Irak: la visite du pape a renforcé le respect pour les chrétiens

La visite du pape François en Irak, en mars 2021, a eu un effet significatif sur les relations entre les communautés du pays. Les chrétiens se réjouissent d’un climat plus fraternel, notamment avec les musulmans, même si la logique communautaire est toujours bien ancrée.

«François est venu pour panser nos plaies. Cela nous a donné beaucoup de courage, d’espoir et d’espérance», affirme Mgr Najeeb Michaeel. L’archevêque chaldéen de Mossoul se souvient avec émotion des larmes dans les yeux du pape, lors de sa visite, en mars 2021, lorsqu’il a vu l’ampleur de la destruction de la ville du nord de l’Irak et de ses églises.

Un an après la venue du pape et cinq ans après l’éviction de DAECH, Mgr Michaeel prend le thé, à l’archevêché, avec quatre hommes. Tous sont musulmans. L’ambiance est joyeuse et festive. Aucune once de méfiance ou de distance entre ces citoyens irakiens qui ont l’habitude de se côtoyer. Certains d’entre eux travaillent pour l’Eglise locale, d’autres gravitent autour de la communauté chrétienne, offrent leur aide de temps à autre.

Mgr Najeeb Michaeel, archevêque de Mossoul, encourage les contacts avec les musulmans | © Raphaël Zbinden

Un climat interreligieux fraternel que cath.ch, accompagnant une délégation suisse en Irak fin février 2022, a pu constater sur place. Le point d’orgue du voyage était l’installation, dans l’église St-Paul de Mossoul, d’un tabernacle réalisé par l’artiste genevois François Reusse et offert à la communauté chaldéenne locale. Une opération activement soutenue, sur place, par «les musulmans de l’évêché».

Un nouveau langage

Cette proximité, encouragée par Mgr Michaeel, est ancrée dans la tradition, à Mossoul, en dépit des épisodes sombres. Mais l’après-DAECH et la visite du pape François dans la ville ont renforcé les relations. «Aujourd’hui, il y a un nouveau langage qui s’est créé entre les musulmans et les chrétiens, dans la région de Mossoul. Il apporte une lueur d’espoir pour cette ville martyre», remarque l’archevêque.

«Les habitants de Mossoul, surtout les jeunes, en ont marre des fanatiques religieux»

Mgr Najeeb Michaeel

La visite d’un ami

La deuxième ville d’Irak a en effet été occupée de 2014 à 2017 par les combattants de l’Etat islamique (EI). Ils y ont commis de nombreuses exactions, aussi bien contre les non-sunnites que contre les sunnites réfractaires. La plupart des églises, et une partie de la ville, ont été détruites lors de cette période, soit par DAECH, soit dans les combats pour la libération de la cité. La quasi-totalité des chrétiens avaient alors fui ou avaient été chassés par les islamistes. «Mais, aujourd’hui, les habitants de Mossoul, surtout les jeunes, en ont marre des fanatiques religieux, ils veulent retrouver la vraie tradition irakienne de tolérance, progresser vers la démocratie et les droits humains», assure le prélat chaldéen.

Le pape François a été très touché par sa visite dans une ville de Mossoul dévastée, en mars 2021 | © KEYSTONE/AFP/ZAID AL-OBEIDI)

Une nouvelle aube sur le dialogue intercommunautaire, que Mgr Michaeel met aussi au crédit du pontife. «La présence de François et ses mots si justes, le 7 mars 2021, n’étaient pas que pour les chrétiens, mais pour tous les habitants de la ville. Les musulmans ont été très honorés et touchés de cette visite, qu’ils considèrent comme une bénédiction, assure l’archevêque. Ils ont perçu l’événement comme la visite d’un ami venu en pèlerinage pour être avec nous dans ces souffrances. Depuis, la fraternité est devenue un slogan. Quand je marche dans les rues, les enfants se mettent à danser et crient : ‘Le pape est venu, le pape est venu, il est le bienvenu’».

