En Grèce, les catholiques sont discriminés

APIC – Interview

Rencontre avec le Père Georges Sargologos

Jacques Berset, Agence APIC

Un Grec qui n’est pas orthodoxe n’est pas un Grec « intègre », estiment les

services secrets d’Athènes. Berceau de la démocratie, la Grèce appartient

bien au club des nations démocratiques. N’est-elle pas membre de la Communauté européenne et du Conseil de l’Europe ? Mais ses minorités religieuses

se plaignent de discriminations. Témoignage du Père Sargologos, directeur

du journal « Katholiki » et de l’agence catholique « Typos » à Athènes.

Longue barbe blanche, l’allure d’un vénérable pope, son accent fleure

bon le Midi. C’est que le Père Georges Sargologos a étudié dans le Sud de

la France. Esprit combatif, plein d’humour, ce petit curé grec ne craint

pas de s’afficher catholique dans un pays à près de 97 % orthodoxe. Et de

revendiquer l’égalité de traitement !

Né en 1930 à Constantinople, en Turquie, de mère grecque orthodoxe et de

père catholique de rite byzantin (uniate), le Père Sargologos a été chassé

du pays en 1936. Parce que sa famille était de nationalité grecque et que

selon les lois d’Atatürk, seuls les Grecs sujets turcs pouvaient alors rester. Une petite Eglise catholique de tradition byzantine existait en Turquie, mais la majorité de ses fidèles a dû se replier en Grèce après le

massacre, par les Turcs, de centaines de Grecs à Izmir en août 1922. C’est

au cours de ces incidents sanglants que fut tué Mgr Chrysostome, le métropolite d’Izmir.

APIC: Comment votre communauté a-t-elle été reçue lors de votre installation en Grèce ?

PèreSargologos:Comme Grecs, nous avons été très bien accueillis, mais

comme catholiques, nous avons eu de grandes difficultés, car nous étions de

tradition byzantine: les orthodoxes nous considèrent comme des traîtres à

l’orthodoxie. Cette mentalité vis-à-vis de notre communauté existe encore,

aussi forte que dans le passé. Certes, nous avons aujourd’hui une certaine

liberté puisque nous sommes protégés par la Constitution. Dans le temps,

c’était « la guerre ouverte ». Les orthodoxes, me semble-t-il, sont plus hostiles à notre égard qu’à l’égard des latins, car nous avons selon eux trahi l’orthodoxie en faisant l’union avec le pape.

Il y a en Grèce quelque 40’000 catholiques grecs de rite latin, et seulement 2’000 catholiques de rite byzantin. Sans compter environ 140’000

catholiques immigrés – Polonais, Libanais, Chaldéens d’Irak, etc. – qui ont

beaucoup de problème au niveau pastoral: ils n’ont pas de paroisses à eux

et doivent être intégrés aux paroisses existantes. Les catholiques de rite

latin ont moins de problèmes que les byzantins, même si les droits du point

de vue constitutionnels sont les mêmes.

APIC:Quels sont concrètement les difficultés d’être catholique en Grèce ?

PèreSargologos:Officiellement, il n’y a pas de difficultés, mais dans les

faits, il y a des discriminations: par ex., depuis 1967, un catholique, et

en général un Grec qui n’est pas orthodoxe, n’a pas le droit en pratique

d’être officier de l’armée grecque.

L’archevêque grec-orthodoxe d’Athènes d’alors avait rédigé une encyclique secrète destinée à l’armée. D’après ce document, les non-orthodoxes ne

peuvent pas accéder au rang d’officier. Il en est de même pour obtenir des

grades dans la police ou un poste à responsabilité dans l’administration ou

dans la justice. Quand l’opposition socialiste est arrivée au pouvoir, elle

s’est comportée de la même façon à l’égard des non-orthodoxes.

Les catholiques ont beaucoup de peine dans la pratique: pour construire

une église, il nous faut par exemple obtenir le permis du métropolite orthodoxe. En général, il dit non, et les catholiques doivent imaginer moult

stratagèmes pour obtenir de tels permis de construire.

