Pandémie, guerre, Curie, santé, théologie... le pape François se livre

La « crise de civilisation » accélérée par la pandémie de Covid-19 et ses graves conséquences politiques étaient au centre d’un entretien d’une heure et demie du pape François diffusé le 1er juillet 2022 par Telam, l’agence nationale de son Argentine natale.

Interrogé par la journaliste Bernarda Llorente, présidente de cette agence, le pape s’est livré avec spontanéité à un tour d’horizon des grands thèmes de l’actualité, notamment la guerre en Ukraine, les enjeux écologiques et la réforme de la Curie. 

Dans cet entretien filmé à la résidence Sainte-Marthe du Vatican, le pape a exprimé son mécontentement face à la gestion de la pandémie sur le plan international. La faible couverture vaccinale de l’Afrique a montré, selon lui, que la lutte contre la maladie « a été ›dosée’ en fonction d’autres intérêts. Cela montre que quelque chose n’a pas fonctionné », s’est-il attristé. 

Il a néanmoins salué les « héros » qui ont montré leur courage durant cette crise, citant notamment le personnel médical mais aussi « les jeunes curés qui sont allés frapper à la porte des petits vieux » pour leur proposer de faire leurs courses. 

Le pape a évoqué son expérience passée de laborantin dans les années 1950, durant laquelle les virus du type corona n’étaient pas si agressifs. Il a donc avoué son étonnement face aux mutations successives du Covid-19 qui continuent à susciter une vive inquiétude. Mais cette crise sanitaire n’est qu’une facette de la crise globale traversée par le monde. Le pape est notamment revenu sur les problématiques plus vastes liées au réchauffement climatique, qui risque de provoquer l’engloutissement des petits États insulaires d’Océanie d’ici à 25 ans. 

Il a rappelé que l’idée de publier l’encyclique Laudato si› avant la COP21 lui avait été inspirée par Ségolène Royal, alors ministre française de l’Écologie et déléguée par le président français François Hollande pour l’accueillir à sa descente d’avion à Strasbourg en 2014. Invitant à s’inspirer de la sensibilité écologique des populations d’Amazonie, le pape a expliqué que le « bien vivre » des peuples autochtones est une vision de « l’harmonie avec la nature » qui est exigeante et n’est pas comparable à la « dolce vita » italienne ou à une vision insouciante. 

La « prophétie » de Simon Bolivar

Revenant longuement sur les spécificités de l’Église latino-américaine, le pape a expliqué que les conférences de Medellin (1968), Puebla (1979) , Saint Domingue (1992), et Aparecida (2007) se situaient dans une logique de « proximité avec le Peuple de Dieu ». Dénonçant les replis élitistes d’une partie de l’Église, il a aussi critiqué « l’instrument d’analyse marxiste de la réalité pour la théologie de la libération » comme une « idéologisation ».

Sur le plan civil et politique, le pape a différencié la « souveraineté du peuple » et le piège du « populisme », qui « soumet le peuple à des idéologies ». La politique doit « respecter les valeurs du peuple, respecter le rythme du peuple, respecter la richesse du peuple », a insisté le pape argentin. Il a mis en valeur la « prophétie » de Simon Bolivar et de José San Martin en faveur de l’unité latino-américaine, « au-delà de l’idéologie, avec la souveraineté des peuples ». 

Le pape François a martelé ses quatre principes directeurs : « la réalité est supérieure à l’idée », « le tout est supérieur à la partie », « l’unité est supérieure au conflit », et « le temps est supérieur à l’espace ». Il est donc nécessaire de se pencher sur les rythmes des peuples qui « initient des processus » plutôt que se conformer aux « impérialismes qui cherchent à occuper des espaces ». 

Le pape redit sa confiance dans la jeunesse

Face au désengagement politique des jeunes, démontré notamment lors de l’abstention massive lors des élections récentes en France, le pape a appelé de ses vœux de nouveaux modes d’engagement pour essayer de sauver un monde qui risque de devenir « inhabitable » dans 30 ans. « La lutte politique nous purifie des égoïsmes », a-t-il souligné.

Le pape a dit sa confiance dans les jeunes générations. « Laissons-les grandir, aidons-les à grandir », a-t-il martelé en soulignant une nouvelle fois que le conservatisme peut être « malsain et vénéneux » et que la tradition n’est vivante que si elle est vécue dans une relation confiante entre les générations. 

« Le concept de guerre juste doit être repensé »

Concernant la « troisième guerre mondiale par morceaux » qui rythme la vie internationale, le pape a expliqué que l’attention légitime suscitée par la guerre en Ukraine ne devrait pas pousser à détourner le regard des autres crises, notamment la répression en Birmanie, le « calvaire » vécu par la Syrie depuis plus de dix ans, ou encore les « luttes internes » au Liban.

Il a une nouvelle fois dénoncé le rôle des fabricants d’armes dans le développement des guerres. Chaque peuple a « le droit de se défendre » en cas d’attaque mais « le concept de guerre juste doit être repensé », a-t-il répété, en insistant sur l’importance du dialogue et en s’inquiétant de l’impuissance des Nations Unies. 

La réforme de la Curie souhaitée par les cardinaux

Concernant les tensions internes au Vatican, le pape a nié toute improvisation dans l’élaboration de la nouvelle Constitution apostolique sur la Curie romaine. « Ce que j’ai fait, je n’y ai pas pensé pendant une nuit d’indigestion », a-t-il ironisé. « J’ai recueilli tout ce que nous, les cardinaux, nous avions dit pendant les réunions pré-conclave » en 2013, qui avaient permis de mettre en lumière « les choses qui devaient changer ». 

La nouvelle Constitution met donc en pratique ce que les cardinaux avaient demandé, après neuf ans de travail. « L’essentiel est de sortir, de prêcher la Parole de Dieu, d’être missionnaires », a expliqué le pape en revenant sur le titre de ce document, Praedicate Evangelium. « Ce ne sont pas mes idées, mais celles de tout le collège cardinalice », a-t-il assuré.

Interrogé par la journaliste sur sa santé et son espérance de vie, le pontife de 85 ans a livré une conclusion énigmatique : « Que Celui qui est en haut le dise. Moi, je ne vais pas faire de paris, parce que je les ai toujours perdus, dans la vie ». (cath.ch/imedia/cv/mp)

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