’une partie des sommes reçues par SPES.

Secret pontifical sur le «volet Marogna» ?

Le cardinal Angelo Becciu a déclaré ne pas pouvoir s’exprimer sur sa relation avec Cecilia Marogna en invoquant le secret pontifical. Le juge a affirmé qu’il allait vérifier auprès de la secrétairerie d’État si le secret pontifical s’appliquait en effet sur ce cas.

La justice enquête sur les conditions de rétribution de Cecilia Marogna par la Secrétairerie d’État. Cette dernière, recrutée sur recommandation du cardinal Becciu, aurait touché près de 600’000 euros pour des services de «diplomatie informelle».

Le pape François a-t-il vraiment déclaré croire en l’innocence du cardinal Becciu ?

Dans un entretien avec la radio espagnole Cope le 1er septembre 2021, le pape François avait déclaré, à propos du cardinal Becciu : « J’espère de tout mon cœur qu’il est innocent ». Il avait rappelé que le Sarde avait été un de ses plus proches collaborateurs – successivement substitut de la Secrétairerie d’État puis préfet de la Congrégation pour les causes des saints – et qu’il avait une « certaine estime » pour lui en tant que personne notamment parce qu’il l’avait « beaucoup aidé ». 

« C’est une forme affective de la présomption d’innocence », avait-il souligné, avant de conclure que la justice trancherait. Le pape n’a donc pas formellement déclaré croire en l’innocence de celui à qui il a demandé de démissionner en septembre 2020 et de renoncer à ses droits liés au cardinalat.

Le programme de la suite du procès

Le juge Giuseppe Pignatone a annoncé le programme des futures audiences. Le 29 mars, le procès reprendra avec l’interrogatoire de Mgr Mauro Carlino, suivi le 5 avril des deux anciens employés de l’ASIF (Autorité de surveillance et d’information financière), René Brühlart et Tommaso Di Ruzza.

Le 6 avril, l’interrogatoire du cardinal Becciu reprendra et portera sur les volets «Cecilia Marogna» et sur l’affaire centrale de l’immeuble de Londres. Le même jour, la première partie de l’interrogatoire d’Enrico Crasso débutera. Le 27 avril, ce sera le tour de Fabrizio Tirabassi, suivi le 28 avril par la fin de l’interrogatoire d’Enrico Crasso.

D’autres audiences sont prévues les 5 et 6 mai. Celle du 6 mai pourrait être consacrée à l’interrogatoire du banquier Raffaele Mincione. (cath.ch/imedia/cd/mp)

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