Il faut souligner que selon la Constitution l’Eglise orthodoxe est

l’Eglise de l’Etat. C’est la raison pour laquelle une séparation entre

l’Eglise et l’Etat est impossible. On enseigne la religion orthodoxe dans

les écoles et elle fait partie du programme. Il existe aussi des écoles

privées catholiques tenues par des congrégations religieuses… fréquentées

en majorité par des élèves orthodoxes! Là aussi, on enseigne la religion

orthodoxe dans le cadre du programme, tandis que l’enseignement religieux

catholique se fait à part et n’est pas reconnu par l’Etat.

Certes, la Grèce est un Etat moderne, mais la mentalité différencie les

Grecs des autres pays démocratiques. La religion dans notre pays est quelque chose de prépondérant: on n’a même pas 10 % de mariages civils. L’Etat

reconnaît le mariage religieux soit des orthodoxes soit des catholiques.

Le Parti communiste aimerait bien la séparation, mais il faudrait modifier la Constitution. L’Eglise orthodoxe ne le souhaite pas, voulant continuer à être protégée par l’Etat. D’ailleurs les autres religions sont définies dans des textes officiels comme des « cultes étrangers ». Les protestants connaissent les même problèmes, sans parler des Témoins de Jéhovah.

Certains ont été arrêtés pour « prosélytisme » au détriment des orthodoxes.

APIC:Mais les catholiques sont tout autant Grecs que les orthodoxes ?

PèreSargologos:Il y a eu des catholiques en Grèce dès avant le Moyen-Age,

mais la moitié des catholiques de rite latin sont des descendants des croisés, installés depuis le XIIIe siècle. Nous sommes des vrais Grecs, depuis

des siècles. Cependant un rapport des services secrets chargés de la surveillance des citoyens grecs propose au gouvernement de prendre des mesures

contre ceux qui ne sont pas orthodoxes, car pour eux, qui n’est pas orthodoxe n’est pas un Grec « intègre » et sa conscience nationale hellénique est

diminuée. C’est très grave, c’est du racisme mais c’est la mentalité: Grèce

veut dire orthodoxie et orthodoxie veut dire Grèce. J’ai déjà protesté contre une telle attitude dans l’hebdomadaire que je dirige, « Le catholique »

(Katholiki), qui tire à 2’500 exemplaires.

Je l’ai écrit dans la dernière édition: nombreux ont été les Grecs catholiques qui ont été tués dans les guerres contre les Turcs, les Bulgares,

les Italiens, les Allemands… De 1912 à aujourd’hui, il y a eu en proportion plus de catholiques morts pour la patrie que d’orthodoxes!

Il faut cependant ajouter que des députés et même des ministres du

gouvernement ont été surpris par ce rapport des services secrets. Mais il y

a dans le gouvernement comme dans toute la société et dans les partis surtout à droite – ce genre de tendance nationaliste. Du temps de la

dictature des colonels, c’était encore pire.

Un « arc orthodoxe » dans les Balkans pour contrer le Vatican

Aujourd’hui, notamment avec l’affaire de la Macédoine de Skopje, en exYougoslavie, les tensions s’aiguisent. Les Grecs veulent créer un arc orthodoxe dans les Balkans, notamment avec les Serbes et les Bulgares, contre

le Vatican et l’islam, qui sont selon eux des alliés. Depuis deux ans, la

télévision, la radio et les journaux ne manquent pas une occasion de critiquer le Vatican et surtout la personne du pape. Ces médias prétendent que

le pape Jean Paul II veut envahir les Balkans et conquérir l’orthodoxie par

le biais de l’uniatisme. La renaissance des Eglises gréco-catholiques

(uniates) en Roumanie et en Ukraine a ravivé les craintes orthodoxes. De

toute façon, l’Eglise orthodoxe de Grèce ne veut pas le dialogue oecuménique, même si elle a été obligée d’y participer. Mais dans toutes les conférences, elle fait de l’opposition.

