Il les connaît par cœur, Jésus, ces doigts levés impératifs, autoritaires, sûrs d’eux-mêmes qui se dressent pour haranguer les foules. Il les connaît trop bien, ces doigts pointés sur les défauts des autres, qui appuient là où ça fait mal, ces index accusateurs, qui enferment et jugent ! Il a vécu cela tant de fois, lui, le Verbe fait chair qu’ils ont voulu faire taire : ils viennent de l’interrompre en plein enseignement, alors qu’il partageait la parole, sans aucun égard pour ce peuple à l’écoute. Jésus sait bien que cette pauvre femme traquée n’a aucune chance en face des gens-là. Ils ont tracé autour d’elle un cercle dont il est impossible de sortir. Il sait bien aussi qu’elle n’est qu’un prétexte, un objet de plus entre leurs mains pour trouver les moyens de l’accuser lui-même et de le condamner.
Réécrire une histoire nouvelle
Jésus ne va pas répondre pas avec son doigt. Avec son doigt, il montre une autre direction : celle du sol, celle de la terre et avec ce doigt au sol, plutôt que de dénoncer, il trace des lettres, comme s’il s’agissait de réécrire une histoire nouvelle. Comme s’il fallait prendre le temps d’épeler l’un après l’autre les mots qui lentement racontent une vie ! D’où vient-elle cette femme ? Comment s’appelle-t-elle ? Quelle est son histoire ? Qui est son mari ? Qui sont ses frères, ses sœurs, sa mère ? Prise en flagrant délit d’adultère… est-elle seulement consentante ? Ou un rustre l’a-t-il entraînée de force dans un coin sombre de la ville ? Où est-il, du reste cet autre membre du flagrant délit ?
Ils s’en moquent de ces questions, les Scribes et les Pharisiens, et ils insistent avec mépris : (littéralement) Toi, de celles-là (au pluriel) que dis-tu ? Peut-être que s’ils se penchaient pour lire ce que Jésus lentement dessine… ? Mais ces gens-là ne s’abaissent pas, ils toisent et décrètent, cachés derrière leur code de droit.
Renvoyés à leur propre histoire
Jésus aurait pu se dresser avec autorité, les confondre et les chasser du Temple comme il l’a fait avec les vendeurs, mais Jésus n’est pas venu pour jouer au plus fort. Il se met à la hauteur de celle qu’on accuse. Il parle et en une phrase de génie, extraordinairement malicieuse, il les renvoie à leur propre histoire : qui est sans péché ? Jeter la pierre tous ensemble est facile ; chacun peut toujours se rassurer en pensant que c’est la pierre de l’autre qui a blessé ou même tué. Mais qui, en premier, seul, en face-à-face serait d’accord de porter la responsabilité de ce lynchage ? Qui commence ?
Mais même lorsqu’il dit cela, Jésus ne les montre pas du doigt, il ne les dévisage pas pour les confondre, mais se baisse à nouveau. Il les aime, eux aussi, malgré tout et les laisse partir dignes, sans savoir dans quel ordre ils s’en vont, sans observer les grimaces qu’ils font, sans les juger et sans les condamner, eux non plus. Ces intransigeants qui ont tant de réponses pour les autres, Jésus les renvoie avec une question pour eux-mêmes : « qui d’entre vous est sans péché ? »
Lui, assis à terre, continue d’écrire, à ras-du-sol. Il se plonge dans les Écritures, comme pour redire l’Alliance. On dirait qu’il relit Isaïe : « ne faites pas mémoire du passé, je fais toute chose nouvelle, je fais passer un chemin dans le désert, pour que chacun redise ma louange » Jésus touche le monde avec son doigt comme le Dieu de Michel-Ange à la Sixtine touche le premier homme de son doigt pour le créer, lui donner vie. Les Pharisiens sont partis, la femme est libre et libérée. Va, il y a un avenir pour toi !
Plusieurs mois plus tard, non loin du Temple, c’est Jésus qui sera mis au milieu, accusé, encerclé, sur la croix. Les jeteurs de pierre, tenaces, tiennent leur victoire. La nuit tombe sur Jérusalem.
Mais voici…
La scène de la femme adultère s’était passée « dès l’aurore ». « Dès l’aurore » des femmes courent en direction du tombeau. C’est une voie sans issue barricadée par une pierre immobile, à moins qu’il ne s’agisse d’un tas de pierres jetées, cumul de toutes les lapidations. Elles sont lourdes de toutes les condamnations et de toutes les haines du monde.
Le monde de la nuit n’a pas d’avenir
« Dès l’aurore » un matin nouveau, des femmes courent au tombeau et je crois bien qu’elle en fait partie, cette femme adultère parce qu’elle a fait l’expérience de ce qui peut se produire à l’aube ! Le monde de la nuit n’a pas d’avenir, désormais elle le sait. La vie de Dieu ne se laisse pas enfermer.
Jésus se lève, la femme se lève. Ils se rencontrent, elle se transforme. Va désormais ne pèche plus ! La vie t’attend. Tu es belle comme chacun des êtres que Dieu a créés.
5e DIMANCHE DE CARÊME
Lectures bibliques : Isaïe 43, 16-21 ; Psaume 125, 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6 ;: Philippiens 3, 8-14 ; : Jean 8, 1-11