« Plutôt pauvre et libre que riche et esclave »
Fribourg, 3novembre(APIC) « Je préfère vivre pauvre et libre que riche et
esclave », lance le cardinal Pio Taofinu’u, archevêque de Samoa-Apia, dans
les Samoa occidentales, îles perdues des Mers du Sud, quelque part entre le
Nord-Est de la Nouvelle Calédonie et le Nord-Ouest de Tahiti. Le ton est
donné, c’est celui d’un chef coutumier fier de sa culture polynésienne. Un
avant-goût de l’Océanie et des jeunes Eglises du Pacifique Sud que « Missio
Suisse » devrait choisir pour illustrer sa campagne missionnaire 1994.
S’il remercie vivement les organismes d’entraide occidentaux qui aident
les Samoa, le cardinal Taofinu’u, nommé en 1973 par Paul VI premier cardinal indigène de la région, critique cependant l’esprit « colonialiste » avec
lequel certains agissent dans les îles du Pacifique. Mentionnant en particulier des organisations australiennes et néo-zélandaises, l’archevêque de
Samoa-Apia en appelle au respect de la culture locale, une culture basée
sur la coutume, la grande famille et la communauté. Les gens des îles sentent bien cette tendance colonialiste basée sur le pouvoir de l’argent,
« qui n’est pas une attitude chrétienne », déplore l’archevêque de Samoa.
Priorité après les cyclones: reconstruire l’église du village
Ainsi, lors des fréquents cyclones et désastres qui ravagent les îles,
les organismes d’aide étrangers souvent ne comprennent pas pourquoi les
villageois reconstruisent en priorité leur église, et non leurs propres
maisons. « Dieu doit être servi le premier », estiment les gens, qui donnent
leur dernier penny pour remettre sur pied d’abord les églises et les centres pastoraux et culturels: ils sont conscients que ce sont là des lieux
qui renforcent leur communauté. Les oeuvres d’entraide occidentales ne le
comprennent pas toujours et leurs critères d’intervention sont souvent
« trop coloniaux » et « ne correspondent pas toujours à ce que nous avons en
tête; dès lors, nous ne nous sentons pas libres vis-à-vis des donateurs. »
Nommé par Paul VI en 1968 premier évêque natif du Pacifique, invoquant
son manque de formation, Pio Taofinu’u, dans un premier temps, refusa cette
charge, retournant la lettre de nomination au délégué apostolique à Sydney.
« J’avais seulement étudié dans les îles; à part le grand séminaire, je
n’avais pas fait d’études supérieures; j’ai dit au Saint-Père qu’il devait
trouver quelqu’un d’autre, car c’était au-delà de mes limites ». Appelé à
Sydney par le délégué apostolique, et devant la grande insistance de Paul
VI qui lui parlait personnellement au téléphone, Mgr Taofinu’u accepta finalement, « par devoir d’obéissance », pour servir cette jeune Eglise des
Samoa qui fêtera son 150e anniversaire en 1995. Le Saint-Père l’avait convaincu qu’il recevrait l’aide de l’Esprit-Saint pour l’assister dans sa
fonction. « Depuis, plaisante-t-il, l’Esprit-Saint a fort à faire avec moi! »
Les catéchistes forment les piliers de l’Eglise
Dans l’esprit du Concile Vatican II, l’archevêque de Samoa construit son
Eglise locale en l’incarnant dans la riche culture polynésienne, adaptant
la liturgie aux rites locaux, donnant par là-même leur sens profond aux sacrements. Evoquant les symboles hauts en couleurs utilisés par l’Eglise
pour les cérémonies de mariage, de naissance, de réconciliation, l’archevêque de Samoa signale que tout est ordonné à la vie, « car tout ce que nous
faisons, s’il n’y a pas la vie, est inutile! »
S’il ne manque pas de vocations sacerdotales – l’Eglise ne peut les accepter toutes, faute de moyens – Mgr Taofinu’u considère qu’à la base, dans
les villages, ce sont les catéchistes qui forment les piliers de l’Eglise.
Le catéchiste, marié depuis deux ans au moins, entre d’abord à l’école pour
quatre années de formation à plein temps. Il est ensuite installé par
l’évêque dans sa nouvelle communauté, et tout le village – catholiques et
non catholiques ensemble – l’accueille solennellement. Il devient ensuite
automatiquement membre du Conseil du village, car il est leader religieux,
père de famille – c’est vital pour être crédible dans une société où la
transmission de la vie et la famille sont si importantes -, intégré dans la
vie de la population, partageant ses joies et ses peines.
Ordonner des hommes mariés, des « viri probati »
Tandis que le prêtre, de son côté, « mis sur un piédestal » depuis le
temps des missionnaires, est souvent à la tête d’une grande paroisse et vit
séparé de la population. Sur certaines îles du Pacifique, le prêtre ne débarque du bateau qu’une fois l’an, dépose une réserve d’hosties et n’a même
pas le temps de célébrer la messe. C’est pourtant le droit des membres du
Peuple de Dieu d’avoir accès à la communion, souligne le cardinal polynésien, qui s’est déjà fait l’avocat à Rome de l’ordination d’hommes mariés
ayant fait leurs preuves, les « viri probati », qui seraient un bon modèle
pour son Eglise locale.
Une Eglise qui se développe sur le terrain en bonne partie grâce à ses
catéchistes mariés, « car si nous enlevons les catéchistes, voilà les adventistes, les mormons et d’autres sectes qui rapidement s’implantent dans les
communautés ».
Le cardinal Pio Taofinu’u, qui se trouve en Suisse depuis samedi dernier, a concélébré avec Mgr Pierre Mamie le jour de la Toussaint, lundi en
la cathédrale St-Nicolas de Fribourg, la Messe du Credo de Mozart. Il a
également rencontré divers responsables et communautés catholiques à Berne,
Fribourg, Einsiedeln et Zurich, avant de rentrer aux Samoa jeudi 4 novembre. (apic/be)
Encadré
Les Samoa occidentales – indépendantes depuis 1962 après avoir été une colonie allemande puis placées sous mandat de la Nouvelle-Zélande par la SDN
– ont une superficie de près de 3’000 km2 et une population de 166’000 personnes, dont 37’000 catholiques. Elles sont composées des deux grandes îles
d’Upolu et de Savai’i et de sept autres plus petites îles. (apic/be)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/suisse-visite-du-cardinal-pio-taofinu-u-archeveque-de-samoa-apia-031193/