Un chemin synodal 'made in Switzerland'

Après la phase locale et diocésaine, la consultation synodale a connu le 30 mai 2022 sa phase nationale. Une soixantaine de personnes ont participé à Einsiedeln à cette démarche inédite. Pour imaginer ensemble une nouvelle voie pour l’Eglise suisse.

L’exercice synodal ‘grandeur nature’ a mis, pour la première fois, autour d’une même table les représentants de toutes les régions de Suisse dans leur diversité culturelle linguistique et ecclésiale.

Evêques, délégués des diocèses, représentants de la Conférence centrale catholique romaine (RKZ) et des Eglises cantonales, représentants des religieuses et religieux, des milieux et mouvements ainsi des experts ont débattu à partir de la synthèse des consultations synodales diocésaines élaboré par Commission pastorale de la Conférence des évêques suisses (CES). Sous les ors baroques de la Grands Salle de l’abbaye d’Einsiedeln, l’ambiance était à la fois détendue et studieuse.

Mgr Valerio Lazzeri, évêque de Lugano et Mgr Alain de Raemy, auxiliaure de LGF s’impliquent dans les discussions | Christian Merz

Il ne s’agissait pas tant de répondre au questionnaire romain mais surtout d’exprimer leurs préoccupations sur l’avenir de l’Eglise dans le pays. Malgré les obstacles, les lenteurs, les divisions, «nous devons rendre compte de l’espérance qui est en nous» a relevé un délégué paraphrasant l’injonction de l’apôtre Pierre.

Cette assemblée fait suite aux consultations diocésaines lancées à la demande du pape François en vue du Synode des évêques sur la synodalité qui se déroulera à Rome en automne 2023.

Privilégier le dialogue

Au-delà des récriminations contre les nombreux abus spirituels de pouvoir ou sexuels, des revendications pour l’accès des femmes au sacerdoce, et l’inclusion des LGBT, les participants ont voulu jeter un regard positif sur leur Eglise.

Pour privilégier le dialogue, les organisateurs avaient renoncé à un débat trop formel, préférant l’échange en groupes au risque de disperser les discussions. Pouvoir, ministère, autorité, participation et exclusion ont été parmi les thèmes les plus disputés. Beaucoup ont constaté un décalage entre la perception plutôt négative issue de la consultation synodale et leur réalité quotidienne nettement plus nuancée. «Comment dépasser l’image d’un Dieu et d’une Eglise qui condamnent et qui excluent», s’est interrogé un délégué.

Messe à la chapelle Notre-Dame des ermites d’Einsiedeln | © Christian Merz

Un rapport de synthèse trop négatif

En général, le rapport de synthèse élaboré par Commission pastorale de la Conférence des évêques suisses a laissé sur leur faim nombre de participants: Vision trop négative, jugements à l’emporte-pièce, amalgames malheureux entre les femmes, les LGBT et les jeunes, manque de précision, absence de définitions des concepts, contradictions… ont été pointés du doigt.

Remplacer des normes jugées trop étroites, par des normes laxistes ne fera pas vraiment avancer la cause. Ce qu’il faut, c’est développer le discernement individuel et collectif, relève un des experts présents. Sortir du cléricalisme signifie d’abord que tout ne repose pas sur le prêtre et qu’il faut renforcer le ministère de tous les baptisés.

Ne pas oublier la dimension spirituelle

Au moment de dégager quelques priorités, l’enracinement dans la spiritualité, la nécessaire conversion personnelle et communautaire à l’écoute de l’Esprit-Saint reviennent en force.

Plusieurs délégués ont souligné aussi l’importance pour l’Eglise de sortir de ses murs, en s’engageant pour la solidarité, la justice, la paix, la lutte contre le changement climatique et le respect de l’environnement.

Une nouvelle version du rapport national sera élaborée d’ici l’été en tenant compte des remarques de l’assemblée, a indiqué Arnd Bünker, secrétaire de la Commission pastorale de la CES.

Les militantes pour l’ordination des femmes accueillent les délégués | © Christian Merz

Manif pour l’ordination des femmes
Les participants à l’assemblée synodale ont été reçus à l’issue de la messe matinale par une manifestation de l’«Allianz Gleichwürdig Katholisch». Le groupe de réformatrices avait déroulé un tapis rouge et des banderoles «Égalité. Point. Amen» devant la porte du monastère pour ›les amies et amis de la synodalité’, selon les termes de Mentari Baumann, responsable du groupe. Elles ont remis aux arrivant un dépliant présentant différentes citations sur la synodalité, ainsi qu’un sachet de bonbons au sucre de raisin pour ›booster’ leur énergie en faveur des réformes en particulier l’ordination sacerdotale des femmes. MP

Obligation: ne pas décevoir

En fin de journée, l’assemblée a remis symboliquement l’ensemble de sa réflexion au président de la Conférence des évêques suisses Mgr Felix Gmür et à la présidente de la RKZ Renata Asal Steger. «Nous travaillons ensemble pour le peuple de Dieu. Nous devons apprendre à ›gérer’ l’Eglise de manière synodale», a souligné l’évêque de Bâle. Le président de la CES souhaite que la réflexion et le débat puissent se poursuivre autour de l’Instumentum laboris distribué par Rome vers la fin de l’année 2022.