Quant à nous, petite minorité catholique de rite byzantin, nous sommes

pris entre deux feux: les orthodoxes nous rejettent comme traîtres et les

latins de Grèce ne nous considèrent pas comme tout à fait catholiques, parce que nous ne sommes pas latins. Mais nous résistons pour garder notre

propre identité. Même si certains se déclarent orthodoxes sur leur carte

d’identité (malgré les protestations du Parlement européen, la mention de

l’appartenance religieuse reste obligatoire!) pour pouvoir, par exemple,

faire une carrière d’officier dans l’armée. (apic/be)

Encadré

Le prosélytisme interdit par la Constitution grecque

Selon le premier alinéa de l’article 13 de la Constitution grecque, « la liberté de la conscience religieuse est inviolable » et « la jouissance des libertés publiques et des droits civiques ne dépend pas des convictions religieuses de chacun ».

A l’alinéa 2, l’on peut lire ceci: « Toute religion connue est libre, et

les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des

lois ». Mais il n’est pas permis que l’exercice du culte porte atteinte à

l’ordre public ou aux bonnes moeurs, et « le prosélytisme est interdit ».

A l’alinéa 3, l’on stipule que les ministres de toutes les religions

connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante.

5’000 ans de prison

Notons qu’il y avait en Grèce au début de l’année environ 380 objecteurs

de conscience incarcérés, en grande majorité Témoins de Jéhovah, qui passent environ trois ans de prison pour leur objection de conscience. Amnesty

International a calculé que dans l’ensemble les Témoins de Jéhovah ont, depuis 1938, passé plus de 5’000 ans en prison pour objection de conscience.

Leurs ministres du culte ne bénéficient pas de la loi de 1988 permettant

aux prêtres des religions reconnues d’être exemptés du service militaire,

les autorités militaires s’appuyant sur l’Eglise orthodoxe grecque qui ne

les considère pas comme prêtres d’une religion reconnue. (apic/be)

Encadré

Les chrétiens non orthodoxes fichés par les services secrets grecs

Les catholiques et les protestants sont considérés en Grèce comme des ennemis de l’intérieur, s’il faut en croire un rapport ultra-confidentiel rédigé par les services secrets de ce pays (EUP) dont fait état l’organisation

bruxelloise « Droits de l’homme sans frontières ». Selon cet organisme humanitaire, l’EUP, qui fiche tous les citoyens non-orthodoxes d’après leur religion et place leurs activités sous surveillance policière, a proposé aux

autorités compétentes de prendre des mesures répressives et préventives

contre ces Grecs « non intègres ».

C’est le quotidien grec « Eleftherotypia » qui a révélé l’existence du

rapport des services secrets. Le document, daté du 18 janvier, porte sur

« les sectes actuelles et les organisations religieuses parallèles en Grèce ». Ce rapport note que si les catholiques ne font pas de prosélytisme,

« le Vatican n’a pas renoncé à sa tentative de latiniser les Grecs ». Les

services secrets conseillent à l’Etat de rester vigilant, et relèvent que

le Vatican « n’attend que l’occasion pour que des missionnaires jésuites se

précipitent de nouveau sur tout le territoire grec ».

« Conscience nationale atténuée »

Les auteurs du rapport proposent de répartir les Grecs en deux catégories en fonction de leurs opinions religieuses: les Grecs « intègres » (orthodoxes) et les Grecs « non intègres » (tous les autres). Ce critère,

écrivent-ils, correspond à l’esprit du peuple ordinaire qui taxe de « traîtres » tous les Grecs qui changent de religion.

Selon ce rapport, « tous les Grecs ’non intègres’ ont une conscience nationale atténuée et mettent en danger la sécurité nationale, car ils obéissent à des instructions de l’étranger ». « Droits de l’homme sans frontières »

affirme que ces activités de surveillance existaient déjà bien avant que le

rapport ne soit écrit et qu’elles sont sans doute poursuivies, malgré les

dénégations officielles. L’organisation rappelle aussi que la Grèce est le

seul pays de la Communauté européenne qui oblige ses citoyens à mentionner

leur religion sur leur carte d’identité. (apic/cip/be)

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