Plus de «Nazaréens»

Dix jours avant l’arrivée de la délégation suisse, une quinzaine de responsables religieux, principalement sunnites, sont venus à Mgr Michaeel pour le saluer et échanger avec lui. «Ils m’ont dit: ‘Nous sommes proches de vous, nous pouvons travailler ensemble, vous aider si quelqu’un vous cause des ennuis’». Un langage que l’on n’entendait pas avant le discours de François dans les ruines de la vieille ville.

La délégation suisse, emmenée par Mgr Michaeel, prie sur les lieux du discours du pape François à Mossoul (Irak) | © Raphaël Zbinden

Le ton des prédications dans les mosquées a également changé.  «Même avant l’occupation par les djihadistes de l’Etat islamique, notamment sous l’influence d’Al Qaïda, on entendait fréquemment que les impies, les mécréants, étaient voués à l’enfer.» Les musulmans ont également cessé d’utiliser certaines expressions, telles que le terme péjoratif de «Nazaréens» pour désigner les chrétiens.

Chute de préjugés

Une ambiance fraternelle déjà observée pendant la visite apostolique, relève le Frère dominicain Ameer Jaje, contacté à Bagdad via Zoom. Le religieux irakien a organisé la rencontre interreligieuse d’Ur, le 6 mars 2021. «C’était vraiment très émouvant, très fort, de voir tous les dignitaires prier ensemble. Après la prière, tous ont afflué autour du pape dans un élan extrêmement humain et amical. Ce sont des images inoubliables». Le pape François possède ce charisme de simplicité de la rencontre, note Ameer Jaje. «Des amis chiites et sunnites m’on dit: ‘C’est un homme béni, vrai, honnête’».

«L’ouverture envers les chrétiens a été grandement favorisée par la rencontre de François avec Ali al-Sistani»

Frère Ameer Jaje

Cette visite a eu des effets réels et qui vont perdurer, estime le religieux. Avant la venue du pape, certains journalistes étrangers, mais aussi des Irakiens, ne savaient même pas qu’il y avait des chrétiens dans le pays. Et que leur présence était si ancienne et ancrée dans l’histoire de l’Irak.

L’ouverture envers les chrétiens a été grandement favorisée par la rencontre de François avec l’ayatollah Ali al-Sistani, le 6 mars, à Nadjaf. «Pour les chiites, le fait de voir leur très respecté guide spirituel boire le thé avec le pape a permis de briser nombre de clichés, d’idées reçues. Par exemple qu’un chrétien est impur. Auparavant, on allait même jusqu’à jeter la tasse dans laquelle un chrétien avait bu.»

Anwar Abada est responsable de la Maison Beit-Anya, à Bagdad | © Raphaël Zbinden

Le ton des prêches a également changé dans la communauté chiite, qui représente près de 60% de la population irakienne, assure Ameer Jaje. Même pour le clergé le plus «fermé», il ne serait plus possible de dénigrer les chrétiens. Une nouvelle valorisation que le religieux «ressent tous les jours», aussi bien dans les hautes sphères de la société, notamment au niveau académique, que dans le peuple. «Quand je vais à Nadjaf ou à Kerbala [deux villes saintes de l’islam chiite, ndlr.], avec l’habit dominicain, même les personnes âgées se lèvent en signe de respect».

Noël sans la peur

La crainte et la méfiance se sont aussi éloignées. «Avant la visite, on avait toujours peur de ne pas pouvoir célébrer Noël correctement, à Bagdad, d’être attaqués. Des prêcheurs musulmans disaient: ‘C’est haram, c’est interdit de faire des manifestations de Noël’. Mais cette année, beaucoup de musulmans ont fêté la Nativité. Ils ont mis des sapins dans leurs maisons ou leurs quartiers. Et il n’y a eu aucun incident.»

«La visite du pape a donné une image positive des chrétiens, mais les problèmes de tous les jours n’ont pas changé»

Père Albert Hisham

Ameer Jaje note que la contribution des chrétiens pour le pays, notamment au travers de l’éducation et des activités caritatives, est de plus en plus remarquée par les musulmans. De nombreuses institutions scolaires très réputées sont d’orientation chrétienne, en Irak. Les chrétiens composent généralement une petite frange des étudiants.

