Cardinal Czerny: «J’ai vu la guerre sur le visage des enfants»

«Je n’ai pas vu la guerre directement – car je ne suis pas allé dans les zones touchées par le conflit -, mais Je l’ai vue sur les visages affligés des enfants, des femmes et des hommes ukrainiens rencontrés». Telle est l’une des principales images que le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, a ramené de son voyage en Ukraine.

Par Cristina Uguccioni, pour catt.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Le cardinal Michael Czerny (75 ans) a été envoyé par le pape François en mars 2022 en Ukraine pour exprimer le soutien du pape et rendre compte de la situation sur place, suite à l’agression russe. Le jésuite canadien, qui est devenu préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral en avril, a été contacté à Rome par catt.ch.

Quels souvenirs gardez-vous des deux voyages effectués pour apporter réconfort et soutien, au nom du pape, aux Ukrainiens contraints de fuir la guerre?
Michael Czerny: En mars dernier, je me suis rendu en Hongrie et en Slovaquie, atteignant également des villages ukrainiens près de la frontière. J’ai visité des paroisses et des centres d’accueil gérés par des organisations telles que Caritas, le Service jésuite des réfugiés, l’Ordre souverain de Malte et la Communauté Sant’Egidio.

J’y ai rencontré des réfugiés ukrainiens: leur souffrance, leur désarroi m’ont fait souffrir. Ces gens ont fui pour sauver leur vie mais, d’une certaine manière, ils l’ont perdue parce qu’ils ont laissé tout ce qu’ils avaient et que leur monde a été brisé. Je me souviens d’une femme, désespérée parce qu’elle avait oublié de prendre son téléphone portable lors de sa fuite: elle avait l’impression d’avoir perdu tous ses liens.

«Peut-être que la pandémie et la guerre nous réveillent»

Cardinal Michael Czerny

Au nom du pape, j’ai offert du réconfort, du soutien, des prières, des mots d’espoir. J’ai admiré le travail inlassable des bénévoles qui accueillent les réfugiés: ils travaillent sans se ménager. Dans une paroisse ukrainienne, près de la frontière, où les gens séjournent avant de quitter le pays, j’ai été frappé par la générosité des prêtres de rite oriental, dont la majorité sont mariés et ont des enfants, qui ont décidé de ne pas fuir afin de continuer à offrir leur aide. Dans tous les centres où je me suis rendu, j’ai vu l’Église telle qu’elle doit être, un «ventre» capable d’accueillir tout le monde.

Ces deux dernières années, la pandémie a constitué une occasion de réapprendre beaucoup de choses, de construire une vraie fraternité et de corriger les injustices, de «choisir ce qui compte et ce qui passe», comme l’a dit le pape en 2020. Puis la guerre a éclaté en Ukraine. Et à beaucoup se sont sentis déçus, tristes et découragés: que voulez-vous leur dire?
Tout d’abord, je leur dirais que le découragement, l’abattement, sont des sentiments justes, compréhensibles. Cependant, l’on ne peut pas perdre espoir. Si nous voulons avancer, il est maintenant nécessaire d’avoir une réflexion sérieuse sur les trente dernières années de notre histoire. En effet, je suis convaincu qu’en Europe, nous aurions dû commencer il y a trente ans, après la chute du mur de Berlin, à réapprendre beaucoup de choses, à vivre ensemble en construisant la fraternité, à ajuster le cap. Malheureusement, nous ne l’avons pas fait: nous nous sommes habitués à notre confort, sans trop penser à nos responsabilités. D’une certaine manière, nous, les Européens, nous nous sommes endormis. Peut-être que la pandémie et la guerre nous réveillent.

L’évêque italien Tonino Bello a écrit à propos de la paix: «Comment pouvons-nous prononcer des paroles de paix si nous ne savons pas pardonner? Quelle libération pascale voulons-nous annoncer si nous sommes les protagonistes de stupides fantasmes de vengeance, de déprimantes vendettas familiales? (…) Personne n’est autorisé à théoriser sur la non-violence ou à raisonner sur le dialogue entre les peuples ou à maudire sincèrement la guerre s’il n’est pas prêt à s’engager dans ce désarmement unilatéral et inconditionnel qui s’appelle ›pardon’». Quelle réflexion ces mots provoquent-ils en vous?
Pour reprendre ce que je disais, ces trente dernières années, nous n’avons pas vraiment appris à vivre ensemble et à pardonner, à construire la paix et la réconciliation. Nous avons été lents et durs de cœur. Cette «sclérocardie», du moins en Europe occidentale, s’exprime de manière paradigmatique dans notre traitement de l’étranger, dont nous peinons à respecter les droits.

Le cardinal Czerny est allé à la rencontre des réfugiés ukrainiens | © Vatican Media

La paix est un travail quotidien dans les foyers et les rues de nos villes. Jésus a dit: «Si donc tu présentes ton offrande à l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis reviens présenter ton offrande».

Chacun de nous sait, dans son propre cœur, qui sont les personnes avec lesquelles il doit se réconcilier. Faisons-le, alors. Demandons au Seigneur de nous aider à faire le pas de la réconciliation. Ce serait une grave erreur de s’insurger contre des dirigeants qui sont incapables de faire la paix et de cultiver ensuite avec désinvolture ses propres conflits personnels en les considérant comme des choses insignifiantes.

Quels sont les principaux projets que vous entendez promouvoir dans le dicastère dont vous êtes devenu le préfet?
Le dicastère, dans lequel ont convergé les compétences de quatre conseils pontificaux, a été créé en 2017. Notre priorité est de promouvoir le développement humain intégral à la lumière de l’Évangile et dans le sillage de la doctrine sociale de l’Église. A cet égard, nous sommes prêts à aider les Conférences épiscopales à promouvoir sur leurs territoires les valeurs de justice, de paix, de protection de la création et de respect de la dignité de chaque personne.

Nous avons l’intention de continuer à coordonner le travail des institutions catholiques engagées à garantir une aide concrète aux peuples les plus souffrants, en commençant par l’Ukraine. Nous avons également l’intention de mettre en œuvre l’évaluation du dicastère effectuée il y a un an, à la demande du pape, par une délégation dirigée par le cardinal Blase Cupich [archevêque de Chicago, ndlr.]. (cath.ch/catt/cu/rz)

Rédaction

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