Homélie du 27 mars 2022 (Lc 15, 1-3.11-32)

Didier Berret, diacre – Église Notre-Dame de l’Assomption, Saignelégier

Mais quel râleur ce fils aîné ! Il vient casser l’ambiance de la fête et du même coup jeter une ombre sur notre dimanche de la joie ! Son petit frère revient et il boude ! Il ne lui manque pourtant rien à cet homme car si le père a distribué l’héritage comme il se doit – ce dont il est difficile de douter – en tant qu’aîné, il en a reçu les 2/3. On dirait que le pardon sans condition du père le tracasse et on l’entend presque murmurer « c’est un peu trop facile ! » Alors au lieu de se réjouir, il s’inscrit dans lignée des pas-contents de la Bible à la suite de Caïn, des frères de Joseph, des israélites dans le désert, de Saül, pourtant roi mais malade de soupçons et de jalousie devant David, trop beau, trop jeune, trop fort.

Des rivalités malsaines

La fraternité ne va pas de soi dans la bible et beaucoup de complicités naturelles, souhaitables dégénèrent en rivalités malsaines ! Au lieu de faire ensemble, ils font contre. Ce fils aîné a tout mais il lui manque un don en prélude de la foi : ce don est celui de la reconnaissance, de la gratitude. Un don qui permet le vivre avec… ou pour employer un mot très actuel, la synodalité. Mais bon c’est une parabole, on grossit les traits, dans la réalité il aurait sûrement dit : « Chouette ! mon frère revient, il va pouvoir me raconter ce qu’il a vu, échanger avec moi, on va se dire où l’on en est, peut-être allons-nous même travailler ensemble. Mais il n’y a guère de place pour l’autre dans son petit monde et au lieu d’accueillir et d’écouter, il invente des histoires : il noircit le portrait ce frère qui rentre et lui invente un passé sans même avoir échangé un seul mot avec lui : « il a tout dépensé avec des prostituées… » Cette phrase ne sort de nulle part. Le texte avait dit sobrement et littéralement : il a dispersé son patrimoine dans une vie de prodigalité, autrement dit il n’a rien regardé à la dépense. Ce n’est pas la même chose. Tous les temps de crise se nourrissent de ce genre propos sans fondement, déformés ou certains les produisent pour justifier leur position et leur mal-être. Toutes les guerres commencent toujours par des demi-vérités et des récits arrangés.

Le Père n’a pas de retenue dans son partage

Heureusement le père de la parabole ne s’arrête pas là. Son désir à lui c’est de rétablir la relation, en rappelant d’abord ce lien fondateur avec lui : « tout ce qui est à moi est à toi. »  En rappelant ensuite son lien avec l’autre : celui qui rentre n’est pas seulement mon fils, comme tu le dis, il est aussi ton frère. Et il est vivant ! Il est prêt à tout ce père de la parabole. D’ailleurs au moment du partage, là où la traduction dit qu’il distribue ses biens, le texte grec dit en même temps qu’il distribue sa vie. Vu du côté du Père, du côté de Dieu, distribuer ses biens, c’est donner sa vie. Construire le monde, c’est nous l’offrir. Il n’y a pas de retenue dans son partage : le fils demande, il donne. De la même manière qu’il n’y a pas de calcul dans son pardon. Il ne fait part d’aucune exigence d’excuses, ni d’aveu, ni rien d’autres. Il le voit au loin, (parce qu’il voit plus loin), il est ému jusque dans ses entrailles, il court, embrasse. On dirait comme Rembrandt et d’autres peintres l’ont représenté, on dirait qu’il n’est que deux bras ouverts. Le fils avait préparé des justificatifs. Il n’est pas fier. Il rentre la tête basse. Mais dans sa déconvenue, dans sa misère, en plongeant au fond de son histoire il a redécouvert un véritable trésor, le seul qui compte. Il ose rentrer !  Et il ose rentrer parce qu’il sait, pour en avoir fait un jour l’expérience, qu’il y a quelqu’un sur qui il peut compter de manière inconditionnelle. Il ne pourrait pas dire : « je ne mérite plus d’être appelé ton fils » s’il ne portait pas au cœur cette conscience de l’avoir un jour été. Et si ses déboires lui font douter de sa capacité d’être fils, il ne doute pas de la capacité de son père d’être père. Et comme il a raison.

L’accueil ressemble à une entrée au paradis : une longue tunique comme pour les élus de l’Apocalypse, une bague signe de l’alliance entre Dieu et les hommes, des sandales aux pieds comme au jour de délivrance du peuple d’Israël, le veau gras à apprêter pour que la fête dure encore. Voilà la grandeur généreuse du père prodigue qui donne sa vie pour que la savourions avec lui. Tout est mis en œuvre dans cette histoire racontée par Jésus pour nous montrer que Dieu n’a d’autre préoccupation, d’autre attente, que celle de nous faire entrer dans sa danse et de nous partager sa joie.

Je pense que le plus beau mot de la foi est « merci ».

4e DIMANCHE DE CARÊME, de Lætare
Lectures bibliques : Josué 5, 9a.10-12; Psaume 33, 2-3, 4-5, 6-7; 2 Corinthiens 5, 17-21; Luc 15, 1-3.11-32

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