Mgr Gmür et Renata Asal Stenger reçoivent les recommandations de l’assemblée synodale nationale | © Christian Merz

Renata Asal Steger a souhaité plus prosaïquement que ce ›processus de la dernière chance’ ne provoque pas encore de la déception et qu’il réponde aux attentes des catholiques par des décisions et des actions concrètes. (cath.ch/mp)  

Audrey Boussat a pu donner son avis | © Christian Merz

Trois questions à: Audrey Boussat, de Nyon, assitante doctorante en droit à l’Université de Lausanne. Déléguée pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. 
Que retenez vous de la journée?
Audrey Boussat: J’ai apprécié l’ouverture et la facilité à dialoguer. Chacun est là en tant que baptisé pour servir Dieu et son prochain. C’est stimulant intellectuellement, même si je ne comprends pas tout. Je me sens privilégiée d’avoir eu cette opportunité. Ce d’autant plus que la phase locale et diocésaine m’était passé sous le nez et que j’ai été pour ainsi dire ›récupérée’.
En tant que femme, jeune, laïque et romande vous cochez pourtant toutes les cases pour vous sentir exclue de l’Eglise.
Je ne me suis pas du tout sentie écartée, j’ai pu m’exprimer et mon avis a été écouté. Je suis intervenue pour dire que l’égalité ne doit pas être une attente ou une revendication des femmes, mais une exigence partagée par toutes et tous. Avec la volonté d’y travailler ensemble et non pas les unes contre les autres.
Les délégués ont été invités à placer un point rouge sur la question qui leur semblait la plus importante. Où avez-vous placé le vôtre?
Je pense que l’Eglise est en train de faire un vrai examen de conscience, en acceptant de se reconnaître faible et vulnérable. Aujourd’hui, elle doit écouter sans jugement et donner la parole à tous.

Trois questions à Thomas de la Barre, étudiant en théologie à Fribourg, délégué des jeunes.
Que retenez-vous de la journée?
Je retiens l’ampleur du travail accompli et de celui qui reste à faire. La rencontre avec d’autres réalités, notamment alémaniques, m’a beaucoup interpellé. Les sujets sont tels qu’on pourrait bien y passer une semaine. Je suis heureux d’avoir pu y contribuer à ma mesure.
Le projet de rapport synodal suisse place les jeunes parmi les groupes exclus de l’Eglise.
Les jeunes ne font pas partie des exclus. C’est une erreur de le prétendre. Il faut faire davantage d’effort pour mieux les intégrer, oui, mais sans les considérer d’avance comme exclus. Ils ne sont pas absents de la vie de l’Eglise. Le message du Synode sur la jeunesse le rappelle avec force.
Comment voyez-vous cette démarche synodale proposée par le pape François?
Le Synode est là pour donner la parole. Je ressens beaucoup d’attentes et aussi de craintes. Je ne sais pas à quoi cela va ressembler à la fin. Heureusement, l’Esprit-Saint souffle. Globalement j’ai ressenti une grande bienveillance mutuelle. Mais je constate aussi que les attentes sont différentes, voire divergentes, j’espère qu’elles pourront se rejoindre. Je fais confiance au travail à venir. En y pensant, l’idée de synode, c’est-à-dire de marcher ensemble, remonte à la Pentecôte. L’Eglise a fait depuis un bout de chemin… MP

Pour Mgr Jean-Marie Lovey, la Suisse n’est pas le centre du monde | © Christian Merz

Trois questions à Jean Marie Lovey, évêque de Sion.
Que retenez-vous de la journée?
Le travail est vaste, les sujets nombreux, mais paradoxalement je trouve que nous sommes trop restés à un débat helvético-suisse alors que l’Eglise est universelle. Réfléchir à partir de notre culture est bon, mais la Suisse n’est pas le centre du monde. Nous pouvons avoir beaucoup d’attentes et d’espérances, mais elles ne doivent pas se limiter à notre situation locale.
La question du pouvoir revient beaucoup dans la consultation synodale, en particulier celui de l’évêque.  
Cela m’interroge. La mentalité actuelle véhicule beaucoup cette idée du pouvoir du prêtre, du curé, de l’évêque. C’est un peu caricatural. Au fond, la question est de redécouvrir que le mandat sacerdotal ou épiscopal est avant tout une question de service et non pas de pouvoir.
Cela dit, le fait que le droit canon concentre tous les pouvoirs sur la tête de l’évêque mérite d’être repensé vers le principe de la séparation des pouvoirs et d’une direction plus collégiale.
C’est un peu semblable avec la mentalité qui persiste à voir un Dieu punisseur, vengeur, castrateur. Quel évêque, quel prêtre parle encore de cela aujourd’hui? Sûrement aucun.
Un des participants a rappelé l’injonction de l’apôtre Pierre à rendre compte de l’espérance qui est en nous.
Oui, à force d’ergoter sur les droits, on risque d’oublier le mystère de l’Eglise et l’amour du Christ. Pourtant il y a chez les gens une réelle soif de Dieu. MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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