La musulmane qui croyait en la Résurrection

Une réalité confirmée par Anwar Abada, directrice de l’organisation caritative Beit-Anya, à Bagdad. Elle est venue spécialement de la capitale à Ankawa (Kurdistan irakien) pour rencontrer la délégation suisse, lord d’une table ronde avec d’autres personnalités engagées. Elle évoque les relations cordiales que les chrétiens et les musulmans entretiennent dans son institution spécialisée dans l’accueil des personnes âgées et des handicapés. Elle illustre son propos par une anecdote: «Nous avons recueilli il y a quelques années une femme très âgée qui avait été mise à la rue par sa famille. Elle y a vécu des années. Musulmane, elle a tenu à écouter l’homélie de Pâques avec les résidents chrétiens. L’un d’eux lui a demandé: ‘Croyez-vous en la Résurrection’  La musulmane lui a répondu: ‘oui, oui, le Christ est ressuscité. Moi, j’étais morte, dans la rue, et on m’a donné une nouvelle vie. Le Dieu de la dame [de Beit-Anya, ndlr.] ne laisse personne dans la mort’».

En Irak, il est normal d’afficher son appartenance religieuse | ici, un pont près de Qaramless, dans la plaine de Ninive © Raphaël Zbinden

En tout cas, les chrétiens ne pensent plus à «se cacher», dans ce pays où il est normal d’afficher sa foi. Mgr Michaeel raconte avec le sourire comment il a débattu un jour avec un de ses employés musulmans de l’installation d’une croix dans le quartier de Mossoul où se trouve l’évêché: «Je pensais que la croix devait faire de 1,2 m à 1,5m de haut. Quand j’ai dit ça à Mohamed, il m’a regardé d’un air contrarié. J’ai relevé: ‘Est-ce que c’est trop haut ?’. Il m’a répondu: ‘Non, c’est trop petit, il faut qu’elle fasse 3 ou 4 mètres, qu’elle illumine tout le quartier!»

Permanence des problèmes

Une amitié indéfectible s’est-elle donc tissée entre chrétiens et musulmans en Irak? Le tableau global n’est certes pas si rose. «La visite du pape a donné une image positive des chrétiens, note le Père Albert Hisham, participant à la table ronde, qui a œuvré à la communication du voyage papal. Les problèmes de tous les jours n’ont cependant pas changé», souligne le prêtre.

Samy Raad, le chauffeur de Mgr Najeeb Michaeel, voit difficilement son avenir en Irak | © Raphaël Zbinden

Il déplore ainsi que le gouvernement irakien, malgré les belles paroles et les promesses qui ont suivi la visite, a complètement instrumentalisé l’événement pour ses propres intérêts. Les dirigeants n’ont jamais rien entrepris de réellement constructif pour favoriser le dialogue interreligieux. Les politiciens, et la majorité des Irakiens, restent dans une logique communautaire et clanique qui entrave la formation d’une véritable unité et solidarité nationales.

Les chrétiens toujours inquiets

Pour le croyant de base, la vision des choses est aussi souvent teintée de noir. Samy, le chauffeur de l’archevêque Michaeel, ne voit plus vraiment d’avenir pour lui et sa famille, à Mossoul, voire en Irak. En 2014, à l’arrivée de DAECH, il a fui à Ankawa, la banlieue chrétienne d’Erbil, avec des milliers d’autres chrétiens.

Certes, il a des amis musulmans, qu’il côtoie notamment à l’évêché. Mais, «c’est une très petite minorité». Il confirme qu’une sourde méfiance demeure entre les communautés. Pour lui, la sécurité n’est pas suffisante à Mossoul pour revenir y vivre avec sa famille. Le pessimisme est également prégnant chez d’autres chrétiens rencontrés par cath.ch.

Les participants de la table ronde d’Ankawa relèvent effectivement tous les embûches sur la route vers un Irak dans lequel la diversité serait réellement vécue comme une richesse. «L’élan de fraternité éveillé par la visite du pape est une petite bougie allumée dans une vaste salle obscure», admet ainsi Anwar Abada. Les personnalités irakiennes notent toutefois que c’est à partir de petites flammes que l’on allume les grands feux. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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