Le rite zaïrois, un «modèle de chemin synodal»

Comme il l’avait déjà fait le 1er décembre 2019, le pape François célèbrera de nouveau, le 3 juillet 2022, une messe en rite zaïrois (ou congolais) à la basilique Saint-Pierre.

Cet événement relance l’intérêt pour une liturgie rendue possible par le Concile Vatican II et dont l’élaboration a nécessité près de deux décennies de travail et de dialogue entre Rome et l’épiscopat congolais.

François devait à l’origine célébrer le 3 juillet une messe à Kinshasa, dans le cadre de sa tournée en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. Mais le voyage a été reporté pour raisons de santé. Un contretemps qui a beaucoup peiné le pape. Ce dernier a ainsi tenu à marquer par une messe en rite dit «zaïrois» (ou congolais, suite au changement du nom du pays) sa proximité avec ce peuple.

La célébration de cette forme liturgique dans le plus haut lieu du catholicisme revêt sans nulle doute une signification particulière, notamment en lien avec la volonté du pontife d’une meilleure représentation de l’Eglise universelle.

«L’inculturation est la nouvelle frontière de la réforme liturgique issue du Concile»

Mgr Vittorio Francesco Viola

La lente élaboration du rite propre aux diocèses congolais représente un modèle de «chemin synodal», avait expliqué le 20 juin 2022 Mgr Vittorio Francesco Viola, secrétaire du Dicastère pour le Culte divin. Il s’exprimait dans le cadre d’une conférence de présentation de l’édition française du livre de Sœur Rita Mboshu Kongo, Le Pape François et le Missel romain pour les diocèses du Zaïre, publié par la Librairie Éditrice Vaticane.

Mise en valeur du «génie religieux congolais»

Le franciscain italien a rappelé le lien fréquemment évoqué par le pape François entre «l’engagement pour la nouvelle évangélisation» et «l’inculturation de la liturgie». «Tout en étant pleinement romain, ce Missel présente des adaptations particulières: l’évocation des ancêtres au début de la célébration, l’acte pénitentiel après l’homélie, le rite de la paix après l’acte pénitentiel», a précisé Mgr Viola.

Les messes en rite zaïrois sont très festives et colorées | © liturgistes-rdcongo

Dans une lettre envoyée à l’occasion de la présentation du livre, le pape a mis en valeur la «triple fidélité» de ce Missel en rite zaïrois «à la foi et à la tradition apostolique, à la nature intime de la liturgie catholique elle-même, et enfin au génie religieux et au patrimoine culturel africain et congolais». Le pape invite les communautés catholiques d’autres pays à s’en inspirer. «Je propose le rite congolais de la célébration de l’eucharistie comme modèle pour les autres Églises en quête d’expression liturgique appropriée pour porter à la maturation les fruits de l’entreprise missionnaire de l’évangélisation des cultures et de l’inculturation de l’Évangile», écrit le premier pape d’Amérique latine.

Des échos jusqu’en Amazonie

Lors de la conférence de présentation, Mgr Viola a mis en parallèle ce travail sur le rite zaïrois avec l’idée d’un rite propre à l’Amazonie, un thème évoqué lors du Synode de 2019. Dans son exhortation Querida Amazonia (2020), le pape demande que «le patrimoine culturel soit mis à profit dans la recherche d’une liturgie qui puisse répondre à un effort d’inculturation des peuples indigènes».

Mgr Viola a précisé que l’inculturation est la «nouvelle frontière» de la réforme liturgique issue du Concile. Lors de Vatican II, la Constitution Sacrosanctum Concilium avait en effet ouvert la possibilité d’adapter la liturgie aux cultures locales, en précisant que l’Église «ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique: bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers peuples». «Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions, même lorsqu’on révisera les livres liturgiques», précisaient les pères conciliaires. Le texte fut voté avec un très large consensus de 2’158 voix pour et seulement 19 voix contre.

«Ce rite a évolué, comme un corps humain qui naît et a besoin de se développer»

Sœur Rita Mboshu Kongo

Pour le moment, le rite zaïrois reste la seule illustration concrètement appliquée de cette inculturation liturgique. Le chantier d’élaboration d’un potentiel «rite amazonien» demeure «en haute mer», a reconnu Mgr Viola. Il a évoqué comme action concrète à ce jour la simple mise en place d’une commission censée réfléchir à la faisabilité d’une telle démarche.

Ne pas devenir une secte

Dans les années d’ébullition intellectuelle et liturgique qui suivirent Vatican II, l’épiscopat congolais a veillé au maintien de la pleine communion avec le successeur de Pierre. «Pour être catholique, le culte eucharistique que nous célébrons au Zaïre doit justifier son origine apostolique. Autrement, nous deviendrions une secte», assuraient alors les évêques du pays engagés dans la promotion du rite zaïrois.

Le Dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements a donc joué et joue encore un rôle central dans l’accompagnement de ces efforts. De 1969 à 1988, un dialogue intense et régulier a été mené sous l’impulsion du cardinal Joseph-Albert Malula (1917-1989), archevêque de Kinshasa durant 25 ans. Ce personnage central pour l’Église post-coloniale en Afrique fut nommé par Jean XXIII membre de la commission liturgique préparatoire au Concile Vatican II. Il a ensuite identifié avec ses confrères congolais une méthode pour «chercher un cadre africain et zaïrois» dans l’adaptation du Missel romain édité par Paul VI.

Un travail de deux décennies

Un lent travail de près de deux décennies s’est étalé entre la demande de l’épiscopat local, en 1969, et l’approbation de ce Missel romain pour les diocèses du Zaïre, en 1988. Les dicastères pour le culte divin et pour la doctrine de la foi ont notamment étudié les célébrations menées ad experimentum. Dans les années 1980, le cardinal Joseph Ratzinger s’est rendu lui-même sur place pour observer la mise en application de cette liturgie et formuler ses observations.

«Ce parcours représente un exemple éloquent de collaboration entre les dicastères et les conférences épiscopales», a expliqué Mgr Viola. Il a souligné que cette démarche représentait «un modèle du chemin synodal des pasteurs à l’écoute du peuple pour penser et repenser les modalités d’une liturgie vivante, sur l’élan donné par l’enracinement de l’annonce de l’Évangile dans cette culture spécifique».

Le réveil pour une nouvelle évangélisation

Sœur Rita Mboshu Kongo a précisé que son étude sur «la réception et l’adaptation de la liturgie conciliaire en République démocratique du Congo» a été, pour certains, «une source de curiosité» et pour d’autres, «un motif de réveil». Le rite zaïrois a en effet été délaissé dans certaines paroisses et dans certains diocèses, notamment en raison de la complexité ethnique et linguistique de cet immense pays.

«Ce qui préoccupait les évêques congolais, c’est la question de l’évangélisation en profondeur, afin de rejoindre l’âme des peuples», a expliqué la religieuse de la Congrégation des filles de Marie Corédemptrice. «La liturgie est venue comme le fruit de la semence posée par les missionnaires, pour affronter les défis de l’évangélisation», a-t-elle souligné. «Ce rite a évolué, comme un corps humain qui naît et a besoin de se développer», a ajouté la théologienne congolaise. Ella a remarqué que «c’est ce caractère évolutif qui nous plonge dans l’histoire, pour comprendre qu’il s’agit d’une œuvre laborieuse de la deuxième évangélisation du Congo». (cath.ch/imedia/cv/rz)

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